(Légende)
L’étoile filait doucement sous le ciel bleu, laissant derrière elle une longue traînée d’or, et les trois rois qui avaient quitté leur palais de marbre au bout du monde, la suivaient anxieusement à travers les monts, et les vallées.
Les pages portaient des présents magnifiques : l’or, l’encens et la myrrhe, et des coffrets d’argent ciselé, destinés à l’Enfant-Roi.
« Le cimeterre au clair ou la lance sur l’épaule, dit un auteur, leurs gardes les accompagnaient, et derrière chacun d’eux, comme figés dans leurs armures étincelantes, marchaient trois écuyers, l’un portant l’étendard du maître, l’autre son sceptre et le troisième sa couronne, sur laquelle, par instants, les ors et les diamants luisaient comme d’étranges lucioles. »
À Jérusalem, l’étoile sans pareille s’éteignit et les trois rois crurent qu’ils étaient arrivés ; mais nul ne connaissait le nouveau Roi.
Quelle tristesse !
Hérode et les scribes, obligés de relire la prophétie de la naissance, leur dirent enfin :
« Allez à Bethléem ! Et lorsque vous l’aurez trouvé ajouta le farouche Hérode, annoncez-le moi, afin que, moi aussi, avec un cortège magnifique, j’aille l’adorer. »
Ils reprirent la route ; mais l’étoile, en les quittant, avait emporté toute leur joie, ils se demandaient anxieusement si l’indication d’Hérode était bonne, car ce vilain prince leur avait fait fort triste impression, et ils ne pouvaient croire qu’il pût être l’interprète du ciel.
« Essayons, avec notre seule sagesse, se dirent-ils, de faire quelque découverte utile ; laissons notre suite et allons seuls interroger en ce pays »
Ils ordonnèrent donc à leurs écuyers et valets de s’arrêter, et ils marchèrent seuls à l’aventure dans la campagne, enveloppés en de larges manteaux qui cachaient leur rang.
Se laissant aller à l’inspiration, ils s’écartèrent et s’égarèrent.
Le soir venu, ils cherchaient encore leur route. En vain, des yeux interrogeaient-ils l’horizon : ils ne voyaient poindre ni les casques, ni les lances de leurs gardes. En vain, ils appelaient : l’écho seul répondait à leurs voix. La plaine s’étendait devant eux, déserte et silencieuse. La nuit descendait dans le ciel où lentement, une à une, les étoiles s’allumaient comme des perles d’or, mais ils essayaient en vain de découvrir celle qui s’était levée là-bas en Orient, sur leurs palais de marbre, et qu’ils avaient suivie.
Ils restaient là, tous trois, inquiets, à la recherche d’une hutte ou d’un abri, si pauvre fût-il, où ils pourraient du moins attendre l’aurore.
Mais ils n’apercevaient aucune lumière ; aucune fumée ne montait ; pas une clochette ne sonnait dans la plaine.
Tout à coup, le roi Balthazar prêta l’oreille :
— N’entendez-vous rien ? demanda-t-il aux autres.
Melchior et Gaspard écoutèrent à leur tour :
— Ne serait-ce pas plutôt, fit le premier, le vent qui fait bruire les branches ou les appels d’un rossignol perdu que l’écho apporte jusqu’à nous ?
Mais Gaspard montrait la route : « Avançons toujours ! dit-il. Murmure du vent ou chanson de rossignol, le bruit nous guidera. »
Et, à mesure qu’ils avançaient, le bruit devenait plus distinct. C’était maintenant comme un refrain joyeux qui montait dans l’air, troublant seul le grand silence de la nuit, et, sous les arbres, là-bas, très loin, une lueur brillait, un peu de fumée blanche montait dans le ciel.
Les trois rois Mages poussèrent un cri de joie, en apercevant devant eux une petite cabane, sans doute la hutte d’un pâtre, qui, lassé par le travail de la journée, se chauffait, en chantant, au feu de son pauvre foyer.
L’aspect du réduit était des plus misérables. Par la fenêtre entr’ouverte, curieux, ils regardèrent et virent un beau garçon de quinze à seize ans, qui, assis devant sa cheminée, où flambait joyeusement une : brassée de bois mort, jouait du galoubet.
Doucement, les rois Mages frappèrent. Mais son galoubet aux lèvres, l’autre tout à sa chanson n’avait rien entendu.
Alors, sans façon, ils poussèrent la porte qui n’était pas même fermée au loquet, et ils entrèrent.
Au bruit le jeune garçon se retourna, parut tout surpris en apercevant devant lui ces trois inconnus si étrangement vêtus.
De grands manteaux sombres cachaient soigneusement leurs simarres brodées.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il.
— L’hospitalité d’abord, répondit Melchior, de quoi manger, et un coin pour nous reposer. Tu nous indiqueras ensuite notre route, car nous sommes égarés et nous avons perdu nos compagnons.
— Nous sommes trois pauvres marchands, ajouta Balthazar en faisant aux deux autres un signe d’intelligence. Nous venons de l’Orient, où nous avions été tenter la fortune, mais où nous n’avons gagné que des misères et des peines. Nous mourions de fatigue et de faim. Nous avons entendu ta chanson, ta porte était ouverte et nous sommes entrés.
— Et vous avez bien fait, interrompit le jeune garçon. La maison est pauvre, le logis petit, et la huche maigre, mais ma porte est ouverte à tout venant. Je ne suis jamais plus content que lorsque je peux partager mon écuelle avec plus pauvre et plus malheureux.
— Tu ne crains alors ni les méchants ni les voleurs ? demanda le roi.
— Non, reprit l’enfant. Tant pis pour qui me voudrait du mal ! Pourquoi m’en ferait-on, d’ailleurs ? Qui voudrait voler ici, ajouta-t-il en riant, serait le plus volé de nous deux.
— Tu es un brave petit homme ! s’écria Balthazar en lui frappant amicalement sur l’épaule ; un jour ou l’autre, tu recevras ta récompense.
— Ma récompense ! fit-il. Mais je la trouve tout entière dans le contentement de moi-même dans ma gaieté et mes chansons qui font mes jours heureux et mes peines moins amères. Je n’ai cure d’honneurs ni de richesses. Pourvu que l’oiseau ait un nid pour s’abriter, des feuilles pour dormir et quelques grains pour subsister, il chante et ne demande pas autre chose. Je suis d’ailleurs bien tranquille à ce sujet, ce ne sera jamais la fortune qui frappera à ma porte.
— Qui sait ? dit le roi en s’asseyant.
Ses deux compagnons firent de même. Pierre se mit à rire et sembla dire que ce ne serait certes pas derrière eux qu’elle entrerait, ce qui les amusa.
Puis, posant devant chacun d’eux une écuelle de bois pleine de lait et un morceau de pain : « Le pain est dur, ajoutait-il, mais le lait est frais. »
Tout en mangeant, les rois Mages le regardaient, et ils pensaient que cet enfant, dans sa pauvreté, était peut-être plus heureux qu’eux dans leurs fabuleuses richesses.
Puis le repas fini : « Si je vous en jouais une maintenant ? fit-il. Vous verrez comme elles sont jolies, les chansons de notre vieux pays ! »
Et prenant son galoubet, le pâtre commença.
Et, tandis qu’il jouait, les autres écoutaient, perdus dans une longue rêverie, ces chansons qui, dans cette pauvre cabane, qu’éclairait seule la lueur du foyer et la clarté des étoiles, leur semblaient plus belles et plus douces que celles que chantaient là-bas, devant leur trône d’or, les plus célèbres poètes, joueurs de cithares. Ils écoutaient, oubliant titres et royaumes, le cœur doucement ému, heureux comme ils ne l’avaient jamais été.
Ce berger chantait un « enfant merveilleux. » C’était un roi, fils de David, né pauvre en une étable, c’était un Sauveur qui soulageait tous les maux. Il apportait la paix et le bonheur à la terre ; les princes viendraient de Saba et des îles de Tharse et d’Arabie apporter des présents magnifiques, de l’or et de l’encens.
Quel était ce petit ignorant, dont les accents de Prophète allaient autrement à leur cœur que les paroles savantes des scribes ?
Le matin, le pâtre reposait encore qu’un grand bruit se fit autour de la cabane, une inondation de chameaux se répandait dans la plaine ; les rois, déjà debout, reconnurent leur escorte qui les retrouvait enfin.
— Vous ne pouvez point partir sans emporter ce morceau de pain oublié, dit le pâtre, et comme il voulait régaler ses hôtes, ceux-ci lui remirent trois bourses d’or.
Et voyant qu’il reculait, étonné :
— C’est à toi, dirent-ils ; nous avons reçu ton hospitalité, partagé ton pain et goûté un bonheur inconnu demande tout ce que tu voudras. Et, comme pour montrer qu’ils étaient capables de tenir de telles promesses, ils ouvrirent leurs manteaux, dévoilant les simarres brodées, et il vit, sur les ceintures d’or, l’émeraude royale ; et les varlets, les gardes et les écuyers, étant entrés, s’inclinèrent devant leurs maîtres.
— Si tu veux, dirent-ils, nous t’emmènerons avec nous.
— Oh ! je ne prendrai pas ces bourses d’or : on pourrait alors me voler ; et je ne saurais pas non plus vous suivre : on assure qu’il est né, aux environs, un enfant venu du ciel pour sauver le monde, et je veux lui chanter mes chansons.
— Oh ! où est cet enfant ? c’est lui que nous cherchons.
— Allez alors à Bethléem, et, si vous le trouvez, revenez me le dire, que moi je puisse aller l’adorer et lui porter de mon lait.
— Nous te le promettons, foi de rois ! Que Dieu te rende le bien que tu nous as fait, mais, de grâce, chante-nous encore ta chanson d’hier soir, que nous l’entendions sur le chemin en partant.
Et, comme ils s’éloignaient, écoutant avidement et longtemps leur petit ami, ils virent soudain l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précéder, et ils la suivirent avec une grande joie. Bientôt elle s’arrêtait là où était l’Enfant, avec Marie, sa Mère.
Et se prosternant, ils l’adorèrent.
.… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… .… …
La nuit, pendant leur sommeil, un ange leur dit de ne point retourner vers Hérode…
— Mais c’est impossible ! Nous avons promis d’avertir le petit pâtre pour qu’il vienne, lui aussi, adorer, et serment de roi…
À l’instant, l’ange sembla sourire, et ils reconnurent le petit berger de la veille.
En déployant ses ailes, il laissa voir ses haillons, devenus si beaux et si brillants que les rois tombèrent prosternés : leurs simarres et leurs ceintures d’or étaient sans éclat.
Le soleil brillait comme la veille, et, dans les flots d’or de ses rayons, l’ange ayant rejoint une troupe céleste, il reprit sans galoubet son chant de la veille : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonœ voluntatis.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix…
Et ravis, ils s’en retournèrent dans leur pays par un autre chemin.
Soyez le premier à commenter