Calendo (Noël)

Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

Temps de lec­ture : 5 minutes

MÈRE-GRAND. — Mais la plus belle de toutes les fêtes, c’é­tait Calen­do, c’é­tait . J’é­tais la der­nière enfant et j’al­lu­mais la , lou cacho­fio, plus heu­reuse qu’une reine. C’é­tait, cette bûche, quelque vieille souche d’o­li­vier ou de poi­rier. Les gar­çons allaient la cher­cher au ver­ger, mes frères et les gars de labour, car on arrê­tait tôt le tra­vail ce soir-là. On la ren­trait à la mai­son, en silence, la por­tant reli­gieu­se­ment, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, le plus jeune de l’autre. Trois fois on lui fai­sait faire le tour de 1a grande salle, puis on la dépo­sait sur la dalle du foyer. 

Alors, le père s’a­ge­nouillait près du cachò­fiô, il y répan­dait un verre de vin cuit, avec une solen­ni­té reli­gieuse, comme un prêtre à l’au­tel. Comme il me parais­sait grand, mon père, soir-là ! De sa belle voix grave — il me semble l’en­tendre encore — il chantait : 

Allégresse ! Allégresse ! 
Mes beaux enfants, que Dieu vous comble d'allégresse !
Avec Noël tout bien vient.
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine
Et sinon plus nombreux, puissions-nous n'être pas moins.

De quel cœur tous nous reprenions : 

Allégresse ! Allégresse !

Alors, éle­vant son verre, le père invo­quait le feu : 

O feu, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps !
Emplis mes étables et mes bergeries de petits, 
Et ma maison de beaux enfants…

On dres­sait la bûche sur les grands lan­diers relui­sants et avec la flamme d’une chan­delle, moi, la der­nière-née, d’une main mal assu­rée, j’al­lu­mais les brin­dilles. La flamme s’é­lan­çait, joyeuse et claire, timide d’a­bord, léchant à peine la grosse souche obscure. 

À la bûche, bou­te­feu, disait le père en se signant. Comme de beaux iris d’or, les flammes mon­taient d’un jet, fleu­ris­sant la bûche de gerbes dan­santes, par­mi des guir­landes de bleuettes qui sau­tillaient, vives comme des lutins. 

Par les car­reaux, on voyait dans la nuit belle s’ou­vrir les fleurs d’or des étoiles et de loin se répon­daient les cloches de Noël… 

La table de Noël, pichoun ! Rien que de fer­mer les yeux, je la revois dans mon cœur, sous la douce clar­té de ses chan­delles, dans la lueur rose du cachò­fiô. La belle table avec ses trois nappes si blanches et fleu­rant la lavande. Les trois chan­delles dont il me semble, de si loin, voir vaciller la flamme tremblotante. 

Toute fière j’ap­por­tais mon blé de la Sainte-Barbe [1]. 11 faut vous dire que le jour de la fête de la Sainte-Barbe, on avait l’ha­bi­tude de mettre quelques grains à ger­mer. Je les avais semés dans trois assiettes blanches bien expo­sées au soleil. Chaque matin, durant ces trois semaines d’at­tente, dès mon réveil, je me pré­ci­pi­tais vers mes assiettes. Comme je sur­veillais avec amour les petites pousses vertes et quel bon­heur lorsque je les voyais grandir ! 

Nous dépo­sions sur la table lou gros pan calen­dau, le gros pain de Noël, orné de petites branches de houx, doré comme un gâteau. On ne l’en­ta­mait jamais avant d’a­voir tra­cé sur lui un signe de croix et l’on don­nait le pre­mier mor­ceau au pre­mier pauvre qui pas­sait : c’é­tait l’au­mône de Noël. 

Ensuite le menu tra­di­tion­nel : la morue frite, le muge aux olives, le car­don, les escar­gots à l’aïo­li. Et les frian­dises, je les dévo­rais des yeux : les fouaces à l’huile (galettes de blé noir), les rai­sins secs et les nou­gats d’amandes. 

Quand je voyais, assis autour de la table, toute notre famille, avec les grands-parents, oncles, tantes et cou­sins, je me sen­tais tout enve­lop­pée de chaude tendresse. 

Com­bien de Noëls se sont envo­lés depuis les jours loin­tains mon heu­reuse enfance ! Com­bien hélas de la sainte Tablée ne sont plus. 

Mais, avec chaque année, revient la fête du divin « Enfan­coun ». Et ce jour-là, dans mon vieux cœur se réveille mon cœur de petite fille. La petite fille qui man­geait son pain sec à quatre heures et gar­dait les deux sous de son cho­co­lat pour ache­ter le san­ton choi­si à la vitrine du libraire, petit bon­homme, petite bonne femme, dont on rêvait des semaines… La petite fille, qui sur le che­min de l’é­cole, regar­dait, curieuse, les blés ver­doyants de la Sainte-Barbe, sur le rebord des fenêtres, se deman­dant anxieuse : sont-ils aus­si hauts, aus­si verts que les miens ? Heu­reuse petite fille qui bat­tait des mains devant ce beau pain de Noël « orné de petit houx, fes­ton­né d’en­jo­li­vures » et fêtait le pauvre qui en rece­vait la pre­mière part. 

Cette petite fille des Noëls d’au­tre­fois vit tou­jours dans mon vieux cœur, par­mi les souvenirs…

  1. [1] On plan­tait ce blé dans un coin du champ, comme une béné­dic­tion.

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