Étiquette : <span>Alleluia</span>

Auteur : Bazin, René | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 13 minutes


« Dési­ré Prod­homme, en tout genre, fait ce qui concerne la bois­sel­le­rie ; bat les tapis, sa femme aussi. » 

Je revois la pan­carte de bois brut, sur laquelle était peinte, du bout d’un pin­ceau mal­ha­bile, cette énu­mé­ra­tion des métiers de mon­sieur et de madame Dési­ré Prod­homme. Elle ser­vait de fron­ton à une vieille porte, ouverte sur une cour aus­si vieille, à l’ex­tré­mi­té d’un fau­bourg. La giro­flée, sur l’a­rête du mur, rem­bour­rée de terre et de mousse, pous­sait comme dans une plate-bande. Et, de l’autre côté, par­mi les bar­riques vides, les paquets de cercles, les planches de fin châtaignier,les bottes d’o­sier qui trem­paient clans une cuve, maître Prod­homme tour­nait, sif­flait, cognait, var­lo­pait, rabo­tait ou limait, tâ de gagner la vie de ses huit enfants, celle de sa femme et la sienne. 

Tonnelier

Cela fai­sait dix, sans par­ler d’une chatte blanche qui man­geait presque comme une per­sonne, et il n’é­tait pas facile, avec la ton­nel­le­rie et même la bois­sel­le­rie, de nour­rir tant de monde. Aus­si, lorsque le phyl­loxé­ra, l’oï­dium et le reste des enne­mis de la vigne, buvaient, dans leur ver­jus, les ven­danges voi­sines ; lorsque de mau­vaises récoltes empê­chaient les fer­miers d’a­che­ter un bois­seau neuf et les mar­chands de mar­rons de se four­nir d’un nou­veau litre, il allait battre les tapis. Il les bat­tait sur la route en plein vent, les jetant à che­val sur une corde ten­due entre deux arbres. Et comme il avait l’hon­neur de battre les tapis de fête de la cathé­drale et le rou­leau de haute laine qui tra­ver­sait toute l’é­glise, les jours de grands mariages, et les car­pettes de plu­sieurs familles connues, sa femme l’ai­dait. D’où la pancarte. 

Celle-ci était des­ti­née à se modi­fier, puis à dis­pa­raître. Le pre­mier qui y por­ta la main, ce fut Dési­ré, non pas le père, mais le fils unique, un petit, qui avait une sœur aînée et six sœurs cadettes, et qu’on gâtait, pré­ci­sé­ment parce qu’on ne gâtait pas les autres, et pour une autre rai­son encore. Il avait de la voix. Un jour, en por­tant un vinai­grier, un vrai bijou de ton­nel­le­rie, chez un cha­noine, il avait dit : « Mer­ci mon­sieur », à l’ab­bé qui lui don­nait dix sous. Ce « mer­ci mon­sieur » avait fait sa for­tune. Le cha­noine s’é­tait écrié : 

« Répète merci. 

— Mer­ci, monsieur. 

— Répète encore. Tu as une voix d’ange ! » 

L’en­fant avait ri, d’un rire qui mon­tait indé­fi­ni­ment, plus clair que le tin­te­ment d’un verre de Bohême, plus per­lé qu’une chan­son de rouge-gorge. 

L’ab­bé, enthou­sias­mé, l’a­vait, huit jours après, fait entrer dans la maî­trise de la cathé­drale. Là, Dési­ré apprit à sol­fier, à connaître les clefs, les notes, à dis­tin­guer les dièses d’a­vec les bémols et à feuille­ter conve­na­ble­ment, pour y trou­ver l’of­fice du jour, les gros anti­pho­naires reliés en double cuir et gar­nis de fer aux angles. Pour l’ex­pres­sion, — chose admi­rable, au dire du maître de cha­pelle, — on n’eut pas besoin de la lui ensei­gner ; il la ren­con­trait tout seul, sans la chercher. 

Le Cha­pitre était ravi. Les plus vieux cha­noines ne se sou­ve­naient pas d’a­voir enten­du une voix d’en­fant de chœur pareille à celle de Dési­ré. Dieu sait pour­tant qu’ils n’é­taient pas jeunes, les plus vieux du Cha­pitre, et que, pour eux, le sacre de Charles X pou­vait reprendre encore les cou­leurs de la vie. Les der­niers pro­mus opi­naient de la bar­rette. C’é­tait, quand parais­sait le fils du ton­ne­lier, un sou­rire dis­cret et pater­nel, tout autour des pupitres en demi-cercle, une attente déjà char­mée. Quand Dési­ré lan­çait les pre­mières notes de l’an­tienne, cela deve­nait de la joie. Quelques-uns étaient poètes sans le dire. D’autres étaient saints sans le savoir. Tous s’ac­cor­daient secrè­te­ment à pen­ser qu’une telle musique n’a­vait rien de la terre. Des lueurs qui des­cen­daient d’un vitrail et se posaient sur la tête du petit don­naient à croire que les bien­heu­reux sou­riaient aus­si dans les verrières. 

Avec les amis, les pro­fits lui venaient : une col­la­tion offerte à la Pen­te­côte par le maître de cha­pelle, flat­té des com­pli­ments qu’on lui fai­sait de son élève ; une cas­quette de laine tri­co­tée par une vieille fille, en sou­ve­nir d’une messe de Gou­nod, où Dési­ré avait mer­veilleu­se­ment tenu une pre­mière par­tie ; de menues pièces blanches don­nées par des curés de la ville, ou des cha­noines du Cha­pitre qui diri­geaient, le soir, en petit comi­té l’exé­cu­tion d’un O salu­ta­ris ou d’un Regi­na cœli de leur com­po­si­tion. Les gains tri­plèrent quand la renom­mée de cet artiste de douze ans se fut répan­due dans le monde et qu’on lui deman­da de chan­ter aux messes de mariage. 

Auteur : Legrin, Albert | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Conte de Pâques

C’é­tait en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l’, vivait en la ville de Pon­tor­son une vieille femme, si âgée, si décré­pite, si ché­tive, si minable, que les anciens du pays n’a­vaient aucune sou­ve­nance de l’a­voir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habi­tait sur les bords du Coues­non une chau­mière bran­lante et, quand la tem­pête souf­flait de la grève, c’é­tait miracle que la hutte de Guil­hau­mette résis­tât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette mal­heu­reuse était la ter­reur du voi­si­nage : elle ne fai­sait pour­tant de mal à per­sonne ; inca­pable de tra­vailler, elle deman­dait d’une voix bien humble, bien sup­pliante, une aumône que la peur ne lui fai­sait pas refu­ser. Les jeunes gens pre­naient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n’o­saient aller jouer sur la grève, de peur d’être enle­vés par ce mau­vais génie à qui on attri­buait tout le mal qui arri­vait dans le pays.

Guilhaumette

Guil­hau­mette pas­sait son che­min en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remé­mo­rait, la pauvre, le temps où, gente jou­ven­celle aux joues fleu­ries comme une églan­tine, ce qui lui avait valu son sur­nom de la Rosée. Elle était fêtée, adu­lée par les hauts et puis­sants sei­gneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l’or à pro­fu­sion et bien sou­vent : hélas ! pour satis­faire ses fan­tai­sies, les fiers che­va­liers avaient pres­su­ré leurs vas­saux, enle­vé le néces­saire aux vilains pour dépo­ser leur or aux pieds de l’enchanteresse.

Mais les années étaient venues, les rides étaient appa­rues, les che­veux noirs avaient blan­chis, les joues s’é­taient creu­sées, la taille s’é­tait épais­sie, en un mot la vieillesse était arri­vée avec son cor­tège de dou­leurs, avec la faim, la froi­dure, avec le remords, mais non avec le repentir.

Nous sommes au Same­di-Saint, était accom­pa­gné cette année de neige et de fri­mas ; il tom­bait le vingt-cin­quième jour de mars, l’hi­ver avait été bien dur ; la faim avait fait de nom­breuses vic­times, la misère était grande, mais l’es­pé­rance du prin­temps pro­chain met­tait comme un rayon lumi­neux dans tous les cœurs, mal­gré la rigueur du temps.

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : À la découverte de la liturgie avec Bernard et Colette .

Temps de lec­ture : 18 minutes

Chapitre XVIII


Comme Yvon ces­sait de par­ler, un vol de ramiers pas­sa. Un ins­tant, le petit groupe le suit des yeux. Toute voi­sine, une bat­teuse fait entendre son ron­fle­ment, cou­pé de temps à autre d’un bref appel, ou domi­né d’une belle voix jeune qui chante à tue-tête un refrain du pays.

Un tel charme, pai­sible et fort, émane de ces choses, que, d’ins­tinct, per­sonne ne songe à le rompre.

C’est Yvon qui secoue son propre rêve pour dire :

— On « bat » chez le père Pierre ; vous écou­tez comme moi. Son­gez-vous à ce blé doré, de chez nous, dont on se ser­vi­ra quelque jour pour faire du pain ?

Blé pur pour fabriquer les hosties— Oh ! dit Colette, je sais ce que tu vas dire. On fera aus­si, avec le blé, le pain pour les hos­ties, mais avec une farine bien choi­sie, par res­pect, et sans y mêler de levure. Te sou­viens-tu, quand nous étions petits, nous allions tous chez le père Jacques choi­sir le sac de grains qu’il donne pour cela, chaque année, à M. le Curé : un beau sac, mis de côté entre cent autres, et dont il est si fier.

— Il a de la chance, mur­mure sim­ple­ment Nono.

— Oui, inter­rompt petit Pierre, et papa aus­si. Car, lui, il donne sa meilleure bar­rique de vin, et c’est lui tout seul, quand il est là, qui s’oc­cupe de cette bar­rique avec le père Pierre, pour être sûr que le vin soit pur.

— Com­ment pur ? réclame Nono. Le vin est tou­jours pur.

— Ah ! non, alors ! Papa dit qu’il y a des gens qui mettent un tas de sale­tés dedans, et puis, en plus, de l’eau et du sucre.

Yvon pré­cise :

— En effet, pour le Saint Sacri­fice, le vin doit être natu­rel sans avoir subi aucun mélange. Mais ne nous attar­dons pas trop, mes petits. Je vou­drais reprendre avec ordre notre étude.
Il faut d’a­bord, pour plus de clar­té, que je vous dise ceci : nous avons par­lé de ce qui pré­cède la Messe. Main­te­nant, com­pre­nez bien que le Saint Sacri­fice pro­pre­ment dit ne com­mence pas encore tout de suite. Il y a l’Intro­duc­tion ou pré­lude de la Messe, qui nous entrai­ne­ra jus­qu’au , puis encore l’A­vant-Messe ou , qui se ter­mine par le .