Douce paix de Noël

Auteur : Quenette, Luce | Ouvrage : La Lettre de la Péraudière .

Temps de lec­ture : 18 minutes

« , hei­lige Nacht. »

Une his­toire vraie

Un saint curé 

Le 24 décembre 1818, mon­sieur le curé Josef Mohr reve­nait à son pres­by­tère d’O­ben­dorf, après le bap­tême du der­nier né de la famille Köh­ler. Oben­dorf veillait sous la neige. C’est un joli vil­lage au bord de la Sal­zach, à 15 km au nord de Salz­burg. Mon­sieur le curé était jeune (né le 11 décembre 1792) et très pieux. Sa paroisse, par consé­quent, vivait édi­fiante et sage. Mon­sieur le curé, rentre à la nuit, sen­tait la recon­nais­sance débor­der de son cœur de prêtre. Il venait de don­ner à l’É­glise un petit chré­tien. Et cette nuit sainte, nuit com­men­cée, il mon­te­rait à l’au­tel pour la messe de , messe mer­veilleuse que la cho­rale ren­drait encore plus belle car Oben­dorf jouis­sait d’un curé musi­cien et d’un orga­niste excellent, ins­ti­tu­teur au petit vil­lage voi­sin d’Arns­dorf. Cet orga­niste s’ap­pe­lait Franz Xaver Gru­ber. Mon­sieur le curé l’a­vait en grande ami­tié et sou­vent, les deux amis se réunis­saient pour la plus grande gloire de Dieu : le cure chan­tait, et Gru­ber l’ac­com­pa­gnait sur sa guitare.

La première inspiration

Ce soir-là, mon­sieur le curé avait donc grand besoin de se recueillir et de remer­cier Dieu dans l’at­tente de la grande action de minuit. Mais, tan­dis qu’il médi­tait hum­ble­ment le mys­tère de la sainte nati­vi­té, une grande paix l’en­va­hit, avec le désir d’ex­pri­mer les douces pen­sées qui affluaient dans son âme. Sans effort, comme d’un seul jet, il écrivit :

Stille Nacht, heilige Nacht, 
Alles schläft ; einsam wacht
Nur das traute hochheilige Paar.
Holder Knabe im lockigen
Haar, Schlaf in himmlischer Ruh !

Intra­dui­sibles ! parce que chaque langue a son génie, ces syl­labes rêveuses et dis­crètes, semées du doux éclat des voyelles encras­sées, rare­ment libres et brillantes, sans l’é­tin­cel­le­ment des langues « du Sud ».

Je tra­duis pour qui ignore la langue des lie­der, ce qui est bien per­mis. Mais je tra­duis le sens, exprès, sans tenir compte de la mélo­die que mon­sieur le curé n’a­vait pas encore : 

Nuit silencieuse, ô sainte nuit, 
Tout s'endort, seuls veillent
Les fidèles, les très saints parents.
Cher enfant, petite tête bouclée
Dors ton céleste sommeil.

Et puis, le jeune abbé écri­vit, avec même allé­gresse, les cinq cou­plets sui­vants où s’é­veillaient les ber­gers, volaient les anges, sou­riait l’En­fant Dieu. Mais, tou­jours, régnait dans son cœur la paix et un cer­tain silence mys­té­rieux qu’il ne vou­lait pas dissiper.

La deuxième inspiration

Cepen­dant, assez content de cette hymne jaillie de la sainte joie de Noël, la nuit lui parut, comme aux ber­gers, plus douce que le jour, et il ima­gi­na que son ami Franz Gru­ber, sans doute favo­ri­sé d’une ins­pi­ra­tion cor­res­pon­dante, met­trait en musique le Stille Nacht, hie­lige Nacht, qui venait d’éclore.

Voi­la notre jeune curé de nou­veau dans la neige, volant chez le brave Gru­ber qui veillait bon­ne­ment, lui aus­si, en atten­dant l’heure sacrée.

Nuit de grâce dans deux cœurs d’ar­tistes, purs et tout à Dieu. Les paroles plurent tel­le­ment à l’ins­ti­tu­teur que l’ins­pi­ra­tion lui vint, en effet, sur le champ. Avec quel plai­sir il eût joué à l’orgue l’air qui chan­tait dans sa pen­sée. Mais figu­rez vous que l’orgue était en panne. Cette nuit, les voix seraient toutes seules, pen­dant la grand-messe mais si justes, si bien exer­cées en pur grégorien. 

Cepen­dant, les deux amis décident de chan­ter leur hymne à l’é­glise après la messe. Quand le saint sacri­fice serait ter­mi­né, et les braves gens sur le point de quit­ter l’é­glise, il n’y aurait point d’ir­ré­vé­rence à ce que mon­sieur le curé, reve­nu promp­te­ment de la sacris­tie, accep­tât la fami­lière gui­tare de son ami pour accom­pa­gner le chant aus­si nou­veau né que l’En­fant de la crèche. Les pieux parois­siens auraient la sur­prise du pieux lied, dont per­sonne, sur­tout ses auteurs, ne sup­pose la destinée.

Gru­ber, en effet, sai­si lui-même par une paix et un recueillirent incon­nus, venait de modu­ler, comme si quel­qu’un la lui avait dic­tée, l’i­nef­fable mélo­die du Stille Nacht :

Histoire du Stille Nacht - Partition

Un chef d’œuvre

C’é­tait, de Noël, le saint mys­tère , non pas l’al­lé­gresse lumi­neuse du Glo­ria, ni même l’é­mer­veille­ment des ado­ra­teurs qui s’en­tre­tiennent de l’En­fant, mais le mys­tère d’a­mour, simple, calme, pai­sible, pro­fond, fami­lier et cepen­dant majes­tueux, d’une majes­té qui s’est faite petite, et qui attend une ado­ra­tion tendre, presque une ber­ceuse d’adoration. 

Tel est le Stille Nacht.

Nous avons nos chefs d’œuvre fran­çais où règne le joyeux, « le rond » et allègre 

Il est né le Divin Enfant.
Jouez haut­bois, réson­nez musettes ! 

Clair et réveillé comme l’es­prit de France, assu­ré et pré­cis dans son aimable contentement : 

Il nous est né un Sau­veur, une nou­velle qui sera une grande joie. Le petit Nou­veau Né, tout vif et char­mant dans sa crèche, sou­rit aux naïfs chanteurs. 

En 1818, à Obern­dorf, dans la vieille église, aujourd’­hui détruite (mais où une petite cha­pelle rap­pelle pieu­se­ment la nais­sance de l’hymne) l’En­fant divin s’en­dort, les anges volent dou­ce­ment, la mélo­die accom­pagne l’é­mo­tion recon­nais­sante des cœurs simples. 

Franz Gru­ber a dit sou­vent aux com­pli­men­teurs qu’il n’é­tait pour rien dans la com­po­si­tion éton­nante du Stille Nacht : « Ce sont les paroles, répé­tait-il, qui m’ont rem­pli le cœur ! » 

La paix de Noël, le silence fon­da­men­tal qui est le recueille­ment des âmes et que les saintes rumeurs de prière et de chant ne sau­raient trou­bler ! « Sa Mère conser­vait toutes ces choses dans son cœur. » Stille Nacht du cœur de Marie. 

Les deux pre­mières phrases musi­cales ne sont là que pour révé­ler et célé­brer cet auguste silence. La mélo­die, d’une sobrié­té invrai­sem­blable ne laisse émer­ger de sa dou­ceur que Alles : Tout s’endort.

Et puis les deux phrases sui­vantes, iden­tiques, évoquent ce ber­ce­ment d’a­do­ra­tion dont le sen­sible va et vient res­pire une émo­tion et un res­pect inef­fables. Enfin le Schlaf in himm­li­cher Ruh… demande pour être com­pris, une grande déli­ca­tesse d’exé­cu­tion. Sou­vent les enre­gis­tre­ments, même alle­mands, tou­jours dignes, ne rendent pas ce final ravis­sant. Le ciel vient de tou­cher la terre, l’âme a goû­té au repos céleste, unie à la sainte Vierge et à saint Joseph, elle a contem­plé l’En­fant Divin. Mais la touche divine sur l’é­lé­va­tion accen­tuée de himm(Licher) semble remon­ter au Para­dis d’où elle vient, les voix sur Ruh doivent à la fois se rele­ver, s’a­dou­cir et s’ef­fa­cer, tan­dis que, ras­su­rante et naïve, la répé­ti­tion obli­ga­toire, retombe en paix sur l’hu­main séjour. [1]

* * * * * *

Franz Xaver Gruber (1787-1863, compositeur de Douce Nuit)

Après la messe de minuit, char­més, sur­pris, les braves gens le furent. Saint Augus­tin parle avec émo­tion de « la jeu­nesse des hymnes » quand elles s’é­chap­pèrent pour la pre­mière fois des cœurs chré­tiens, par­fois dans la pro­fon­deur des cata­combes ou de l’hor­reur des cachots, et même, ô mer­veille, de l’a­rène san­glante où les confes­seurs cueillent la palme du mar­tyre. Rien ne res­semble aux pures hymnes de ce latin fami­lier comme un beau Noël populaire. 

Dans les sen­tiers, déjà, au retour, des voix d’une race qui n’a pas besoin d’ap­pren­tis­sage, com­men­çaient la gloire ano­nyme du Stille Nacht.

Car mon­sieur le curé et mon­sieur l’ins­ti­tu­teur, Noël pas­sé, ne per­dirent pas de temps à se décla­rer les auteurs d’une mer­veille. Ils étaient d’ailleurs bien trop inquiets du mutisme de leur orgue.

Un nid de souris

Vous com­pre­nez que je vous raconte là, en ces saints jours, une his­toire « dés­in­toxi­cante », une his­toire d’É­glise, de ce temps de res­pect, de paix chré­tienne, où le fidèle voyait sans effort Jésus Christ dans le Prêtre, où la vie d’une cam­pagne sui­vait le rythme même de la sainte Église. Trouvons‑y le repos et le rafraî­chis­se­ment de nos cœurs lassés. 

Il fal­lut attendre le prin­temps pour res­sus­ci­ter le petit orgue. Car, au prin­temps, pas­sait le répa­ra­teur ambu­lant Mathias Mau­ra­cher qui venait du Ziller­tal en Tyrol. La Pro­vi­dence veillait sur tout cela. Mathias répa­ra sans peine l’ins­tru­ment car le mal­heur n’é­tait pas grand : une sou­ris avait fait un trou dans le souf­flet pour y ins­tal­ler son nid. Le tra­vail ache­vé, le tech­ni­cien pria Gru­ber de jouer quelque chose pour voir si tout mar­chait bien. Le bon Gru­ber, sans même pen­ser, joua son Stille Nacht, le curé qui était là, se mit tout sim­ple­ment à chan­ter, Gru­ber fit la seconde voix. Le Tyro­lien enthou­sias­mé demande d’où vient ce noël inédit. Les deux amis se taisent, sou­rient d’un air embar­ras­sé et enten­du. Le Tyro­lien qui est connais­seur, craint de paraître ou igno­rant ou indis­cret, il n’in­siste que pour empor­ter le lied en son Tyrol natal.

Sui­vez bien la gra­cieuse et lente Providence ! 

Ren­tré dans son Ziller­tal, il chante sa trou­vaille, grand suc­cès. On l’a­dopte à l’é­glise, tout le vil­lage le chante. Les années et les Noëls passent.

Les quatre frères gantiers 

Et dans le vil­lage, le chantent sur­tout les quatre fils du fabri­cant de gants, Stras­ser. Ces quatre malins chan­taient à quatre voix pour le plai­sir des habi­tants. Mais leur père les envoie jus­qu’à la foire de Leip­zig pré­sen­ter la mar­chan­dise. Route fai­sant, (heu­reux temps où en avait le temps !) his­toire d’at­ti­rer l’at­ten­tion et peut être de res­pi­rer par une chan­son quelque brise de l’air natal, voi­là qu’un beau jour, ils chantent le Lied. Ravis­se­ment ! Nos pèle­rins recom­mencent le len­de­main et, ain­si, de ville en ville (les villes sans autos de ce temps là). 

À Leip­zig, leur répu­ta­tion, comme on dit dans les contes de fée, par­vint jus­qu’aux oreilles du chef d’or­chestre de la Gevandhaus.

Les quatre fils Strasser

Le Roi de Saxe

Et ce chef de les invi­ter à une soi­rée de grand gala où seront le roi et la reine de Saxe. À la fin du concert, il est deman­dé aux quatre enfants du Tyrol de réjouir leurs Majes­tés par quelques lie­der de leur pays. 

Stille Nacht, deve­nu tyro­lien, émeut le roi et la reine. Féli­ci­ta­tions, invi­ta­tion prin­cière au lied et aux frères gan­tiers pour Noël. Les gants s’en­volent aus­si­tôt de leurs rêves d’a­ve­nir, et on ne dit point, que, dans ces pays de musique, le papa Stras­ser se mit en colère quand ses quatre fils lui apprirent qu’ils lais­saient la fabrique pour aller de ville en ville, en qua­tuor vocal, pour­suivre la gloire des lie­der tyro­liens. Par­tout la fleur du suc­cès allait au Stille Nacht.

Dans leur sillage, le 25 décembre de toute l’Al­le­magne, peu à peu, s’or­nait du lied mys­té­rieux, dont per­sonne ne savait, ni ne deman­dait, l’origine. 

Que de mer­veilles ano­nymes en tous pays ont appor­té, ain­si, sur leurs ailes l’in­di­cible poé­sie de cette muse populaire.

C’est ce que dit Molière, qui connais­sait : « la pas­sion parle là toute pure ! » Mais quand « 1a pas­sion » est la pure ado­ra­tion dans la nuit mys­té­rieuse, une grâce vivante, un « bon­heur » s’at­tache au modeste chef d’œuvre, « modeste » comme l’é­table, comme la crèche, comme l’A­mour misé­ri­cor­dieux du Fils qui nous a été donné.

Le Roi de Prusse

« Il advint qu’un jour, bien des années plus tard, » le lied fut joué en Prusse, à un office (luthé­rien) et le roi Fré­dé­ric Guillaume IV l’en­ten­dit. Impres­sion­né, lui aus­si, il exi­gea, en roi de Prusse qu’il était, que son chef cho­riste lui révé­lât le nom de l’au­teur. Le chef avoua que per­sonne ne le connais­sait, ce qui parut incon­ce­vable et irri­tant au roi de Prusse. Il fit donc venir son chef d’or­chestre, Lud­wig Erk, spé­cia­liste connais­seur en chants popu­laires, et lui enjoi­gnit de lais­ser là ses concerts et de par­tir à la recherche sérieuse de l’au­teur inconnu.

Un rêve politique

Frédéric Guillaume IV

« Et si tous les hommes appre­naient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s’ac­cor­der ensemble et de voir, dans le monde, la paix uni­ver­selle ! » (Molière, Bour­geois Gen­til­homme, Acte I – 1)

L’Eu­rope avait sa chance. Un roi de Prusse qui devait régner jus­qu’en 1861, sans le Bis­mark du pan­ger­ma­nisme, fai­sait mener cam­pagne pour un lied popu­laire. L’hon­neur en revien­drait à l’, puis­sance catho­lique à laquelle ce roi paci­fique de Prusse, parce que musi­cien, à cause de la valse et des lie­der, devait lais­ser l’Em­pire et l’hé­gé­mo­nie. L’Eu­rope serait vite faite : la France défen­dant le Pape en ses États et, par­tout, le catho­li­cisme. Oubliés la Révo­lu­tion, le prin­cipe des natio­na­li­tés, la haine des races, les des­sins maçonniques ! 

Que de sang épar­gné ! Quel rêve de paix aux hommes de bonne volon­té ! hélas ! hélas !

Un moineau

Le chef d’or­chestre entre­prit son étrange voyage autant par goût que par obéis­sance. Il pen­sait jus­te­ment que le Stille Nacht avait vu le jour dans l’ai­mable Autriche. 

Le voi­ci à Vienne, le voi­ci dans telle et telle ville autri­chienne, le temps passe, les voyages sont longs, bien que je sup­pose, de la part du roi, bon cabrio­let et bons relais pour le maître musi­cien, le pauvre est tou­jours bredouille. 

Quels que soient les loi­sirs dans cette der­nière période for­tu­née de la vie euro­péenne il faut ren­trer chez soi. Il s’y résout. À la fron­tière bava­roise, atta­blé tris­te­ment dans une rus­tique auberge, il entend de la cage d’un moi­neau, s’en­vo­ler les pre­mières notes du Stille Nicht

Une sou­ris qui fit son nid et voi­là le lied par­cou­rant le monde. Un moi­neau, et voi­là notre envoyé du roi à bon droit bouleversé ! 

moineau chanteur

Vous voyez bien que cette his­toire vraie est comme un conte d’enchanteur ! 

Il appelle l’hôte : 

— « Mon ami, qui a dres­sé ce petit  ? »

— « Ce n’est pas moi, Mon­sieur, il m’a été don­né, tout savant comme il est. » 

— « Mais qui vous l’a donné ? » 

— « Un pauvre voya­geur qui ne pou­vait payer son écot. »
(O Pro­duc­ti­vi­té, ren­ta­bi­li­té, où est la grâce de vos échanges ? Un moi­neau chan­teur pour un dîner de cam­pagne : l’au­ber­giste s’es­time dédommagé !) 

— « D’où tenait l’oi­seau ce pauvre voyageur ? » 

— « De Salz­burg, Mon­sieur, je crois même de quelque élève de la cho­rale de Saint Pierre, les gamins dressent des oiseaux pour se faire un peu d’argent. »

Une hypothèse savante

Lud­wig connais­sait bien la belle abbaye de Saint Pierre, à Salz­bourg, et l’é­cole célèbre où avait pro­fes­sé jus­qu’à sa mort, Michel Haydn, le frère de Joseph, com­po­si­teur, orga­niste, maître de chœur. Telle avait été sa répu­ta­tion que l’ab­baye abri­tait son tom­beau. Erk pen­sait que l’ex­trême sobrié­té du lied cachait un art consom­mé, et qu’il fal­lait être savant com­po­si­teur, pour par­ve­nir à une si riche sim­pli­ci­té. L’au­teur était donc Michel Haydn. 

Tel rai­son­ne­ment a sa valeur. 

L’é­tude du génie ne vise-t-elle pas, chez les très grands, à retrou­ver par l’art le mou­ve­ment le plus natu­rel. Mais, en réa­li­té, l’ins­pi­ra­tion chez un humble musi­cien de race et la grâce d’une nuit de Noël avait brouillé les pistes les plus ingénieuses. 

Voi­ci Erk dere­chef à Salz­bourg. Et le père maître de la cho­rale Saint Pierre reçoit avec empres­se­ment l’en­voyé du roi. Il est ques­tion gra­ve­ment du moi­neau et du grand musi­cien défunt. 

Pour le moi­neau, le père est péremp­toire : autre­fois, oui, ces coquins d’é­lèves ont eu la manie de dres­ser des moi­neaux chan­teurs. L’ab­bé y a mis bon ordre : cha­cun se pas­sion­nait dans les classes pour son élève a plumes, et les études en étaient négli­gées. Défense fut faite… et obéie. Du moins, le pré­ten­dait le père maître, secrè­te­ment mor­du d’une légère inquiétude. 

Pour l’œuvre de Michel Haydn, bien que jamais il ne se fût révé­lé comme l’au­teur de ce lied incon­nu, il était aisé à mon­sieur le maître de chœur de consul­ter dans la magni­fique biblio­thèque de l’ab­baye, tous les docu­ments, ébauches et manus­crits musi­caux du compositeur. 

C’est ce que fit Lud­wig, plein d’un nou­vel espoir. Hélas, bien vain ! Il lui fal­lut bien­tôt retour­ner à Ber­lin, vers un roi de Prusse mécontent. 

Sté­riles, ses pro­fondes hypothèses. 

Bénie, sa ren­contre du petit moineau. 

Un pédagogue inquiet

Voi­là com­ment la fine Pro­vi­dence se rit des humaines pré­ten­tions. Un doute était donc res­té du cœur du maître moine. Sait-on jamais, avec les gamins ? La pein­ture inti­miste de ces années nous a lais­sé des tableaux char­mants de ces chœurs de jeunes clercs en robe rouge et rochet, un vieux maître fervent tenant la baguette ! grâce, gaie­té, espièglerie.

L’un d’eux, se disait-il, pour­rait avoir déso­béi, dresse et ven­du ce moi­neau mys­té­rieux. Com­ment décou­vrir le cou­pable que per­sonne ne dénon­ce­rait ? Le péda­gogue ne voyait appa­rem­ment pas plus loin que la dis­ci­pline. Car, si j’a­vais été en sa pla­cé, la chose eût été vite réglée : j’au­rais réuni mes confiants et loyaux élèves, et, par­don­nant d’a­vance et d’a­bord au déso­béis­sant, j’au­rais racon­té l’his­toire du moi­neau, la décep­tion de l’en­voyé du roi, le tout au nom de l’art, de la pié­té, du mer­veilleux Stille Nacht, et, confiant en mes gamins, comme eux en leur maître, je leur enjoi­gnais de me dire tout ce qu’ils savaient là-des­sus. L’en­thou­siasme d’en­trer dans le mer­veilleux aurait fait le reste. 

Mais mon moine ne son­geait qu’au règle­ment. C’é­tait ce moi­neau délic­tueux qui le tra­cas­sait. En gros malin, un jour enso­leillé où les jeunes cho­ristes, après une céré­mo­nie, étaient tous à la sacris­tie, fenêtre ouverte et, dans les arbres, oiseaux s’é­go­sillant, le rusé méfiant se place sous la fenêtre et siffle pres­te­ment les fameuses pre­mières notes. Silence sou­dain au-des­sus de lui. Une voix claire : « Ton moi­neau, qui est reve­nu ! » Reprise du moine sif­fleur, une jeune tête à la fenêtre, celle du petit Félix Gruber.

Épilogue

J’es­père que Félix ne fut pas puni. Car à la ques­tion : « Où avez-vous appris ce lied ? » la réponse éton­née et naïve : « Chez nous, puisque c’est mon père qui l’a fait ! » Le moine com­prit enfin qu’il tenait l’é­pi­logue d’un conte merveilleux. 

Nous sommes en 1854. Le vieux Gru­ber est alors Chor-Regent à Hal­lein, à 15 km au sud de Salz­bourg. L’ab­baye pos­sède de frin­gants équi­pages. Les beaux che­vaux sont atte­lés, le moine emmène Félix, le plus conscient témoin de la belle aven­ture, car, à son âge , on vit le mer­veilleux à plein cœur. En un ins­tant (un ins­tant de 1854 !) on vole au vil­lage d’Hallein. 

On s’ex­plique, on parle du roi, du maître de choeur, du moi­neau, de Félix. Le vieux régent, tout sim­ple­ment, évoque pour le moine, la nuit de Noël de 1818. Le saint curé son ami est mort le 4 décembre 1848. À lui, affirme tou­jours le bon Gru­ber, le mérite du Stille Nacht.

« Écri­vez promp­te­ment tout cela au roi de Prusse, Mon­sieur le Chor-Regent ! » Ce qu’il fit à loi­sir, sans hâte, étant sans vani­té, après le Noël de cette année là, le 30 décembre 1854. 

Le Roi lui répon­dit une belle lettre de recon­nais­sance… je ne sais rien de sa libé­ra­li­té et c’est de peu d’importance. 

L’ex­cellent Gru­ber conti­nua dix ans encore à diri­ger les chœurs pieux de sa petite paroisse. 

En 1864, deux années avant que la Prusse luthé­rienne ait écra­sé l’Au­triche à Sado­wa et qu’ain­si se soient pré­ci­pi­tés les mal­heurs de l’Oc­ci­dent, le modeste Gru­ber alla rejoindre son saint ami,

in himm­li­cher Ruh .…

Luce Que­nette

  1. [1] Je donne ici une faible tra­duc­tion qui res­pecte la musique (cer­taines tra­duc­tions fran­çaises ne se gênent pas pour ajou­ter des notes !) qui rend quelque chose de l’en­vol de cet himm­li­cher Ruh, par le nom de Jésus, mais c’est tra­hi­son quand même :
     Nuit de silence, sainte nuit, 
    Tout s'endort, rien ne bruit
    Et seuls veillent les saints Parents
    Sur le doux, le merveilleux Enfant.
    Dormez, petit Jésus.

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