LE CONTE DU JEUDI D’HENRI POURRAT
Il y avait une fois un petit qui s’est trouvé tout seul au monde. Aussi seul qu’on peut l’être. C’était la guerre qui avait passé ou bien la peste autour de lui, plus personne. Le village nettoyé. Il est parti devant soi à l’aventure, sur les champs, sur le causse le pays sans chemin, où il n’y a pas un arbre, pas une ombre, pas une âme.
Un vieil homme le rencontra au soir du troisième jour, le regarda, le questionna, haussa l’épaule, et l’emmena chez lui pour garder les moutons.
Chez lui ! Ce n’était pas un château, ce chez lui : au milieu de la pierraille une cahute de pierres, voûtée comme la bergerie attenante, couverte aussi de pierres. Le pain noir qu’en y mangeait, avec de fois à autre quelque écuellée de fèves ou de lentilles, était dur comme le caillou. — Plus il est rassis, moins on mange. Et le vieux n’avait garde d’oublier le proverbe :
Ne rassasie pas de pain ton valet :
Du beurre il te demanderait.
Le petit était d’une famille rustique, mais d’une de ces familles de campagne où l’on sait se faire honneur. Sa mère l’avait voué à la Sainte-Vierge. — Cela va jusqu’à la première communion : ce jour-là, ces enfants déposent leur vœu : désormais ce n’est plus de bleu qu’on les habille.
Mais les habits bleus du petit sous les pluies, la poussière, sont devenus couleur des choses ; et pas question de première communion. Il vivait chez ce vieux comme il eût pu faire chez le blaireau. Jamais un mot pour rire, ou un mot d’amitié, ou un mot pour se souvenir de Dieu. En fait de bénédicité, le vieux n’aurait récité que celui du meunier de Pomponne :
Bénédicité,
La soupe est trempée !
Mon Dieu nous sommes assez.
Laissez les autres passer.