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| Ouvrage : La semaine de Suzette .

Temps de lec­ture : 4 minutes
Vivette se rend à la procession des Rameaux

C’é­tait le plus beau , celui de la petite Vivette, un rameau char­gé de jouets et de bon­bons, sui­vant la cou­tume du pays. Et Vivette, bien qu’elle le trou­vât lourd à por­ter, en était très fière, Elle fai­sait « sa glo­rieuse », comme disait son père, et se réjouis­sait fort à l’i­dée de l’ef­fet qu’elle pro­dui­rait tout à l’heure à l’église…

L'ange gardien lutte contre l'orgueil de la petite fille

…lors de la béné­dic­tion des rameaux. Mais voi­là que le bon de Vivette, qui se tenait tout près d’elle, fut très pei­né par ce sen­ti­ment d’. Il essaya bien de souf­fler à la petite fille que ce n’é­tait vrai­ment pas joli d’al­ler voir le Bon Dieu en pen­sant seule­ment à écla­bous­ser ses com­pagnes de sa richesse.

Auteur : LeMay, Léon Pamphile | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 19 minutes

Conte de Noël

Il fai­sait froid. La neige des che­mins criait sous l’a­cier des traî­neaux. Les prés et les col­lines res­plen­dis­saient dans leurs blanches dra­pe­ries, et les sapins sombres, char­gés de brillants flo­cons, incli­naient vers le sol leurs rameaux pesants.

C’é­tait la veille de . La terre allait tres­saillir et les anges allaient chan­ter, comme il y a dix-neuf siècles.

« Glo­ria in excel­sis Deo. »

Mais seuls les petits et les humbles, comme alors peut-être, pour­raient entendre le céleste cantique.

Il semble qu’à cette heure solen­nelle un doux effluve d’a­mour se répand dans les airs. Les fronts se relèvent, les cou­rages se raf­fer­missent, l’es­pé­rance rafraî­chit, comme une ondée bien­fai­sante, les cœurs meur­tris. Et pour­tant il se trouve encore des âmes qui souffrent et des lits de dou­leur où la vie agonise.

Là-bas, dans la mai­son de madame Ver­champ, une veuve très esti­mée, dor­mait, sur un lit tout blanc, une jeune fille . Elle dor­mait, et un songe agréable la visi­tait sans doute en ce moment, car mal­gré sa souf­france, elle sou­riait. Elle revi­vait peut-être un beau jour per­du, comme cela arrive par­fois dans le som­meil. Elle était amai­grie, et la pâleur de ses joues fai­sait res­sor­tir son grand œil noir plein de tris­tesse. Près d’elle, sa mère pleurait.

Sa mère pleu­rait, et en essuyant ses larmes du coin de son tablier, elle pensait :

Pour­quoi l’a-t-elle tant aimée ?…

Sou­dain la porte s’ou­vrit. Elle vit entrer deux hommes. Elle ne les recon­nut pas d’a­bord, à cause des grandes capotes qui les enve­lop­paient, et des col­lets de four­rure qui leur mon­taient jus­qu’aux yeux. Elle tres­saillit cepen­dant, et s’a­van­ça au devant d’eux.

* * *

Trois ans aupa­ra­vant, un soir de la fenai­son, Mariette, la jeune malade d’au­jourd’­hui, reve­nait au fenil sur un char­riot de foin. Enfon­cée dans le trèfle et le mil comme dans un nid, elle se lais­sait ber­cer au caho­tage des roues, et chan­tait, de sa voix douce et quelque peu plain­tive, une chan­son­nette gra­cieuse dans sa forme et sage dans son enseignement :

La fleur de la charmille,
La fleur de la famille,
Ont un des­tin commun,
Lorsque les mains les cueillent,
L’une et l’autre s’effeuillent
Et perdent leur parfum…

Petite rose blanche,
Reste donc à la branche
Dont la sève nourrit,
Petite fille chère,
Reste donc à ta mère
Dont l’a­mour te sourit.

Octave Des­ruis­seaux qui tra­ver­sait le clos voi­sin, la faux sur l’é­paule, l’en­ten­dit et fut char­mé. Il ne la connais­sait point. Il devi­na qu’elle était belle et se prit à l’ai­mer, sans se deman­der s’il ne cou­rait pas au désen­chan­te­ment. Il était jeune, d’hu­meur agréable, bien décou­plé, labo­rieux, avec cela il serait bien mal­adroit s’il ne réus­sis­sait pas à décro­cher un bon petit cœur. Cela ne tient pas tant après tout.

Il était de Sainte-Croix. Vic­tor Pou­drier l’a­vait fait venir pour les foins et les récoltes, car il pas­sait pour vaillant. Sa faux allon­geait de fiers andains, et son « jave­lier » cou­chait d’é­paisses javelles, depuis les heures fraîches du matin jus­qu’aux ombres de la soirée.

Un dimanche, la jeu­nesse se réunit, après le repas du soir, chez Mar­ce­lin Thi­bou­tot, le for­ge­ron, pas loin de la côte de sable. Octave et Mariette se virent et s’ai­mèrent. Ils gar­dèrent leur secret cependant.

Le len­de­main, Mariette alla au champ pour faner le foin nou­veau. Le soleil rayon­nait et don­nait aux clô­tures grises une appa­rence de cadre lumi­neux. Un large cha­peau de paille pro­té­geait contre les rayons trop chauds, sa jolie figure. Car elle était jolie, Mariette. Un mince fichu de mous­se­line se tor­dait négli­gem­ment sur sa gorge un peu bru­nie. Elle tenait une fourche de saule et jetait dans l’air pur les bribes per­lées de la der­nière chan­son du vil­lage. De temps à autre, ses regards curieux se pro­me­naient sur le pré voi­sin. Une pen­sée douce l’ob­sé­dait. Elle éprou­vait les délices du réveil de l’a­mour, et trou­vait à aimer un bon­heur inexprimable.

Mariette rencontre son fiancéTout à coup elle aper­çut un jeune fau­cheur cour­bé sur la prai­rie, et elle sen­tit son cœur se ser­rer et sa joue rou­gir. C’é­tait lui. Quand elle fut plus près, elle vit, comme un ser­pent de feu, la faux lui­sante s’en­fon­cer dans l’herbe, et elle enten­dit, comme un chant d’a­mour, le cris­se­ment de l’a­cier qui mon­tait du clos, par inter­valles courts et mesurés.

Le fau­cheur ne la devi­na point.

Un peu plus tard, il sus­pen­dit son tra­vail et mar­cha vers l’en­droit où il avait dépo­sé sa pierre à aigui­ser. Plu­sieurs jeunes filles fanaient dans les alen­tours, en criant des choses gaies, et en jetant des éclats de rire. Il cher­cha à les recon­naître, mais il n’y par­vint guère, à cause des larges bords de leurs cha­peaux. Il se tour­na vers le clos de la veuve Ver­champ. Mariette parais­sait absor­bée dans sa tâche. Il aurait bien vou­lu qu’elle regar­dât de son côte. Il prit la pierre qui trem­pait dans un vase plein d’eau, et leva sa faux devant lui. La lame décri­vait une courbe étin­ce­lante comme un nimbe vis-à-vis son front trem­pé de sueurs. La pierre mor­dit l’a­cier. D’autres fau­cheurs aus­si affi­lèrent leurs outils, et ce fut comme un clair reten­tis­se­ment de cym­bales dans l’air sonore. Les jeunes filles levèrent la tête, et les fourches res­tèrent piquées dans le foin par­fu­mé. Les cigales, cachées dans le feuillage des grands arbres, jetèrent comme des fusées leurs trilles vibrants. Des oiseaux, entraî­nés par le plai­sir, se mirent à vol­ti­ger d’une aile folle, en épar­pillant de joyeuses notes… Et des rires s’é­gre­naient de toute part. Jamais fête plus belle n’a­vait fait tres­saillir ces champs tant de fois moissonnés.

Auteur : Wyzewa, Teodor de | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 30 minutes

Barsabas ou le don des langues

II

LE CITOYEN DU MONDE

Quiesce a nimio scien­di desiderio,
quia magna ibi inve­ni­tur distractio
et deceptio !
(Imi­ta­tio Chris­ti, I, s.)

Devant la grâce inat­ten­due qui venait de lui échoir, Bar­sa­bas se sen­tit d’abord si heu­reux à la fois et si effrayé que, bien qu’il pût main­te­nant répondre sans effort aux ques­tions de ses amis, il ne prit pas même le temps de les écou­ter. Ren­tré dans sa chambre, il se hâta d’en faire sor­tir un petit gar­çon avec qui tous les soirs il avait cou­tume de jouer, et qui, ce soir-là encore, vou­lait, à toute force, lui grim­per sur le dos. Puis, ayant ver­rouillé la porte pour n’être plus déran­gé, il se pros­ter­na et pria hum­ble­ment Sei­gneur, s’écria-t-il, vous m’avez hono­ré par delà mon mérite ! Au der­nier de vos ser­vi­teurs vous avez dai­gné confier le plus pré­cieux de vos dons ! Et voi­ci cepen­dant, – telle est ma fai­blesse ! – voi­ci que je tremble de frayeur à la pen­sée des devoirs nou­veaux qui en résultent pour moi : « Sou­te­nez-moi, Sei­gneur, éclai­rez-moi, dites-moi ce que je dois faire, afin que je ne sois qu’un outil entre vos mains, l’instrument de votre gloire et de votre jus­tice ! » Mais le Sei­gneur ne lui dit rien, et Bar­sa­bas se vit contraint de déci­der lui-même ce qu’il devait faire.

Aus­si bien ne pou­vait-il guère hési­ter sur le pre­mier et le plus urgent des devoirs nou­veaux qui s’imposaient à lui ; et sa frayeur ne lui venait, pré­ci­sé­ment, que de sa trop claire conscience de ce pénible devoir. Il avait, en effet, tout de suite com­pris que le don des langues ne lui avait pas été accor­dé sim­ple­ment pour qu’il pût s’entretenir, à Jéru­sa­lem, avec des étran­gers déjà conver­tis, ni moins encore pour qu’il s’en retour­nât mener sa vie silen­cieuse à l’ombre des col­lines de son cher vil­lage. Le don des langues lui impo­sait le devoir de par­cou­rir le monde, pour por­ter aux païens la sainte parole : cela était cer­tain, hélas ! trop certain !

Tout au plus eut-il un ins­tant l’idée que, si son maître avait vrai­ment exi­gé de lui un pareil sacri­fice, c’est lui qu’il aurait dési­gné pour faire par­tie des douze apôtres, au lieu de Mathias. Mais aus­si­tôt il rou­git de cette idée, misé­rable pré­texte sug­gé­ré par sa lâche­té. Le pou­voir mira­cu­leux de par­ler toutes les langues n’était-il pas un signe d’apostolat aus­si évident, pour le moins, qu’une élec­tion où peut-être le hasard avait seul agi ? Non, non, Bar­sa­bas sen­tait que nul doute ne lui était pos­sible ! Et plus était cruel le sacri­fice que son maître exi­geait de lui, plus il se sen­tait tenu de l’accomplir, en échange de l’immense faveur qu’il avait reçue. Il réso­lut donc de quit­ter Jéru­sa­lem dès le len­de­main, et de se mettre en route vers les pays étran­gers, après avoir dit un rapide adieu à sa femme, à sa mère, aux lieux qui, jusqu’alors, avaient été pour lui l’univers entier.

Encore ne leur dit-il cet adieu que par pro­cu­ra­tion. Ayant ren­con­tré, aux portes de Jéru­sa­lem, un pay­san de son vil­lage qui ren­trait chez lui, c’est sur lui qu’il se déchar­gea du soin d’annoncer aux siens sa nou­velle mission.

« Je comp­tais aller moi-même prendre congé d’eux, ajou­ta-t-il, mais le ciel a eu pitié de moi, et voi­ci qu’il t’a envoyé sur mes pas, pour m’épargner un sup­plice au-des­sus de mes forces. Ou plu­tôt ce sont les dan­gers de la ten­ta­tion que le ciel, sans doute, aura vou­lu m’épargner : car je me deman­dais com­ment, après avoir revu tout ce qui m’est cher, je trou­ve­rais le cou­rage de m’en sépa­rer. Adieu donc, frère bien-aimé ! Et quand, après-demain, du haut de la col­line, tu aper­ce­vras à tes pieds les mai­sons de notre vil­lage, rap­pelle-toi ton frère Bar­sa­bas qui s’en va, seul et triste, par­mi des inconnus ! »

Bar­sa­bas pleu­rait en disant ces mots ; puis il se jeta, tout pleu­rant, au cou de son ami. Mais à peine l’eut-il vu dis­pa­raître, dans la pous­sière du che­min, qu’il ne put s’empêcher de son­ger qu’il avait été, lui aus­si, la veille encore, sem­blable à ce pay­san inutile et gros­sier. Et, fié­vreu­se­ment, il eut soif d’employer au plus vite, pour le bien de son maître, le magni­fique don qu’il por­tait en lui. Quand son ami, le sur­len­de­main soir, aper­çut du haut de la col­line les mai­sons du vil­lage, il sou­pi­ra en se rap­pe­lant le pauvre Bar­sa­bas qui allait, seul et triste, sur des routes loin­taines ; mais Bar­sa­bas, au même ins­tant, mar­chait d’un pas alerte et la tête haute, médi­tant le dis­cours qu’il pro­non­ce­rait dès qu’il ren­con­tre­rait une ville, devant lui.

Cette ville se trou­va être Péluse, dans la Basse-Égypte ; et Bar­sa­bas, qui y était par­ve­nu après cinq jours de marche, fut d’abord ten­té de mar­cher cinq jours de plus pour s’en éloi­gner. Habi­tué comme il l’était aux mœurs rus­tiques de la Gali­lée, Jéru­sa­lem déjà lui avait paru inha­bi­table ; mais il se sen­tait prêt main­te­nant à la regret­ter, en com­pa­rai­son de cette ville étran­gère où, depuis les traits des visages jusqu’à la façon de man­ger et de se vêtir, rien ne res­sem­blait à ce qu’il connais­sait. La lar­geur des rues, la hau­teur des mai­sons, les amples man­teaux et les lourds sou­liers, tout cela était, à ses yeux, aus­si laid qu’incommode. Il éprou­vait une indi­gna­tion mêlée de mépris à la vue des litières qui ser­vaient à traî­ner, d’une mai­son à l’autre, des hommes par­fai­te­ment capables de se ser­vir de leurs jambes. Il ne com­pre­nait pas que des êtres humains pussent se pas­ser d’arbres et d’oiseaux, ni se rési­gner à vivre enfer­més dans d’obscures bou­tiques, sans autre pro­fit que de gagner un argent aus­si­tôt dépen­sé. En un mot, il jugeait Péluse l’endroit le plus mons­trueux du monde : et telle il conti­nua de la juger pen­dant les six mois qu’il y demeura.

Car le fait est qu’il y demeu­ra six mois, en dépit de sa mau­vaise humeur : et ce fut bien là qu’il prê­cha pour la pre­mière fois. S’étant ren­du sur le port, le len­de­main de son arri­vée, il abor­da quelques mate­lots qui musaient au soleil, et se mit à leur expli­quer la doc­trine chré­tienne. Il la leur expli­qua dans la langue grecque, qui était leur langue ; mais il répé­ta ensuite son expli­ca­tion en arabe à des mar­chands arabes qui s’étaient appro­chés ; il la répé­ta en syrien et en éthio­pien, de telle sorte que, bien­tôt, une foule énorme se pres­sa autour de lui, curieuse d’entendre un homme qui par­lait toutes les langues. Et Bar­sa­bas racon­ta à cette foule la vie et la mort divines de Jésus. Il leur racon­ta sa propre vie, de quelles ténèbres il avait été tiré, et vers quelle lumière. Il leur dit quelques-unes des para­boles de son maître, les plus simples et les plus tou­chantes, s’efforçant de retrou­ver, dans sa voix, un écho de la voix sur­na­tu­relle qui les lui avait ensei­gnées. Long­temps il par­la, debout sur un banc de pierre, indif­fé­rent aux injures comme aux raille­ries ; et d’heure en heure, à mesure qu’il par­lait, injures et raille­ries deve­naient plus rares, jusqu’à ce qu’enfin il eut le bon­heur de voir jaillir des larmes presque de tous les yeux. Lui aus­si, il pleu­rait ; une ardente émo­tion fai­sait fré­mir ses lèvres, don­nait à sa parole des accents pathé­tiques. Quand il des­cen­dit du banc et ces­sa de prê­cher, cent per­sonnes de tout âge et de toute condi­tion, s’approchant de lui avec défé­rence, lui expri­mèrent leur désir d’être baptisées.

Et comme, quelques heures plus tard, Bar­sa­bas, tout heu­reux de la belle mois­son qu’il avait rap­por­tée à son maître dès son pre­mier dis­cours, s’en retour­nait joyeu­se­ment vers l’auberge où il s’était logé, un petit vieillard l’accosta dans la rue. C’était un aimable petit vieillard, chauve, replet, avec un visage ridé où s’ouvraient de grands yeux naïfs et bien­veillants, Il avait la mise d’un riche bour­geois. Et, en effet, il apprit à Bar­sa­bas qu’il vivait de ses rentes, mais qu’il employait son temps à s’instruire et à médi­ter. « Or, je regrette d’avoir à vous dire, pour­sui­vit-il, que votre Jésus n’est pas le vrai Dieu. Car le vrai Dieu, je le connais : il m’a été révé­lé par un homme admi­rable, le phi­lo­sophe Épis­trate, auteur du trai­té sur l’Essence de l’Être. Peut-être n’avez-vous pas lu ce livre sans pareil ? Tenez, je n’ai pas pu m’empêcher de vous l’apporter ! » – Et le vieillard ten­dait à Bar­sa­bas un épais rou­leau. – « Je vous en prie, lisez-le ! Que si même il ne réus­sis­sait pas à vous convaincre tout à fait, vous y trou­ve­riez encore de quoi réfléchir ! »

Le petit vieillard avait une si hon­nête et douce figure que Bar­sa­bas crut pou­voir lui par­ler comme à un ami. Il lui avoua donc qu’il lirait volon­tiers, pour l’obliger, le trai­té de son phi­lo­sophe, mais que, par mal­heur, il ne savait pas lire. Et, loin de lui en témoi­gner le moindre mépris, le vieillard lui pro­po­sa aus­si­tôt de lui apprendre lui-même à lire et à écrire. « Quelques leçons vous suf­fi­ront, lui dit-il, aidées d’un peu d’exercice. Et vous acquer­rez là un bien ines­ti­mable, qui dou­ble­ra l’effet de vos prédications ! »

Auteur : Hunermann, Père Guillaume | Ouvrage : Les Tables de Moïse .

Temps de lec­ture : 11 minutes« S’il te plaît, grand-mère, vou­drais-tu me faire réci­ter l’His­toire Sainte ? » deman­da le petit Joseph à la vieille pay­sanne de la ferme des Tilleuls, assise près de la che­mi­née et qui fai­sait glis­ser les grains de son cha­pe­let entre ses doigts.

« Attends que j’aie fini », répon­dit-elle, en com­men­çant la der­nière dizaine des mys­tères glorieux.

Tour de Babel, Dieu punit les orgueilleux - Histoire chrétiennes pour le catéchisme

« Mais tu n’au­ras qu’à conti­nuer de prier après », dit le petit avec une moue de mécon­ten­te­ment. Mais grand-mère ne répon­dit point. Ses pen­sées sui­vaient la Vierge au ciel, où le Père Éter­nel la parait de la cou­ronne de toute magnificence.

« Je peux te faire réci­ter, moi », pro­po­sa Louis, qua­torze ans, qui fré­quen­tait le lycée de la ville. « Viens, donne-moi ton His­toire Sainte. »

« Soit ! » répli­qua Joseph, et il ten­dit le livre à son frère. Et il com­men­ça à réci­ter sa leçon.

« La construc­tion de Babel. L’hu­ma­ni­té entière par­lait la même langue. Mais s’a­ven­tu­rant vers l’est, les hommes décou­vrirent une plaine dans le pays de Senaar et y plan­tèrent leurs tentes. Et ils se dirent : Fai­sons des tuiles et cui­sons-les. Et la tuile leur ser­vit de pierre de construc­tion et l’as­phalte de béton. Et ils dirent : Construi­sons-nous une ville et une tour dont la pointe atteigne le ciel. Ain­si, nous nous crée­rons un nom avant de nous dis­per­ser par toute la terre. »

« Eh bien ! ils auraient mieux fait de res­ter tran­quilles », gro­gna Louis en jetant un regard furi­bond sur son livre de latin posé sur la table.

« Mais laisse-moi donc réci­ter et ne me fais pas perdre le fil », gro­gna Joseph et il conti­nua à réciter :

« Et le Sei­gneur des­cen­dit voir la ville et la tour que les enfants d’A­dam construi­saient. Et il dit : « C’est un seul peuple et il parle une même langue. Nous allons embrouiller leur langue, afin qu’ils ne se com­prennent plus les uns les autres. »

« C’est ce qui fit notre mal­heur », gro­gna Louis en frap­pant vio­lem­ment sur le livre de latin. « Si les maçons, à ce moment-là, avaient fait grève, je ne serais pas obli­gé, main­te­nant, de me bour­rer le crâne de tous ces mots étranges. Ils auraient bien pu trou­ver autre chose pour se faire un nom. »

« Qu’est-ce que cela signi­fie, au juste, se faire un nom ? » deman­da Joseph.

« Allons donc ! Tout le monde com­prend cela », expli­qua l’aî­né. « Der­niè­re­ment il y avait une troupe de sal­tim­banques dans notre vil­lage, tu t’en sou­viens ? Et ils avaient col­lé des affiches, sur les­quelles se trou­vaient les noms de tous les artistes ; les uns étaient ins­crits en petits carac­tères, d’autres en grands, le nom de l’homme qui fai­sait des acro­ba­ties sur un mât de qua­rante mètres de haut, eh bien ! celui-là avait son nom en lettres géantes sur la pan­carte. Te voi­là renseigné. »

« J’ai­me­rais bien que mon nom figure un jour sur une affiche comme ça », sou­pi­ra Joseph. « Mais je ne sau­rais pas me tenir sur la tête au bout d’un si grand mât. »