« Dis donc, André, si tu as envie de faire un tour avec nous, il reste une petite place sur la banquette. Tu nous aideras à décharger tout à l’heure. »
C’est Raymond, le grand frère de Jacques, qui parle. André réfléchit une minute. Rien ne le retient pour le moment. Ça va rudement être chic cette petite promenade, sur le lourd camion.
« Oui, pourquoi pas ? Par où passez-vous ?
— Nous allons franchir le pont du Rhône, puis nous rejoindrons, sur la route de Valence, le hangar où nous devons décharger nos poutres.
— Ça va ! En avant ! »
D’un bond, André saute sur la banquette, à côté du frère de son ami. Ils sont dix maintenant sur le lourd véhicule qui s’ébranle avec un bruit de ferraille.
« Inutile de parler ; pas moyen de s’entendre là-dedans. », crie le jeune homme.
D’ailleurs, André n’a pas envie de parler. Il lui suffit de regarder, de respirer largement l’air chargé d’enthousiasme de ce matin de printemps. Quand Raymond, du seuil de la scierie, l’avait hélé, il sortait de la petite église où chaque jour de ses vacances de Pâques il vient prier pour son équipe. Elle ne va pas trop bien en ce moment. On ne sait pas au juste pourquoi d’ailleurs, mais les gars n’ont plus la même ardeur qu’avant. « Peut-être qu’il manque des saints parmi nous ; des gars prêts à tout offrir pour les autres. Ça devient mou… on s’habitue ! » Mais malgré tout, ça n’a rien de décourageant ces pensées-là. C’est au contraire exaltant, et André se dit tout bas : « C’est quand même chic la vie, surtout quand on a un travail pareil à faire avec Jésus.
Oui, c’est chic ; mais c’est dur aussi. On n’est pas Cœur Vaillant « pour rire ». Et il le savait bien, le hardi garçon qui roulait sans le savoir vers son destin…
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Le pont, en un large pas de pierre, enjambait le fleuve. Le camion s’engagea en une résonnance infernale. Ce fut alors que, brusquement, la catastrophe arriva. André ne comprit rien. Il sentit soudain un choc formidable, puis il entendit des cris. Et puis, plus rien… Ce fut le vide, la nuit… Le gars n’était plus qu’une petite chose, emportée par le courant. La masse énorme du camion, en se retournant, l’entraîna dans son remous, puis il remonta comme un bouchon une fois, deux fois, à la surface. Sur son cœur, sur son insigne, ses mains s’étaient croisées.