Une histoire vraie ? En voici une toute simple et jolie, qui nous fut contée par une des Sœurs Missionnaires-Catéchistes d’Alice Munet. Une de ces Sœurs blanches au calme et lumineux sourire, dont la vie est vouée au salut des Noirs.
* * *
O Vierge, comme vous êtes maternelle, pour vos enfants de la terre…
Le soir tombait. Un peu de vent se leva dans les palmes…
Le village, tout calme, se reposait au bord de l’oasis. Les troupeaux, lentement, s’en venaient boire à la source, plongeant leurs naseaux altérés dans l’eau vive. Les pâtres attendaient, les yeux fixés sur l’horizon, d’un rose-feu. L’heure était pleine de grâce.
Pleine de grâce… Sourire de la terre. Et sourire du ciel. Les Pères venaient d’arriver, en tournée de mission, dans ce village aux confins du désert, et non évangélisé encore. Quelques indigènes se groupaient autour des robes blanches.
Les porteurs de la mission, accroupis autour d’un feu de lentisques, préparaient le repas du soir. Pour les Pères, ils songeaient à dispenser la Bonne Nouvelle, la parole de Dieu, le pain des âmes. Et déjà, pour que leur passage soit fécond, ils le confiaient à la Vierge, Mère de toute grâce. Le chapelet aux doigts, ils égrenaient des Ave, sous le ciel rose et pur.
Au bruit des Ave, une vieille Noire sortit d’une case voisine. Elle était vieille, oui, toute cassée, ses cheveux crépus blanchis par les ans… peut-être par la douleur. Elle s’approcha de ceux qui récitaient la prière mariale. Elle écouta le salut à la Vierge. Soudain, elle eut un cri léger, tendit la main vers le chapelet du plus âgé des Pères, le saisit d’un geste fervent.
Le Père laissait le chapelet dans la main noire, comme une bénédiction. La vieille femme tournait et retournait une médaille d’argent, fixée près de la croix en bois d’olivier.
« La médaille de la Vierge. Elle est belle… » dit le Père.
Sans répondre, la vieille Noire chercha une médaille. qui pendait à son cou, attachée par un cordon de raphia.
« Vois ! dit-elle gravement. Elle est pareille à celle que m’a donnée mon fils.
— Ton fils est baptisé ? »
Le bras tendu, elle désigna un tumulus, non loin de sa case.
« Depuis vingt ans, mon fils dort là, à l’ombre de ma demeure. Au temps de la Grande Guerre, il était parti en France, défendre le pays. »
Le pays ! Douceur d’entendre la France appelée ainsi, au sein de l’Afrique noire ! Une émotion coulait au cœur de ceux qui s’étaient exilés par amour.
« Il était parti… Il m’est revenu malade. Il m’est revenu pour mourir… Là-bas, on l’avait fait chrétien. Et chaque jour, il redisait : Sainte Marie… Il m’avait appris à le dire ».
L’émotion croissait, au cœur du Père.
« Tu es chrétienne ? »
Elle hocha sa tête crépue.
« Pas encore. Mon fils était très malade… »
Des larmes embuaient les paupières flétries.
« Il en était à son agonie lorsqu’il me tendit cette médaille, et me souffla, tout épuisé, ces quelques mots : Maman, promets-moi de porter cela toujours sur toi et de dire tous les jours : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous…, car je veux qu’à ta mort tu viennes me rejoindre près de la Sainte Vierge Marie.
— Et alors ?
— Mais, répliquai-je, qui est-ce cette Sainte Vierge Marie ? Il me répondit : Je n’ai plus la force de te l’expliquer et il me regarda.., d’un regard que je n’oublierai jamais… Puis il expira. Et ainsi, depuis vingt ans, je porte cette médaille sur moi ; elle m’est chose sainte, et tous les jours je répète souvent : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous… »
Chère âme de bonne volonté ! Miracle de la Vierge maternelle, qui avait ménagé la providentielle rencontre ! Tard dans la nuit, à la lueur rougeoyante des braises, et sous le feu d’argent des étoiles, le Père instruisit la vieille Noire qui désirait Dieu depuis si longtemps, et qui Le possédait déjà par le désir…
A l’aube, l’autel dressé dans une case, la vieille femme assistait à sa première messe, et répondait pour la première fois aux trois Ave qui la terminent, précédant le Salve Regina.
Encore un jour, plein de lumière divine, et de la grâce des « Sainte Marie »… Pour celle-là, il fallait se hâter. Serait-elle encore en vie, lors d’un prochain passage ? Mais les Ave Maria avaient ouvert son esprit à la vérité, et son cœur à l’amour. Et le soir, ce fut le baptême.
Quel nom imposer à cette nouvelle enfant de Dieu, sinon celui de la Vierge qui l’avait conduite à la lumière, celui de Marie ?
Radieuse, la baptisée s’en fut conter son bonheur à son fils.
« Cette fois, je suis bien sûre de te retrouver… »
* * *
…Le lendemain matin, comme le Père s’éveillait, son catéchiste vint le rejoindre, très ému.
« Mon Père, la bonne vieille Marie est étendue morte, là-bas, sur la tombe de son fils »
Claude Solhac.
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