Le Pâtre et les trois Mages

| Ouvrage : Lectures Catholiques .

Temps de lec­ture : 11 minutes

(Légende)

L’é­toile filait dou­ce­ment sous le ciel bleu, lais­sant der­rière elle une longue traî­née d’or, et les trois rois qui avaient quit­té leur palais de marbre au bout du monde, la sui­vaient anxieu­se­ment à tra­vers les monts, et les vallées. 

Les pages por­taient des pré­sents magni­fiques : l’or, l’en­cens et la myrrhe, et des cof­frets d’argent cise­lé, des­ti­nés à l’Enfant-Roi. 

« Le cime­terre au clair ou la lance sur l’é­paule, dit un auteur, leurs gardes les accom­pa­gnaient, et der­rière cha­cun d’eux, comme figés dans leurs armures étin­ce­lantes, mar­chaient trois écuyers, l’un por­tant l’é­ten­dard du maître, l’autre son sceptre et le troi­sième sa cou­ronne, sur laquelle, par ins­tants, les ors et les dia­mants lui­saient comme d’é­tranges lucioles. » 


À Jéru­sa­lem, l’é­toile sans pareille s’é­tei­gnit et les trois rois crurent qu’ils étaient arri­vés ; mais nul ne connais­sait le nou­veau Roi. 

Quelle tris­tesse !

Les rois Mages à Jérusalem interrogeant Hérodes

Hérode et les scribes, obli­gés de relire la pro­phé­tie de la nais­sance, leur dirent enfin : 

« Allez à Beth­léem ! Et lorsque vous l’au­rez trou­vé ajou­ta le farouche Hérode, annon­cez-le moi, afin que, moi aus­si, avec un cor­tège magni­fique, j’aille l’adorer. »

Ils reprirent la route ; mais l’é­toile, en les quit­tant, avait empor­té toute leur joie, ils se deman­daient anxieu­se­ment si l’in­di­ca­tion d’Hé­rode était bonne, car ce vilain prince leur avait fait fort triste impres­sion, et ils ne pou­vaient croire qu’il pût être l’in­ter­prète du ciel. 

« Essayons, avec notre seule sagesse, se dirent-ils, de faire quelque décou­verte utile ; lais­sons notre suite et allons seuls inter­ro­ger en ce pays » 

Ils ordon­nèrent donc à leurs écuyers et valets de s’ar­rê­ter, et ils mar­chèrent seuls à l’a­ven­ture dans la cam­pagne, enve­lop­pés en de larges man­teaux qui cachaient leur rang. 

Se lais­sant aller à l’ins­pi­ra­tion, ils s’é­car­tèrent et s’égarèrent. 

Le soir venu, ils cher­chaient encore leur route. En vain, des yeux inter­ro­geaient-ils l’ho­ri­zon : ils ne voyaient poindre ni les casques, ni les lances de leurs gardes. En vain, ils appe­laient : l’é­cho seul répon­dait à leurs voix. La plaine s’é­ten­dait devant eux, déserte et silen­cieuse. La nuit des­cen­dait dans le ciel où len­te­ment, une à une, les étoiles s’al­lu­maient comme des perles d’or, mais ils essayaient en vain de décou­vrir celle qui s’é­tait levée là-bas en Orient, sur leurs palais de marbre, et qu’ils avaient suivie. 

Ils res­taient là, tous trois, inquiets, à la recherche d’une hutte ou d’un abri, si pauvre fût-il, où ils pour­raient du moins attendre l’aurore. 

Mais ils n’a­per­ce­vaient aucune lumière ; aucune fumée ne mon­tait ; pas une clo­chette ne son­nait dans la plaine. 

Tout à coup, le roi Bal­tha­zar prê­ta l’oreille : 

— N’en­ten­dez-vous rien ? deman­da-t-il aux autres. 

Mel­chior et Gas­pard écou­tèrent à leur tour : 

— Ne serait-ce pas plu­tôt, fit le pre­mier, le vent qui fait bruire les branches ou les appels d’un ros­si­gnol per­du que l’é­cho apporte jus­qu’à nous ? 

Mais Gas­pard mon­trait la route : « Avan­çons tou­jours ! dit-il. Mur­mure du vent ou chan­son de ros­si­gnol, le bruit nous guidera. »


Et, à mesure qu’ils avan­çaient, le bruit deve­nait plus dis­tinct. C’é­tait main­te­nant comme un refrain joyeux qui mon­tait dans l’air, trou­blant seul le grand silence de la nuit, et, sous les arbres, là-bas, très loin, une lueur brillait, un peu de fumée blanche mon­tait dans le ciel. 

Les trois rois Mages pous­sèrent un cri de joie, en aper­ce­vant devant eux une petite cabane, sans doute la hutte d’un pâtre, qui, las­sé par le tra­vail de la jour­née, se chauf­fait, en chan­tant, au feu de son pauvre foyer. 

L’as­pect du réduit était des plus misé­rables. Par la fenêtre entr’ou­verte, curieux, ils regar­dèrent et virent un beau gar­çon de quinze à seize ans, qui, assis devant sa che­mi­née, où flam­bait joyeu­se­ment une : bras­sée de bois mort, jouait du galoubet.


Dou­ce­ment, les rois Mages frap­pèrent. Mais son galou­bet aux lèvres, l’autre tout à sa chan­son n’a­vait rien entendu. 

Alors, sans façon, ils pous­sèrent la porte qui n’é­tait pas même fer­mée au loquet, et ils entrèrent. 

Au bruit le jeune gar­çon se retour­na, parut tout sur­pris en aper­ce­vant devant lui ces trois incon­nus si étran­ge­ment vêtus. 

De grands man­teaux sombres cachaient soi­gneu­se­ment leurs simarres brodées. 

— Que vou­lez-vous ? demanda-t-il. 

— L’hos­pi­ta­li­té d’a­bord, répon­dit Mel­chior, de quoi man­ger, et un coin pour nous repo­ser. Tu nous indi­que­ras ensuite notre route, car nous sommes éga­rés et nous avons per­du nos compagnons. 

— Nous sommes trois pauvres mar­chands, ajou­ta Bal­tha­zar en fai­sant aux deux autres un signe d’in­tel­li­gence. Nous venons de l’O­rient, où nous avions été ten­ter la for­tune, mais où nous n’a­vons gagné que des misères et des peines. Nous mou­rions de fatigue et de faim. Nous avons enten­du ta chan­son, ta porte était ouverte et nous sommes entrés. 

— Et vous avez bien fait, inter­rom­pit le jeune gar­çon. La mai­son est pauvre, le logis petit, et la huche maigre, mais ma porte est ouverte à tout venant. Je ne suis jamais plus content que lorsque je peux par­ta­ger mon écuelle avec plus pauvre et plus malheureux. 

— Tu ne crains alors ni les méchants ni les voleurs ? deman­da le roi. 

— Non, reprit l’en­fant. Tant pis pour qui me vou­drait du mal ! Pour­quoi m’en ferait-on, d’ailleurs ? Qui vou­drait voler ici, ajou­ta-t-il en riant, serait le plus volé de nous deux. 

— Tu es un brave petit homme ! s’é­cria Bal­tha­zar en lui frap­pant ami­ca­le­ment sur l’é­paule ; un jour ou l’autre, tu rece­vras ta récompense. 

— Ma récom­pense ! fit-il. Mais je la trouve tout entière dans le conten­te­ment de moi-même dans ma gaie­té et mes chan­sons qui font mes jours heu­reux et mes peines moins amères. Je n’ai cure d’hon­neurs ni de richesses. Pour­vu que l’oi­seau ait un nid pour s’a­bri­ter, des feuilles pour dor­mir et quelques grains pour sub­sis­ter, il chante et ne demande pas autre chose. Je suis d’ailleurs bien tran­quille à ce sujet, ce ne sera jamais la for­tune qui frap­pe­ra à ma porte. 

— Qui sait ? dit le roi en s’asseyant. 

Ses deux com­pa­gnons firent de même. Pierre se mit à rire et sem­bla dire que ce ne serait certes pas der­rière eux qu’elle entre­rait, ce qui les amusa.


Puis, posant devant cha­cun d’eux une écuelle de bois pleine de lait et un mor­ceau de pain : « Le pain est dur, ajou­tait-il, mais le lait est frais. » 

Tout en man­geant, les rois Mages le regar­daient, et ils pen­saient que cet enfant, dans sa pau­vre­té, était peut-être plus heu­reux qu’eux dans leurs fabu­leuses richesses. 

Puis le repas fini : « Si je vous en jouais une main­te­nant ? fit-il. Vous ver­rez comme elles sont jolies, les chan­sons de notre vieux pays ! » 

jeune berger jouant du galoubet

Et pre­nant son galou­bet, le pâtre commença. 

Et, tan­dis qu’il jouait, les autres écou­taient, per­dus dans une longue rêve­rie, ces chan­sons qui, dans cette pauvre cabane, qu’é­clai­rait seule la lueur du foyer et la clar­té des étoiles, leur sem­blaient plus belles et plus douces que celles que chan­taient là-bas, devant leur trône d’or, les plus célèbres poètes, joueurs de cithares. Ils écou­taient, oubliant titres et royaumes, le cœur dou­ce­ment ému, heu­reux comme ils ne l’a­vaient jamais été. 

Ce chan­tait un « enfant mer­veilleux. » C’é­tait un roi, fils de David, né pauvre en une étable, c’é­tait un Sau­veur qui sou­la­geait tous les maux. Il appor­tait la paix et le bon­heur à la terre ; les princes vien­draient de Saba et des îles de Tharse et d’A­ra­bie appor­ter des pré­sents magni­fiques, de l’or et de l’encens. 

Quel était ce petit igno­rant, dont les accents de Pro­phète allaient autre­ment à leur cœur que les paroles savantes des scribes ?


Le matin, le pâtre repo­sait encore qu’un grand bruit se fit autour de la cabane, une inon­da­tion de cha­meaux se répan­dait dans la plaine ; les rois, déjà debout, recon­nurent leur escorte qui les retrou­vait enfin. 

— Vous ne pou­vez point par­tir sans empor­ter ce mor­ceau de pain oublié, dit le pâtre, et comme il vou­lait réga­ler ses hôtes, ceux-ci lui remirent trois bourses d’or. 

Et voyant qu’il recu­lait, étonné : 

— C’est à toi, dirent-ils ; nous avons reçu ton hos­pi­ta­li­té, par­ta­gé ton pain et goû­té un bon­heur incon­nu demande tout ce que tu vou­dras. Et, comme pour mon­trer qu’ils étaient capables de tenir de telles pro­messes, ils ouvrirent leurs man­teaux, dévoi­lant les simarres bro­dées, et il vit, sur les cein­tures d’or, l’é­me­raude royale ; et les var­lets, les gardes et les écuyers, étant entrés, s’in­cli­nèrent devant leurs maîtres. 

— Si tu veux, dirent-ils, nous t’emmènerons avec nous. 

— Oh ! je ne pren­drai pas ces bourses d’or : on pour­rait alors me voler ; et je ne sau­rais pas non plus vous suivre : on assure qu’il est né, aux envi­rons, un enfant venu du ciel pour sau­ver le monde, et je veux lui chan­ter mes chansons. 

— Oh ! où est cet enfant ? c’est lui que nous cherchons. 

— Allez alors à Beth­léem, et, si vous le trou­vez, reve­nez me le dire, que moi je puisse aller l’a­do­rer et lui por­ter de mon lait. 

— Nous te le pro­met­tons, foi de rois ! Que Dieu te rende le bien que tu nous as fait, mais, de grâce, chante-nous encore ta chan­son d’hier soir, que nous l’en­ten­dions sur le che­min en partant.


Et, comme ils s’é­loi­gnaient, écou­tant avi­de­ment et long­temps leur petit ami, ils virent sou­dain l’é­toile qu’ils avaient vue en Orient les pré­cé­der, et ils la sui­virent avec une grande joie. Bien­tôt elle s’ar­rê­tait là où était l’En­fant, avec Marie, sa Mère. 

Et se pros­ter­nant, ils l’a­do­rèrent.
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La nuit, pen­dant leur som­meil, un ange leur dit de ne point retour­ner vers Hérode… 

— Mais c’est impos­sible ! Nous avons pro­mis d’a­ver­tir le petit pâtre pour qu’il vienne, lui aus­si, ado­rer, et ser­ment de roi… 

À l’ins­tant, l’ange sem­bla sou­rire, et ils recon­nurent le petit ber­ger de la veille. 

En déployant ses ailes, il lais­sa voir ses haillons, deve­nus si beaux et si brillants que les rois tom­bèrent pros­ter­nés : leurs simarres et leurs cein­tures d’or étaient sans éclat. 

Le soleil brillait comme la veille, et, dans les flots d’or de ses rayons, l’ange ayant rejoint une troupe céleste, il reprit sans galou­bet son chant de la veille : Glo­ria in excel­sis Deo, et in ter­ra pax homi­ni­bus bonœ voluntatis. 

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix… 

Et ravis, ils s’en retour­nèrent dans leur pays par un autre chemin.

Coloriage Les rois mages suivent l'étoile
Source : https://www.coloring-life.com/fr/color-v3.php?lang=fr&theme-id=576&theme=Rois%20Mages&image=coloriage-epihanie-g‑6.jpg

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