Lorsque l’Ange du Seigneur eut averti Joseph d’avoir à fuir en Égypte, parce qu’Hérode cherchait l’Enfant pour le faire périr, il s’empressa, selon le commandement divin, de prendre l’Enfant et sa Mère, avec tout ce qu’il avait. Mais il avait peu de chose ; et, tout compte fait, il ne lui restait, pour un si lointain voyage, que trois pièces de celles qu’il avait reçues des Mages, lorsqu’ils étaient venus d’Orient à Bethléem pour adorer le Roi des Juifs.
Il prit ces trois pièces dans sa ceinture : « C’est sans doute, se dit-il, pour nous venir en aide dans cet exil que Dieu nous a envoyé ces hommes secourables qui sont ses serviteurs. Que son saint nom soit béni ! »
Il quitta Bethléem avec Jésus et Marie. C’était pendant la nuit obscure. L’âne marchait, les anges veillaient, Marie priait, Jésus dormait.
Lorsque le jour fut venu, la sainte Famille se trouva au pied des montagnes d’Hébron, où l’on montre encore le tombeau d’Abraham et de Sarah. Il y avait là un pauvrelépreux qui vivait caché dans une des nombreuses cavernes de ce pays, car il n’est pas permis aux lépreux d’habiter dans la société des hommes. Cependant, celui-ci, ayant entendu le pas des saints voyageurs, sortit de sa retraite et regarda. Jésus lui parut si beau, tout nimbé de lumière, Marie et Joseph lui parurent si bons, qu’il prit la confiance de s’avancer un peu pour leur faire sa prière. Mais il n’osait approcher tout à fait, car le lépreux est maudit, et celui-là est impur qui porte la main à la sienne. Il criait donc de loin : « O vous qui passez, serviteur et servante de Dieu, ayez pitié de moi ! »
Or Jésus, entendant la voix de la misère, s’éveilla et tendit ses bras au malheureux. Il regarda Marie, Marie regarda Joseph, Joseph fit approcher le lépreux et lui donna la première de ses trois pièces d’or ; car il avait compris que c’était la volonté du divin Fils de Marie. L’Enfant sourit, et de sa main il toucha le front du lépreux, qui guérit.
Temps de lecture :10minutesC’était la veille de Noël.
Malgré les gros flocons de neige qui voltigeaient dans les airs et tombaient sur le sol, qu’ils recouvraient d’un blanc et froid tapis toujours grossissant, les rues étaient pleines de passants affairés qui allaient et venaient dans tous les sens en se croisant et se bousculant.
Parmi cette foule pressée et bruyante, on aurait pu remarquer un jeune enfant, merveilleusement beau, mais pauvrement vêtu, qui errait de rue en rue, et s’arrêtait, de temps en temps, pour frapper à quelque porte, apparemment dans le but de demander l’aumône.
Ce n’était autre que l’enfant Jésus qui, s’ennuyant dans sa crèche solitaire à l’église, était sorti pour voir de plus près quelques-uns des enfants qu’il aimait tant.
Mais, comme il veut être aimé pour lui-même et non pour ses dons, il avait jugé à propos de se déguiser en petit mendiant afin de ne pas être reconnu.
À peine sorti de l’église il avait été attiré vers une des maisons voisines par le bruit joyeux qui s’en échappait : c’était comme un concert de voix et de rires enfantins.
– Il y en a là, des petits enfants ; allons les voir, pensa-t-il.
Il gravit les degrés du perron et sonna à la porte de cette maison qui était fort belle et devait appartenir à des gens riches.
Une servante vint lui ouvrir et fit d’abord la moue en voyant qu’elle s’était dérangée pour un simple petit mendiant ; mais Jésus leva vers elle un regard si doux qu’elle se sentit prise soudainement de pitié.
Le capitaine bourra sa pipe pour prendre le temps de rassembler ses idées, en tira deux larges bouffées, puis nous dit :
« Je me trouvais au Havre un soir de Noël ; il faisait très froid. Les deux lieutenants de la « Provence » et moi avions soupé tard et lentement, pour abréger autant que possible la longueur de la soirée. Tous les trois, anciens élèves des jésuites, tous les trois fanatiques des traditions, nous aurions renoncé à nos galons plutôt qu’à la Messe de minuit, à laquelle les marins ont si rarement l’occasion d’assister. Désœuvrés comme des officiers qui ne sont pas « de quart », nous décrétâmes d’aller faire un bridge au café Tortoni pour passer le temps et attendre minuit.
En traversant la place du Théâtre, nous aperçûmes, sur un banc de pierre, un enfant qui s’était endormi. Il était là sans doute depuis un certain temps, car les plis de sa pauvre petite blouse commençaient à être raidis par le froid. Nous l’éveillâmes doucement. Il se dressa si pâle sous la clarté du bec de gaz que nous pensâmes tout d’abord à le conduire chez un pharmacien. Mais le petit gars, habitué à la misère, était de robuste constitution, et nous comprîmes vite que c’était la faim seule qui l’avait endormi. D’un mouvement instinctif, nous plongeâmes nos mains dans nos goussets pour lui donner de quoi manger. Nous allions lui remettre le produit de notre collecte lorsqu’une idée me vint. Si nous donnons de l’argent à ce petit mendiant, me dis-je, il va certainement le porter à sa famille. Il ne recevra peut-être en échange que quelques croûtes de pain, qui sait… quelques taloches pour n’avoir pas rapporté davantage. Pourquoi donc, pensai-je, le petit Jésus qui passe ce soir chez tous les enfants sages qui ont un foyer ne viendrait-il pas aussi pour ce miséreux ?
Temps de lecture :16minutesDing-Dong… Deux petits moines, — des moinillons, — disent leur Angelus, leur bénédicité ; puis, tandis que les Pères prennent leur repas au réfectoire, ils déballent leurs petites provisions au pied d’une belle statue de Notre-Dame. Demi-pensionnaires au Couvent des Frères Prêcheurs (Dominicains), ils arrivent tôt, servent la messe, puis reçoivent les leçons du Père Bernard et l’aident dans son office de sacristain. Le soir seulement ils dévalent la colline pour rentrer chez eux, au village d’Alfange.
Cette histoire se passe au Portugal, au XIIIe siècle. Voilà cent ans, ce pays était encore aux mains des Maures, venus d’Afrique, et qu’ils avaient conquis cinq siècles plus tôt. Vers le XIe siècle, Alphonse VI, roi de Castille, reprit partiellement ce territoire et donna ce qui était compris entre le Minho et le Douro à Henri de Bourgogne, lequel prit le nom de Comte de Porto ou de Portugal. Le fils d’Henri, Alphonse-Henriquez, gagna sur les Maures une victoire décisive. Pour des Français, il est intéressant de savoir que la reprise de Lisbonne, en 1147, a été due en très grande partie à l’aide apportée à Alphonse Henriquez par une flotte de Croisés francs qui s’en allaient en Terre Sainte pour la deuxième croisade. Il y avait parmi eux des Charentais, des Bretons, des Normands, et aussi des Anglais, des Rhénans, des Flamands, tout le littoral Nord-Ouest de la chrétienté. Dans cette victoire contre les Maures, les chrétiens furent aidés très spécialement par saint Michel. On dit qu’il parut dans le ciel une aile et une main indiquant les points où la petite armée devait porter l’effort, à la suite de quoi l’Ordre Militaire de l’aile de Saint Michel fut créé pour les Chevaliers qui s’étaient signalés au combat ; il continua à se recruter parmi les plus valeureux.
Nos moinillons étaient fils d’un de ces chevaliers, lequel, très fervent, avait résolu de les donner à Dieu dès l’enfance. Bien sûr, ils ne s’engageront par vœux que plus tard, si telle était leur vocation, mais déjà ils portent le costume dominicain : robe blanche et manteau noir ; leurs cheveux sont taillés en couronne autour d’une tête rasée. Cela ne les empêche pas d’être de braves enfants joyeux. Ils aiment cette vie monastique et sans doute, seraient-ils toujours restés au couvent, s’il ne leur était arrivé une étrange et belle aventure.
Quant à leur maître, le Père Bernard, il est originaire de Morlaàs, à 12 kilomètres de Pau, donc, Béarnais. Ses parents, qui, contrairement au Chevalier d’Alfange, n’avaient nul envie d’en faire un moine, l’avait fiancé très jeune, alors que lui voulait être Dominicain. Un beau jour, il s’enfuit, non dans quelque couvent de France ; ses parents l’y retrouveraient ; non au nord de l’Espagne ; la barrière des Pyrénées n’est pas infranchissable ; mais au lointain Portugal, dans le couvent de Santarem, fondé par un des premiers compagnons de saint Dominique, Suero Gomez.
Santarem… Reconnaissez-vous ce nom ? vous qui avez lu l’histoire des trois bergers de Fatima… Santarem, ville principale du district ou département du même nom, dont Fatima dépend. Notre-Dame du Rosaire n’est pas encore venue à la Cova, mais elle est déjà aimée, et combien ! particulièrement chez les Pères de Santarem. En vrai Dominicain, Père Bernard conduit souvent ses élèves à la chapelle de Notre-Dame du Rosaire. Les Ave montent en guirlandes, en bouquets… Les petits y prennent tellement goût que, souvent, ils reviennent d’eux-mêmes dire ensemble « des dizaines ». L’Espagne, le Portugal, ont une dévotion immense à la Sainte Vierge depuis que saint Jacques a évangélisé cette terre. Marie, (Notre-Dame del Pilar — du pilier), est vraiment le pilier de la foi catholique. Au Portugal, cette dévotion s’est encore fortifiée par le fait que les rois du Portugal, depuis le tout premier, ont choisi la mère de Dieu pour mère de la dynastie et de la nation. Le peuple portugais n’a pas oublié ce contrat, malgré tant de révolutions, et la Sainte Vierge pas davantage ; elle l’a prouvé !
Bref, nos moinillons, imprégnés d’esprit chrétien, catholique et dominicain, nos moinillons, vrais Portugais, vont à Marie de toute leur âme. Trop loin d’Alfange pour y courir déjeuner près de leur mère, avec leurs petits frères et sœurs, ils vont quand même déjeuner en famille, avec leur mère du ciel et leur frère Jésus. A nous, l’idée ne viendrait pas de déjeuner dans une chapelle ; ceci encore est espagnol et portugais.
Elles s’en vont, Ninon, Ninette, Nina, jupette rouge et bonnet pareil, six petits sabots claquant sur la terre gelée.
« Vite, vite, les sœurettes, car le jour baisse, dit Ninette, la plus sage.
– Vite, vite, répond Ninon, la plus ardente, car un grand travail nous attend.
– Vite, vite, murmure Nina, la plus douce, car Mère a dit qu’on ne s’attarde pas. »
Et les six petits sabots martèlent en chœur : « Vite, vite, vite, vite, les petites sœurs. »
Mais que c’est donc lourd, tout ce qu’elles portent, les sœurettes !… Et encombrant, donc !… Elles en ont plein les poches, et plein le giron, dans les mains, dans les bras et jusque sous le menton… Il y a du gui, de la mousse, du houx, du lierre, de la paille, du foin et du sapin… À peine voit-on, dans toute cette verdure, trois frimousses rondes et rouges comme des pommes d’api, éclairées de blanches quenottes et de petits yeux de souris…