Les saints protecteurs des animaux

Auteur : Vaultier, Roger | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutes

epuis des siècles, les culti­va­teurs des dif­fé­rentes pro­vinces de France invoquent un cer­tain nombre de bien­heu­reux, aux spé­cia­li­tés bien défi­nies, pour la pro­tec­tion et la pros­pé­ri­té de leur , de leur basse-cour et de leurs domes­tiques. Ces dévo­tions assez par­ti­cu­lières, mais fort tou­chantes, donnent lieu à des cou­tumes pit­to­resques, dont nous dési­rons aujourd’­hui pré­sen­ter quelques exemples à nos lecteurs.

Dans le Nord de la France, à Dom­pierre, le pèle­ri­nage de est en renom depuis des siècles. Le jour de l’As­cen­sion, vers 1890, envi­ron six mille per­sonnes se ren­daient dans cette petite loca­li­té, située non loin d’A­vesnes. Dès l’aube, une foule de fer­miers obs­truaient les rues du vil­lage. Cha­cun était por­teur d’une baguette de cou­drier dont l’é­corce avait été décou­pée en spi­rale avec le plus grand soin. Ils fai­saient trois fois le tour de l’é­glise en l’hon­neur, disait-on, de la sainte Tri­ni­té — en réa­li­té, pour suivre une tra­di­tion nul­le­ment chré­tienne. Puis, après avoir tra­ver­sé le haut de la grande nef, ils tou­chaient de leur brin de bois toute la super­fi­cie de la sta­tue du bon saint Etton, de la plante des pieds au som­met de la tête, et conti­nuaient leur marche. Le troi­sième périple ache­vé, ils se fai­saient ins­crire à la confré­rie, se fai­saient dire l’é­van­gile du jour et allaient, d’un pas allègre, trem­per leur brin­dille dans l’eau mira­cu­leuse de la fon­taine voi­sine. Au retour de leur pieux voyage, leur pre­mier soin était de se rendre dans leurs étables et de pro­me­ner sur le dos de leurs bêtes la baguette bénite afin d’ob­te­nir qu’elles fussent pré­ser­vées des acci­dents et des maladies.

Les pay­sans visi­taient aus­si le sanc­tuaire de Bien­vil­lers-au-Bois où ce saint, peu connu dans l’his­toire, était éga­le­ment prié ; ils chan­taient un long can­tique dont voi­ci un extrait :

Vaches, che­vaux et bre­bis,
Par­tout ce saint est notre appui,
De loin comme de près,
Il peut par­tout nous pré­ser­ver …

Saint Etton protecteur du bétail

Un autre pas­sage de ce pieux poème nous dévoile les buts de ce pèlerinage :

À Bien­vil­lers-au-Bois,
Vil­lage du quar­tier d’Ar­ras,
Là où est saint Etton,
Pro­tec­teur de tous ces can­tons,
Un nombre de gens vont infi­ni­ment (sic)
En dévo­tion ser­vir saint Etton,
Offrant leur cœur à Dieu,
Au nom de ce saint glo­rieux,
D’a­pai­ser les fléaux
Qui règnent sur les animaux …

Si saint Etton est sur­tout véné­ré dans cer­taines par­ties du Cam­bré­sis, saint Blaise est, dans de nom­breux dépar­te­ments, le patron des bêtes, prin­ci­pa­le­ment des porcs. À Singles, dans le Puy-de-Dôme, et dans d’autres loca­li­tés, les habi­tants por­taient à l’é­glise, le 3 février, date de la fête du bon saint, un qui­gnon de pain de ménage et une assiette de sel. Avant de com­men­cer la messe, le prêtre s’ap­pro­chait de la balus­trade du chœur et bénis­sait ces objets que cha­cun tenait à la main. De retour chez eux, les fer­miers dis­tri­buaient à leurs vaches, veaux, cochons et bre­bis le pain et le sel, afin de les pré­ser­ver toute l’an­née des mala­dies ; un mor­ceau de ce pain était don­né — contrai­re­ment aux règles litur­giques — aux chiens, afin de les empê­cher de contrac­ter la rage. Par­fois, c’é­taient les bes­tiaux eux-mêmes que, sur la place du vil­lage, le curé asper­geait d’eau lustrale.

En Bour­gogne, autre­fois, d’a­près un folk­lo­riste, « dans les vil­lages où des autels lui avaient été édi­fiés, le jour de sa fête, les offrandes les plus dis­pa­rates abon­daient et venaient gros­sir les pro­fits de l’é­glise. Nul n’a­vait garde de man­quer à ce pieux défi­lé, tou­jours très pro­duc­tif, et, en fai­sant l’of­frande de son bétail, cha­cun appor­tait quelque chose. »

En Bour­bon­nais, saint Menoux était fort en renom. Le 1er juillet au matin, dans la petite bour­gade qui porte son nom, les pèle­rins venaient, en rangs pres­sés, lui appor­ter leurs hom­mages et lui pré­sen­ter leurs trou­peaux à bénir.

En Bre­tagne, le culte popu­laire des saints est tou­jours fort impor­tant et de-ci de-là, à tra­vers les ajoncs, une humble cha­pelle se dresse où, de temps en temps, les hommes aux gilets bro­dés et les femmes aux coiffes aériennes viennent prier pour la san­té de leur cheptel.

Bretagne - Pardon de saint Gildas - Bénédiction des chevaux

La pro­tec­tion des bêtes de trait est confiée aux bons saints Gil­das, Her­vé, Éloi et Nico­dème. On conduit les che­vaux, fraî­che­ment étrillés, la cri­nière et la queue ornées de fleurs et de rubans, devant l’é­glise. Là, le cava­lier fait faire trois fois le tour de l’é­di­fice à sa mon­ture et boire de l’eau de la fon­taine. Une pro­ces­sion mon­tée suc­cède au saint sacri­fice. Elle se déroule sui­vant un che­min bien déter­mi­né. Elle est pré­cé­dée de tam­bours, de clai­rons, de binious, de ban­nières flot­tant au vent, et sui­vie des membres du cler­gé. Les culti­va­teurs déposent sur l’au­tel du saint thau­ma­turge des paquets de crins soi­gneu­se­ment enru­ban­nés, ou bien de l’a­voine dans des coffres dis­po­sés à cet effet ; par­fois, autour des sta­tues ou sur les murs de la source, on plante des fers à cheval.

Les bovins ne sont pas oubliés ; ils sont pla­cés sous la sau­ve­garde des saints Her­bot, Nico­dème, Cosme et Damien, Uzec, Tioul, Jorand, Maimbœuf — au nom pré­des­ti­né — et sur­tout de Cor­né­ly, dont le grand pèle­ri­nage se trouve à Car­nac. « Toutes les bêtes à cornes du pays, écrit O.-L. Aubert, qui connaît admi­ra­ble­ment l’ha­gio­gra­phie bre­tonne, sont bénies à l’is­sue de la messe. À Car­nac, elles sont ensuite menées aux champ de foire et ven­dues à l’en­can au béné­fice de la fabrique. Les bêtes ache­tées — elles le sont presque tou­jours par leur pro­prié­taire — sont recon­duites à l’é­table. Leur pré­sence pré­serve leurs congé­nères de toute mala­die, de tout acci­dent. À Car­nac encore, où l’on vend des cordes bénites pour atta­cher bœufs et vaches, sur l’au­tel de saint Cor­né­ly ; à Loc­quef­fret, sur le retable de saint Her­bot ; à Saint-Nico­dème on dépose des paquets de crins et du beurre. Les crins pla­cés devant saint Her­bot avaient, du temps de la marine en bois, une affec­ta­tion assez curieuse. On s’en ser­vait pour mettre dans le dou­blage des navires, afin de les pré­ser­ver des boulets. »

Les saints Jean, Antoine, Vincent, Gohard et Méen sont les pro­tec­teurs des porcs ; Mer­rhé est celui des biques ; Jean est l’ardent défen­seur des mou­tons ; Iltud, Gilles et André gardent les volailles ; Guin­gu­rien pro­tège les abeilles, et les sept saints de Plou­gas­tel-Daou­las, tel saint Fran­çois d’As­sise, étendent leur clé­mence sur les oiseaux.

Dans le Finis­tère, voi­ci saint Pol de Léon. Arri­vé au vieil oppi­dum romain qui prit son nom, il y trou­va, comme habi­tant, une laie qui nour­ris­sait ses mar­cas­sins ; il la ren­dit vite docile et, au bout de quelques années, eut à sa dis­po­si­tion un magni­fique trou­peau de porcs. Puis ce fut, dans le creux d’un arbre, un bel essaim d’a­beilles sau­vages, qui lui don­na vite de quoi peu­pler une quan­ti­té appré­ciable de ruches.

Saint Mathurin protecteur des veaux

, le grand thau­ma­turge de la folie, est aus­si, au beau pays des ajoncs d’or et des clo­chers à jour, le céleste pro­tec­teur des bovins. On l’in­vo­quait à Mon­con­tour, dans les Côtes-du-Nord, à cette char­mante cha­pelle où sont encore conser­vées de nom­breuses et amu­santes sta­tues. Sui­vant G. Mil­lour, qui a publié un livre char­mant sur l’ha­gio­gra­phie vété­ri­naire de la Bre­tagne, on adres­sait au patron de Lar­chant cette curieuse invocation :

Saint Mathu­rin de Mon­con­tou,
Don­nez de bons viaux à nous !

Près du bourg de Saint-Gan­ton, il exis­tait aus­si, au temps jadis, une cha­pelle dédiée à saint Mathen­lin (forme bre­tonne de Mathu­rin). Un beau jour, deux culti­va­teurs s’y ren­dirent en pèle­ri­nage. L’un d’eux avait une vache qui était au plus mal. Le pauvre fer­mier, déso­lé, s’écria :

— O mon bon saint Mathen­lin, si tu gué­ris ma bête, je te don­ne­rai une « moche » de beurre aus­si grosse qu’elle.

— Que dis-tu là … dit l’autre pay­san, tu ne pour­ras jamais accom­plir ta promesse !

— Tais-ta donc, tais-ta donc, répon­dit tout bas le pre­mier, on peut tou­jours pro­mettre et ne point tenir.

Mais il ne fait pas bon ruser avec les saints : le soir même, l’a­ni­mal mourait !

De nom­breux bien­heu­reux sont encore invo­qués en faveur des ani­maux. Saint Antoine est tou­jours le patron des por­ce­lets. Les naïfs ima­giers du moyen âge ont aimé le repré­sen­ter debout ayant à ses pieds un petit cochon. Saint Hubert et saint Roch pro­tègent les chiens ; saint Denis les pou­laillers — par suite d’un calem­bour : des nids ; saint Blaise est prié fort dévo­te­ment par des fidèles qui font bénir de petits sacs d’a­voine des­ti­née à être mélan­gée à la nour­ri­ture du bétail.

Une par­tie du para­dis a été mise ain­si à contri­bu­tion par nos popu­la­tions rurales afin de gué­rir leurs poules, che­vaux ou gorets. Patiem­ment, les folk­lo­ristes recueillent, à tra­vers nos pro­vinces, les sur­vi­vances de ces pra­tiques super­sti­tieuses peut-être [empreintes de pié­té popu­laire], mais non dénuées de charme.

Roger Vaul­tier
Le Chas­seur Fran­çais N°637 Mars 1950

Source : http://perso.numericable.fr/cf50/articles/1950/1950189A.htm

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