La bûche de Noël

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Contes du sonneur de cloches .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Maman leur avait dit, ce matin-là, avant de sortir :

— Soyez bien sages tous les trois. Mathieu, tu veille­ras sur tes sœurs.

Et Mathieu, tout fier de son impor­tance, avait répondu :

— Oui, maman !

Et il s’a­mu­sait avec les petites filles, Véro­nique qui était sa jumelle (ils avaient dix ans) et Cathe­rine qui n’a­vait pas encore six ans. La maman était allée livrer son tra­vail, une fine bro­de­rie sur laquelle, depuis plu­sieurs semaines, elle usait ses yeux qui avaient tant pleuré.

— Pour­vu que ma cliente me paye, avait sou­pi­ré la pauvre veuve. C’est ce soir et je vou­drais bien faire un gen­til réveillon à mes enfants.

Enfants pauvres regardant les vitrines de Noël

Les enfants aus­si pen­saient à Noël. Mathieu, tout en ali­gnant sur le plan­cher les mor­ceaux de bois qui étaient cen­sé­ment un train, revoyait les beaux éta­lages qu’il avait admi­rés toute cette semaine, dans les rues, en allant à l’é­cole : les dindes mar­brées de truffes, les fruits de toutes les cou­leurs, les col­lines de mar­rons gla­cés, les mon­tagnes de fon­dants et de chocolat.

Véro­nique, elle, s’é­tait plus volon­tiers arrê­tée devant les jou­joux ; les pou­pées, toutes plus jolies les unes que les autres, les ménages, les petites bou­tiques d’é­pi­ce­rie avec leurs tiroirs éti­que­tés et leurs minus­cules balances pour jouer à la mar­chande. La petite fille en rêvait…

Quant à Cathe­rine, elle n’al­lait pas encore à l’é­cole et ne sor­tait guère ; aus­si elle ne connais­sait que par ouï-dire toutes ces mer­veilles, mais cela ne l’empêchait pas d’en par­ler comme les autres.

La mai­son­nette qu’ils habi­taient était à quelque dis­tance de la ville, en lisière de ce que l’on appe­lait la forêt. À vrai dire, cette forêt, jadis, cou­vrait des éten­dues, mais, peu à peu, les hommes l’a­vaient abat­tue, défri­chée ; des routes l’a­vaient tra­ver­sée, des hameaux, des vil­lages avaient sur­gi, des champs rem­pla­çaient les hal­liers. Il ne sub­sis­tait à pré­sent de la pro­fonde et sau­vage forés que ces quelques vieux chênes pro­mis à la hache. Déjà des bûche­rons étaient venus à l’au­tomne et avaient com­men­cé le ravage. Puis l’hi­ver était arri­vé, arrê­tant leur tra­vail. Comme cette terre appar­te­nait à un homme cha­ri­table, il avait per­mis à la veuve de s’y appro­vi­sion­ner de bois que les enfants se char­geaient d’al­ler ramas­ser, quand il en était besoin.

La mati­née s’a­van­çait. Les petits bavar­daient gaiement.

— Maman va sûre­ment rap­por­ter quelque chose de bon pour ce soir, disait Cathe­rine, peut-être des confitures…

— Des gâteaux…

— Du boudin…

— Pour­quoi pas une dinde et du Champagne…

En disant cela, Mathieu haus­sait les épaules, comme pour se moquer de lui-même.

— En atten­dant, il faut pen­ser au déjeu­ner, il est onze heures.

Véro­nique, en petite ména­gère avi­sée, pelait déjà les pommes de terre pour la soupe quand la maman ren­tra, les mains vides et le visage fati­gué. Les enfants n’o­saient l’in­ter­ro­ger, mais leurs regards disaient leur déception.

— La cliente n’é­tait pas chez elle, mes ché­ris… La ser­vante a pris la bro­de­rie, mais elle n’a­vait pas l’argent pour me payer.

— Alors, pas de réveillon, maman

— Mais si, nous avons encore des châ­taignes et un petit pot de miel. Ce sera déli­cieux, n’est-ce pas, en ren­trant de la messe de minuit

— Déli­cieux, répé­taient doci­le­ment les enfants.

Mais leurs bouches fai­saient la moue et leurs yeux s’emplissaient de larmes.

— Cou­rage, mes bons ché­ris. Notre-Dame des Grâces ne nous aban­don­ne­ra pas. Je suis allée le lui deman­der tout à l’heure.

Notre-Dame des Grâces

Dans la cathé­drale, La Sainte Vierge était hono­rée depuis des siècles sous le vocable de Notre-Dame des Grâces. L’an­tique sta­tuette d’i­voire avait été per­due, brû­lée ou bri­sée, croyait-on, par les révo­lu­tion­naire, mais on en avait une copie exacte, une Vierge assise avec l’En­fant debout sur ses genoux. Dans le bra­sille­ment des cierges, elle trô­nait comme une reine et sou­riait comme une mère.

— Notre-Dame de Grâces va-t-elle nous envoyer notre réveillon ? deman­da la petite Catherine.

— Peut-être… En tout cas, elle sait ce qui est le meilleur pour nous.

Le repas s’a­che­vait. Le ciel gris du matin s’é­clair­cis­sait un peu et un pâle rayon de soleil essayait de per­cer les nuages.

— Maman, dit tout à coup Mathieu, si nous n’a­vons pas de réveillon, nous pou­vons du moins brû­ler la de Noël. Il y a là tout prêt une vieille souche que j’ai remar­quée. Per­mets-tu que nous allions la cher­cher tous les trois ?

— Allez mes petits, mais ne vous faites pas de mal, sur­tout si elle est trop lourde pour vous.

— Pas de danger…

Un bon­net de laine sur la tête, un capu­chon aux épaules, les enfants s’é­loi­gnèrent sous les grands arbres. La vieille souche était bien là, à demi-enfouie sous les mousses et les feuilles mortes. Mal­gré le froid qui les engour­dis­sait, les petites mains s’ac­ti­vèrent de telle manière qu’en peu de temps, la souche fut déga­gée, prête à être empor­tée. Mais elle pesait si lourd que les efforts des enfants l’é­bran­laient à peine.

— Nous ne pour­rons jamais l’a­voir, dit Véro­nique. Il vaut mieux la lais­ser et ramas­ser beau­coup de petit bois.

Mais Mathieu était tenace. Il ôta son bon­net, se grat­ta la tête en signe de per­plexi­té et déclara :

— J’ai trou­vé. Nous allons cher­cher le chariot.

C’é­tait une planche mon­tée sur quatre rou­lettes que leur père, jadis, avait agen­cée pour leur per­mettre de faire des glis­sades sur l’herbe.

Tout en cou­rant, car le jour bais­sait, ils s’en furent à la mai­son et revinrent, traî­nant le cha­riot. Pour aller plus vite, ils y avaient juché Cathe­rine qui bat­tait des mains en riant de plai­sir et un peu de crainte.

Bûche recouverte de mousse

La souche était plus lourde que la petite fille. Quand ils l’eurent fait bas­cu­ler sur le pla­teau, il leur fal­lut s’at­te­ler tous les trois à la corde et tirer dur. Il fai­sait tout à fait nuit lorsque, rouges, les yeux brillants et les membres las, ils rap­por­tèrent triom­pha­le­ment leur trou­vaille à la veuve qui se récriait d’admiration :

— Quelle bûche de Noël ! Croyez-vous qu’elle va tenir dans la cheminée ?

Une odeur de ter­reau était entrée dans la chambre avec la bûche un humus épais l’en­ve­lop­pait encore.

— Il faut enle­ver un peu ces vieilles feuilles et ces mousses, mes enfants. Sans cela, la bûche ne pour­ra pas s’allumer.

Mathieu et ses sœurs obéirent. Tout à coup, sous la main de la petite Cathe­rine, un énorme paquet de mousse bascula.

— Oh maman, quel gros trou !

Sous un nœud de racines, jadis sans doute au ras du sol, s’é­lar­gis­sait une pro­fonde cavi­té. Mathieu y mit la main et devint tout pâle

— Il y a une chose dans le fond, une chose lourde et froide et dure…

La veuve s’inquiéta

— Prends garde, mon fils. Si c’é­tait quelque ser­pent engour­di par l’hiver.

Mais non, ce n’é­tait pas un ser­pent. C’é­tait, au contraire, extraite enfin de cette gangue où elle avait repo­sé pen­dant des siècles, l’i­mage de Celle qui écra­sa la tête du ser­pent, c’é­tait l’au­then­tique sta­tue de Notre-Dame des Grâces !

Avait-elle été cachée là par des mains pieuses au moment de la tour­mente révo­lu­tion­naire ? Ou bien quelque bri­gand, espé­rant la vendre un bon prix, l’a­vait-il dis­si­mu­lée dans cette cachette, butin que la mort l’a­vait empê­ché de récupérer ?

Quoi qu’il en soit, c’é­tait bien elle, mer­veilleux ivoire pati­né par le temps, avec sa taille inflé­chie, son visage sou­riant et pur, son geste mater­nel. Les ors de son man­teau étaient ter­nis à peine et pas un doigt de ses mains déli­cates n’é­tait blessé.

La mère et ses enfants tom­bèrent à genoux et réci­tèrent un Ave Maria. La Vierge avait elle-même appor­té la réponse à la confiance. Notre-Dame des Grâces venait à eux les mains pleines.

Ayant enve­lop­pé la sta­tue dans son voile de mariée (la veuve n’ait pas trou­vé, dans sa pauvre mai­son, de tis­su plus pré­cieux), elle s’en fut avec ses enfants au pres­by­tère de la cathédrale.

Je vous laisse à pen­ser com­ment ils y furent reçus. Ce fut la propre ser­vante de l’ar­chi­prêtre qui fut char­gée des achats du réveillon et Mathieu l’ac­com­pa­gnait. De la sorte, rien ne fut oublié, je vous assure. C’é­tait un gar­çon avi­sé, ce Mathieu.

Plus tard, il apprit le latin et ce fut devant la sta­tue de Notre-Dame des Grâces qu’il célé­bra sa pre­mière messe.

La Saint Vierge lui devait bien cela !

Adoration des bergers - Carle Van Loo

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.