Cette année, dit maman, il n’y aura pas d’œufs de Pâques.
Les petits crurent tout d’abord avoir mal entendu. Pas d’œufs le jour de Pâques !
— Vous savez bien, poursuivit maman avec un soupir, qu’il n’y n ni sucre, ni chocolat.
— Mais, fit Sylvinette aux yeux bleus, ce sont les cloches qui les apportent et nous mangerions aussi bien des œufs de poule, tu sais.
— Ça m’étonnerait qu’elles en trouvent plus que moi. Allons, au revoir, mes chéris, soyez sages et à ce soir.
Maman s’en fut faire des ménages comme chaque jour, laissant Poupon sous la garde de Sylvinette.
— Vous en faites une tête ! chantonna Moineau-Gentil, passant la tâte par la fenêtre. Ne savez-vous pas que c’est le printemps, que les oiseaux sifflent et que dans le square il fait bien meilleur qu’ici ?
Il faut vous dire que Moineau-Gentil était très aimé des enfants. Je ne sais si vous l’avez remarqué, mais souvent, plus les gens sont pauvres, meilleurs ils sont pour les bêtes. Aussi, quand Sylvinette lui eut conté leur chagrin, l’oiseau réfléchit un instant, puis battit des ailes.
— Vous aurez des œufs de Pâques, foi de moineau ! Je vais dire un mot aux cloches : je suis au mieux avec le bourdon de Notre-Dame.
— J’en veux un qui se mange, déclara Poupon, le tout petit, pas un en plâtre, surtout !
Moineau-Gentil était déjà loin. Il vola à tire-d’aile, droit à son nid.
— Moinelle-Gentille, demanda-t-il, veux-tu me donner un de tes œufs pour Sylvinette ?
— Un de mes œufs-trésors ? Jamais ! On lui ferait du mal.
— Heu ! sans doute… Ah ! que c’est ennuyeux !
— Offre-lui une jolie pierre blanche à la place.
— Tu ne comprends pas.
— Oh ! si, je comprends, mais tu n’auras pas d’œufs de mon nid.
Moinelle-Gentille a, quand elle le veut, un air vraiment peu commode.
— Bien, dit son époux, j’ai heureusement de bons amis ailleurs.
1l se rendit auprès du bourdon de Notre-Dame, qui l’écouta parler. Puis, de sa voix de bronze, la cloche déclara :
— Par mon battant sonore, je veux bien déposer tous les œufs de la terre chez tes amis, à condition que tu me dises où en trouver.
— Compte sur moi, j’ai mon idée.
Moineau-Gentil s’orienta, puis fila vers le Jardin des Plantes et descendit devant la cage des colibris, où il avait des connaissances.
— Tiens, voici le pierrot ! s’écria la bande en le voyant. Quel bon vent t’amène donc de si matin ?
Et Moineau de raconter son histoire. Il parla de Sylvinette aux yeux pervenche, de Poupou, dans la mansarde, qui ne mangeait jamais à sa faim. Enfin, il sut si bien émouvoir son auditoire, que les colibris versèrent des pleurs de diamant en larmes véritables.
— Nous voudrions t’aider, dit l’oiseau-mouche, mais nos œufs sont si minuscules !
— Ça ne fait rien. Donnez-en quelques-uns au gros bourdon de Notre-Dame quand il passera.
— D’autant plus volontiers que nous sommes déjà nombreux dans notre enclos. On parle de nous séparer.
— Bon, fit le moineau, je vous prends au mot.
De là, il se rendit dans l’enceinte des autruches.
M. Autruche n’avait pas l’air content et il ne daigna pas accorder un regard au visiteur. Dame Autruche, accroupie dans un coin, poussait de longs soupirs.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Moineau-Gentil.
— Il nous arrive un grand malheur : je viens de pondre un œuf !
— Hourrah !
— Hélas non ! c’est bien trop tôt dans la saison. L’an dernier déjà, ma couvée a raté à cause de cela. Hi ! Hi ! Je veux tellement des petits autruchons !
— Qu’à cela ne tienne ! Je vais vous donner, un conseil, à condition que vous me donniez ce premier œuf pour une famille que j’aime et qui voudrait fêter Pâques.
— Prenez-le ! prenez-le !
— Non, gardez-le jusqu’à ce que le bourdon de Notre-Dame vienne le chercher. Quant au conseil, il est bien simple : Trempez-vous les pattes dans l’eau froide en évitant le soleil, tant que le moment propice à la ponte ne sera pas venu.
Le cœur plein de chansons, Moineau-Gentil s’en fut pirouettant dans le ciel bleu. Les enfants le trouvèrent en train de faire poudrette dans la poussière du square.
— Si j’ai un conseil à te donner, dit-il à Sylvinette, n’oublie pas de regarder dans la gouttière le jour de Pâques.
La veille de la grande fête, les enfants nettoyèrent soigneusement la gouttière et maman, pour leur faire plaisir, arrangea un nid de mousse artificielle.
Dans la nuit, on entendit un boum boum profond : c’était le bourdon de Notre-Dame rentrant de Rome qui, venant déposer les œufs, n’avait pu retenir un alleluia d’allégresse.
Au matin, lorsque Moineau-Gentil accourut pour partager la joie de ses amis, il les vit attablés autour du plus bel œuf à la coque qui soit.
Hé oui ! ils le mangeaient, l’œuf du miracle qui les régalait et Sylvinette avait des yeux si bleus de joie, qu’ils surpassaient en éclat le saphir des ailes de colibris, dont les jolis œufs ornaient l’humble table ; on eût dit même qu’ils avaient un peu de la lumière céleste qui rayonnait dans les cœurs en ce matin de Pâques.
Texte de Marcelle Vérité.
Illustrations de Geneviève Vallée.
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