(Légende).
Lorsque l’Ange du Seigneur eut averti Joseph d’avoir à fuir en Égypte, parce qu’Hérode cherchait l’Enfant pour le faire périr, il s’empressa, selon le commandement divin, de prendre l’Enfant et sa Mère, avec tout ce qu’il avait. Mais il avait peu de chose ; et, tout compte fait, il ne lui restait, pour un si lointain voyage, que trois pièces de celles qu’il avait reçues des Mages, lorsqu’ils étaient venus d’Orient à Bethléem pour adorer le Roi des Juifs.
Il prit ces trois pièces dans sa ceinture : « C’est sans doute, se dit-il, pour nous venir en aide dans cet exil que Dieu nous a envoyé ces hommes secourables qui sont ses serviteurs. Que son saint nom soit béni ! »
Il quitta Bethléem avec Jésus et Marie. C’était pendant la nuit obscure. L’âne marchait, les anges veillaient, Marie priait, Jésus dormait.
Lorsque le jour fut venu, la sainte Famille se trouva au pied des montagnes d’Hébron, où l’on montre encore le tombeau d’Abraham et de Sarah. Il y avait là un pauvre lépreux qui vivait caché dans une des nombreuses cavernes de ce pays, car il n’est pas permis aux lépreux d’habiter dans la société des hommes. Cependant, celui-ci, ayant entendu le pas des saints voyageurs, sortit de sa retraite et regarda. Jésus lui parut si beau, tout nimbé de lumière, Marie et Joseph lui parurent si bons, qu’il prit la confiance de s’avancer un peu pour leur faire sa prière. Mais il n’osait approcher tout à fait, car le lépreux est maudit, et celui-là est impur qui porte la main à la sienne. Il criait donc de loin : « O vous qui passez, serviteur et servante de Dieu, ayez pitié de moi ! »
Or Jésus, entendant la voix de la misère, s’éveilla et tendit ses bras au malheureux. Il regarda Marie, Marie regarda Joseph, Joseph fit approcher le lépreux et lui donna la première de ses trois pièces d’or ; car il avait compris que c’était la volonté du divin Fils de Marie. L’Enfant sourit, et de sa main il toucha le front du lépreux, qui guérit.
Ce lépreux s’appelait Simon. Il put rester parmi les hommes ; il y fit fructifier la pièce d’or que Joseph lui avait donnée et elle rendit cent pour un. Il devint riche, et plus tard il eut à Béthanie une maison où il reçut le Fils de l’homme à sa table. C’est là que Madeleine vint répandre son vase d’albâtre plein de parfums sur les pieds du Maître miséricordieux . [1]
Un autre jour, la sainte Famille, descendant de Beersebath, entrait dans le désert pierreux qui sépare la Judée le l’Égypte. Au-dessus d’elle s’enfuyaient les montagnes de Moab et les rivages désolés de la Mer Morte ; au-dessous d’elle montaient au loin les hauteurs du Sinaï qu’enflammait le soleil.
Joseph s’arrêta sur ces confins, pour y dresser sa tente. Là, ayant placé une pierre, il y fit reposer le divin Enfant et sa Mère, comme sur un autel. Il brûla devant lui quelques grains de l’encens qu’il avait reçu des Mages, et il invoqua le Seigneur, afin qu’il guidât ses pas dans la terre étrangère, comme autrefois il avait guidé Agar et son fils Ismaë1 dans le désert.
L’âne paissait, les anges veillaient, Marie priait, l’Enfant dormait.
Un voyageur passa, qui était jeune encore. Ses joues étaient caves, ses yeux éteints, ses membres décharnés. Il était couvert de haillons et paraissait malheureux à faire pleurer. Il demanda humblement quelque chose à manger : « Combien, s’écria-t-il, combien de mercenaires ont du pain en abondance dans la maison de mon père, et moi ici je meurs de faim ! »
Jésus se réveilla et lui tendit les bras. Marie comprit, tressaillit, et fit signe à Joseph qu’il donnât à ce pauvre du pain, un vêtement et la seconde pièce d’or qu’il avait. Joseph la fit bénir d’abord par l’Enfant — Dieu. Jésus la prit et la donna lui-même au malheureux, qui lui baisa la main.
Après qu’il eut mangé, le voyageur raconta qu’il était l’enfant prodigue, qu’il revenait de l’Égypte, et qu’ayant dissipé tout ce qu’il avait avec des gens de mauvaise vie, il s’en retournait vers son père pour lui dire qu’il n’était pas digne d’être appelé son fils, car il avait péché contre le Ciel et contre lui.
Jésus l’écoutait, lui souriait, et se penchait vers lui comme pour l’embrasser.
Mais lui, confus, se retirait, le front baissé, les yeux pleurants, et il disait maintenant : « J’ai péché, mais mon père aura pitié de moi ! »
La sainte Famille était entrée dans la terre d’Égypte ; elle touchait à l’ancienne ville de Péluse, sur la première bouche du Nil.
L’âne marchait, les anges veillaient, Marie priait, l’Enfant dormait.
Sur la même route un homme passa et salua, en disant : « Le Seigneur soit avec vous ! » C’était un Israélite du pays de Cyrène, qui est entre l’Égypte et la Grande-Syrie. 11 raconta qu’il se rendait à Jérusalem pour prier et sacrifier, selon la loi de Moise. Mais, comme il était pauvre, étant un homme des champs, de ceux que les Égyptiens appellent aujourd’hui Fellahs, il se désolait en pensant qu’il n’avait pas de quoi payer le didrachme que tout Israélite doit au temple, ni de quoi acheter la victime qu’il voulait offrir au Seigneur.
Jésus l’entendit et le bénit de sa main, que tenait la main de Marie. Joseph y mit la dernière de ses trois pièces d’or. Le voyageur la reçut d’un cœur joyeux, et s’inclinant, il dit : « Que le Seigneur vous garde à jamais, de tout mal ! Que votre Enfant soit grand parmi les fils des hommes ! Qu’il voie les jours de la Rédemption d’Israël, et qu’il me soit donné de le retrouver un jour sur le chemin de sa gloire ! »
Le Cyrénéen demeura dans la terre de Judée, près de Jérusalem, où ses fils Alexandre et Rufus furet des disciples de Jésus. Un jour qu’il se rendait aux champs, il rencontra Jésus, sanglant et épuisé, qu’on conduisait à la mort. C’est lui qui eut l’honneur d’aider le Sauveur des hommes à porter sa croix dans la montée du Calvaire.
Cependant la sainte Famille avait atteint le bord du fleuve sacré de l’Égypte. C’était la saison de la grande crue du Nil. Il coulait à pleins bords, roulant ses eaux rougeâtres, chargées de vase féconde, avec un gonflement tranquille, et il couvrait toute la campagne de sa nappe sans fin.
Joseph se demandait comment il le traverserait et le ferait passer à la sainte Famille, car il ne lui restait plus rien pour payer le péage. Marie se pencha vers Jésus pour l’interroger de son regard silencieux ; elle dit, parlant à des serviteurs invisibles : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
En ce moment une barque apparut sur la rive, amenée par les anges. La sainte Famille y entre. Les anges prirent les rames et tendirent au vent les voiles de gaze avec des cordages faits de fils de la Vierge, tissés par le soleil. Les flots émus se courbaient sur le passage de l’Enfant divin ; et, de la proue à la poupe, des voix célestes se renvoyaient ces paroles du prophète : « En ces jours-là, le Seigneur visitera l’Égypte, son autel s’élèvera sur la terre de Misraïm, et les Égyptiens lui offriront des présents, des Hosties, et il leur sera propice, et il leur apportera le salut. »
Mgr BAUNARD.
Décembre 1901
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- [1] Math., XXVI, 6. Marc, XIV. 3.↩
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