Il y a de cela bien, bien longtemps, les cloches sonnaient à toute volée dans un village perdu des montagnes d’Auvergne.
Elles envoyaient au loin leurs notes allègres, joyeuses et claires, et annonçaient aux pauvres pasteurs la venue du Messie, les conviant à aller adorer le Dieu de l’étable dans la modeste chapelle à Lui consacrée.
La neige couvrait la terre d’une couche épaisse.
Le vent soufflait avec violence, et au loin avec un fracas horrible, on entendait rouler, se précipiter dans la vallée, emportant tout sur son passage, la terrible avalanche.
Aux buissons, aux arbres rares, étaient suspendus ces minces fils argentés d’un aspect tout à la fois si charmant et si triste.
Les femmes jetaient sur leurs épaules leurs pelisses épaisses et chaudes.
Les hommes s’enveloppaient de leurs longs manteaux.

On se disposait à s’acheminer vers la maison du Seigneur pour y entendre célébrer la Messe de minuit et y entonner de joyeux Noëls en l’honneur de l’Enfant-Dieu.
De gaies jeunes filles d’un hameau voisin venaient de sortir de l’étable où elles s’étaient réunies en attendant l’heure solennelle.
Elles aussi avaient pris le sentier qui menait à la vieille église.
Sous leur pas alerte résonnait la terre.
Leurs joyeux caquets troublaient seuls le silence de la nuit.
Soudain, au milieu des rires, arriva jusqu’à elles un bruit, un bruit si étrange que toutes, au même moment, s’arrêtèrent pour écouter.
Près d’elles, à leurs pieds pour ainsi dire, se faisaient entendre des vagissements plaintifs semblables à ceux d’un nouveau-né.
C’était sans doute une illusion, car on était loin de toute habitation.
Aussi, après un instant pendant lequel on n’entendit plus que souffler la bise, mugir la tempête et s’éteindre les derniers accents des cloches, les jeunes filles, bien persuadées de s’être trompées, reprirent-elles leur route.
Mais à peine eurent-elles fait quelques pas qu’éclatèrent plus plaintifs, plus pressants, de nouveaux cris de détresse .
Nul doute, prés de là gémissait un être, en proie à la souffrance.
Elles se baissèrent, cherchèrent et finirent par découvrir une petite masse noirâtre qui se détachait sur l’immaculée blancheur de la neige.
Elles s’approchèrent, et que virent-elles ?
Dans un de ces lourds et longs sabots, que chaussent les habitants de nos campagnes, gisait une faible créature si mignonne, si jolie, qu’on pouvait aisément la prendre pour un ange du bon Dieu.
Le pauvre enfant était à demi-nu. Ses membres étaient engourdis par le froid. Sa voix s’affaiblissait et menaçait de se paralyser tout à fait.
Qui donc avait eu le courage d’abandonner ainsi son fils, son-nouveau-né ?
Qui avait eu la barbarie d’exposer un si petit être à une température si rigoureuse, et de le livrer en pâture certaine aux loups qui rôdaient affamés sur la montagne ?
Les joyeuses jeunes filles devinrent sérieuses tout-à-coup, prirent l’enfant et se mirent en devoir de le réchauffer de leur mieux.
Puis elles se demandèrent ce qu’elles feraient du chérubin qu’elles venaient de découvrir si inopinément.
Qui se chargerait de sa personne ?