Le hérisson inutile

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Temps de lec­ture : 11 minutes

On sait que Jésus est né dans une étable. Mais dans l’étable, il n’y avait pas que lui et ses parents, Joseph et Marie. Même le len­de­main matin, après le départ des mages et des ber­gers. Il y avait aus­si des ani­maux. Le bœuf et l’âne, bien sûr, c’est connu, mais pas ceux-là seule­ment. Si l’on ne parle que d’eux, c’est parce qu’ils se sont bien débrouillés. Où que ce soit, il y a tou­jours des malins qui s’arrangent pour être sur la photo.

Le bœuf, par exemple, s’était ins­tal­lé là, il trô­nait. Il avait failli se faire sor­tir, Joseph trou­vait qu’il était de trop. Il esti­mait que ce n’était pas la place d’un balourd comme lui. Il avait com­men­cé à lui don­ner des tapes sur l’arrière-train pour le mener dehors. Mais Marie avait dit : « Non, laisse-le ! Au contraire, fais-le appro­cher, il va réchauf­fer le petit, il fait froid. » Et le bœuf se gon­flait d’orgueil. Presque autant que la gre­nouille de Jean de la Fon­taine. Bon, on dira ce qu’on vou­dra, ce bœuf était utile.

L'âne et le boeuf réchauffent l'Enfant JésusMais Joseph n’avait pas remar­qué qu’au fond de l’étable, il y avait aus­si un âne. Celui-ci, voyant le suc­cès du bœuf, a vou­lu se faire remar­quer. Il s’est mis à chan­ter : « Hi-han, hi-han ! » Marie a dit : « Ah non, fais-le taire, c’est hor­rible ! Mets-le dehors, il va faire peur au petit ! » Mais Joseph a répon­du : « Je pense qu’il vaut mieux le gar­der. On ne sait jamais, on aura peut-être besoin de lui. » C’était bien vu, parce que quelques jours plus tard, ils en ont eu besoin, de cet âne. Ils se sont enfuis avec lui, qui por­tait Marie et le bébé. Les sol­dats du méchant roi Hérode vou­laient le tuer, cet enfant-là ! Joseph a donc fait avan­cer l’âne près du bébé. Une bête en sus, ça fait de la cha­leur en plus. Et du coup, l’âne deve­nait utile, lui aussi.

Donc : le bœuf et l’âne. Mais en réa­li­té il y avait bien d’autres bêtes dans cette étable ! D’abord il y avait des chiens. Il y a tou­jours des chiens dans les envi­rons d’une étable. Ils montent la garde. Essayez d’entrer dans la cour d’une ferme et de vous appro­cher de l’étable ! Vous ver­rez si les chiens n’arrivent pas à toute allure ! Ils aboient, et ils montrent les crocs en gro­gnant ! Mais là, on les avait fait entrer à cause du froid. À condi­tion qu’ils res­tent près de l’entrée, ils aver­ti­raient en cas de dan­ger. Ils étaient utiles.

Mais il y avait aus­si des ani­maux qui n’étaient pas utiles, dans cette his­toire. Sim­ple­ment, on n’avait pas pen­sé à les chas­ser. Tenez, les chauves-sou­ris, la tête en bas, accro­chées aux poutres tout là-haut. On n’allait pas les déran­ger, les réveiller, elles auraient effrayé Marie. Ça aurait réveillé aus­si le bébé. Et il y avait les petites sou­ris, et même quelques gen­tils gros rats. Pas ras­su­rés, ni les unes ni les autres, bien cachés dans leur trou. Mais quand même curieux, le nez fré­mis­sant juste sor­ti, pour savoir : « Qu’est-ce qui se passe ? Pour­quoi tout ce tin­touin, au petit matin, en plein hiver ? » Vous voyez, il y avait beau­coup d’animaux, dans cette étable. Et même, il y en avait un qui se réveillait juste à l’instant. Il dor­mait tout l’hiver, d’habitude, bien mus­sé dans la paille. Sous un tas de brin­dilles et de copeaux. Bien au chaud, bien tran­quille. Un petit héris­son qui avait drô­le­ment som­meil et qu’on avait réveillé. « On ne peut plus être tran­quille, de nos jours, dans une étable, se disait-il. Serait-ce seule­ment pen­dant trois mal­heu­reux mois ! Je vois bien ce que c’est, ce sont encore ces humains ! Ça fait du bruit, et ça se dis­pute, et ça crie, et ça se bat, et ça pleure, et ça chante ! Pas vrai­ment utile. »

Le hérisson à la crècheÇa y est, il était réveillé, il ne pour­rait plus se ren­dor­mir… Tant qu’à y être, autant aller voir ce qui se passe. Et ce héris­son, qui s’appelait Chpic­tou, a sor­ti tout dou­ce­ment le nez de son nid, lui aus­si. Pru­dem­ment, len­te­ment, silen­cieu­se­ment. Il y avait de la lumière, dans un coin de l’étable. On avait fait du feu, appa­rem­ment, loin du tas de paille et du foin. Il y avait des gens auprès du feu, sem­blait-il. On enten­dait même un drôle de bruit, comme celui que ferait un petit être nou­veau-né. Le pro­blème de Chpic­tou, c’était qu’il était miraud. Les héris­sons n’ont pas de bons yeux. Pas aus­si pire que ceux de la taupe, bien sûr, mais quand même. D’ailleurs, je le pré­cise, dans l’étable il n’y avait pas de taupe. Les taupes étaient dehors, bien enfouies dans la terre, le long des murs. Notre héris­son s’avance donc un peu pour mieux voir. Et puis encore un peu. Et puis encore un peu. Et puis encore un peu. Si bien que Marie l’a vu.

Elle l’a regar­dé en sou­riant. Quand on voit un joli petit héris­son, en géné­ral on sou­rit. Mais quand Marie sou­riait à quelqu’un il se pas­sait quelque chose. Celui ou celle qui avait reçu ce sou­rire se sen­tait tout ému. D’ailleurs, l’archange Gabriel lui-même, quelques mois aupa­ra­vant, semble avoir été tou­ché… Car cer­taines des paroles qu’il avait adres­sées à Marie… Mais pour reve­nir à notre héris­son, il ne peut plus se tenir. Il s’approche tout près.

Marie était en train de com­men­cer à laver le bébé. Elle l’avait démaillo­té, et elle cher­chait quelque chose qui aurait pu lui ser­vir d’éponge. Pour net­toyer le der­rière du bébé. Alors Chpic­tou s’est avan­cé, il s’est pro­po­sé. Marie a écla­té de rire : « Ah oui, vrai­ment ! Je me vois bien en train de cares­ser le der­rière de mon bébé avec les piques d’un héris­son ! » Et Joseph a repous­sé d’un coup de pied Chpic­tou pour le chas­ser. Pas un grand coup de pied mais quand même. Un petit coup du côté du pied, juste pour se débar­ras­ser de la petite bête.

Hérisson en bouleÇa l’a fait rou­ler plus loin. Et là, pen­dant un bon moment, il est res­té en boule, toutes piques dres­sées. Que vou­lez-vous, on ne se refait pas, un héris­son, ça se hérisse. Mais au bout d’un cer­tain temps, il s’est remis à regar­der. Ah comme il aurait aimé être près de ce bébé, dans les bras de Marie ! Bon, il était clair pour lui que le saint bar­bu ne l’au­rait pas lais­sé faire. Il était là pour pro­té­ger sa femme et le bébé. Mais Marie, elle le regar­dait à nou­veau, lui, et elle lui sou­riait. « C’est vrai, pen­sa-t-il, elle m’aime ! » Et en fait, il avait rai­son, elle le trou­vait chou. Mignon.

Le voi­là donc qui s’approche à nou­veau. Il avait remar­qué que saint Joseph s’était assou­pi. Donc il s’approche, il s’approche, il s’approche tout près. Tout près, si près d’elle qu’il touche son vête­ment. Elle ne s’en aper­çoit pas, elle pense à autre chose, bien sûr. Elle est en train de mettre dans son cœur toutes ces choses qui arrivent. C’est ce qu’on peut lire dans l’évangile. Mais le bébé le voit. Le bébé est content, il voit le héris­son et ça le fait rire.

On dira, bien sûr, qu’un bébé nou­veau-né ne voit rien et ne sait pas encore rire. Il y a tou­jours des gens qui gâchent tout, même une his­toire de Noël. Moi ce que je dis, c’est que ce bébé-là, il voyait et il riait – là ! Mais Marie n’a pas com­pris pour­quoi le bébé riait. Elle a cru qu’il était tout sim­ple­ment content. Elle l’a regar­dé, elle lui a sou­ri, elle a même ri, elle aus­si. De plai­sir, de bon­heur. Et pen­dant qu’elle riait, le héris­son a grim­pé le long de son vête­ment. Et tout à coup, Marie a sen­ti quelque chose de piquant, mais alors de très piquant. C’était Chpictou.

Elle a sur­sau­té, le bébé a pleu­ré. Joseph s’est réveillé un peu mécon­tent. Il a vou­lu attra­per le héris­son et le jeter au loin, très loin, ça se voyait. Mais Marie l’a arrê­té. Elle a dit : « Regarde comme il est mignon ! » Et ses paroles ont cal­mé le bébé qui s’est ren­dor­mi, et Joseph aus­si c’est cal­mé. Joseph, quand Marie le regar­dait d’une cer­taine manière, même furieux il se calmait.

Mais il a dit quand même : « Il est peut-être mignon, mais ici il sert à quoi ? Il ne sert qu’à piquer les gens et à leur faire du mal. » Le pauvre Chpic­tou, il est deve­nu très triste. Il se disait ; « C’est vrai, à quoi je sers, à quoi ça sert un héris­son ? » Un char­pen­tier est for­cé­ment por­té à se deman­der à quoi servent les choses. Et là, il pen­sait qu’il ne ser­vait à rien, ce héris­son. Sur­tout dans cette his­toire où vrai­ment, il était en trop. C’était l’histoire de Jésus nais­sant, en fait. Pas une his­toire de hérisson !

À quoi peut bien ser­vir un héris­son dans une his­toire de Noël ? Une his­toire avec des anges qui chantent très bien pour l’arrivée du bébé. Ou avec des mages, qui sont de grands savants qui viennent féli­ci­ter le bébé. Ou alors, si vous pré­fé­rez, des rois qui apportent des cadeaux au bébé. Ou des ber­gers qui arrêtent de gar­der les trou­peaux pen­dant la nuit pour venir voir le bébé. Ou même une his­toire avec un bœuf et un âne. Qui ne sont pas dans les évan­giles, c’est vrai, mais qui tiennent quand même chaud au bébé.

Les animaux, boeuf, chien à la crèche

« Bon d’accord, a dit Marie, il ne sert à rien, et alors ? » Elle vou­lait dire qu’il ne ser­vait à rien dans cette his­toire de Noël. Parce qu’en dehors de cette his­toire les héris­sons sont très utiles. En été ils net­toient les jar­dins. Mais en hiver, dans une étable d’il y a deux mille ans, un héris­son ne sert à rien. Sur­tout pour s’occuper d’un bébé ou d’une jeune accou­chée. Bref, Marie avait pris le petit héris­son dans ses mains, elle le regar­dait ami­ca­le­ment. « On n’a pas besoin de ser­vir à quelque chose ! Même si l’on ne sert pas à grand’chose, on peut être un per­son­nage impor­tant. Sur­tout dans cette histoire ! »

Et elle avait rai­son. C’était une his­toire, celle du bébé, qui disait à quel point tout le monde est impor­tant. Chaque per­sonne : grand ou petit, roi ou mage, ange ou ber­ger. Grand gaillard char­pen­tier ou jeune maman. Grand bar­bu ou petit piquant. C’est une his­toire pour dire ça. Le héris­son était donc là, et tant mieux s’il était inutile.

Eh bien depuis lors, on a peint très sou­vent les per­son­nages de cette his­toire. L’histoire de la nais­sance du bébé-mes­sie. On en a fait des tableaux. Et chaque fois qu’on l’a peinte, le petit héris­son s’y trouve. Si, si, si. Mais bien sûr, on ne le voit pas. Comme c’est l’hiver, il dort, bien à l’abri, bien caché aux pieds de Marie. Si vous regar­dez bien, vous ver­rez peut-être un de ses piquants appa­raître. Tenez, juste der­rière une sandale.

Elle a de jolis pieds, Marie, vous ne trou­vez pas ?

Décembre 2009

D’a­près Jean Alexandre

Coloriage de noël

Source : https://alexandre2.pagesperso-orange.fr/herisson#herisson

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