Les Israélites arrivèrent au désert de Sin, et, n’ayant rien à manger, ils murmurèrent. Moïse leur promit qu’ils mangeraient de la viande le soir même et, en effet, un grand nombre de cailles s’abattit sur le camp.
Les Israélites virent aussi paraître dans le désert quelque chose de menu, ressemblant à de petits grains de gelée blanche. Ils s’écrièrent aussitôt : « Manhu ? » (« Qu’est-ce que cela ? ») Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger ».
Les Israélites quittant le désert de Sin, allèrent camper à Raphidim où il n’y avait pas d’eau. Mais Dieu dit à Moïse : « Allez jusqu’à Horeb, frappez avec votre verge le rocher et l’eau en jaillira ».
C’est ce que fit Moïse et le peuple put boire.
Il y avait trois mois et trois jours que les Israélites avaient quitté l’Égypte, ils arrivèrent alors au pied du mont Sinaï. Sur l’ordre du Seigneur, Moïse monta au sommet de la montagne. Étant revenu au milieu des Israélites, il leur dit de se tenir prêts pour le troisième jour.
Mais bientôt Pharaon se repentit d’avoir laissé partir les Hébreux et réunissant aussitôt tous ses chars de guerre et toute son armée, il se mit à la poursuite des Israélites. Il les aperçut dans leur camp sur le bord de la mer.
Voyant arriver les soldats du Pharaon, les Israélites furent saisis d’une grande frayeur et invoquèrent le Seigneur.
Et Yamil esquisse le plus tentant des entrechats.
Nicole, de plus en plus hésitante :
— Je serai grondée.
— Yamil pas dire, petite damiselle non plus.
Là-dessus le petit Bédouin se met à danser autour de Nicole, avec une souplesse digne du meilleur numéro d’un cirque.
Nicole n’y tient plus et la poursuite commence.
Mais Yamil ne se contente plus de courir, il fait à l’adresse de Nicole des grimaces qui l’exaspèrent et, par des sauts invraisemblables, lui échappe indéfiniment. Bientôt complètement dépassée, Nicole hurle, et sa colère est déchaînée.
Colette, de son lit, voit passer les deux enfants et devine à leur allure échevelée qu’ils sont capables de toutes les sottises. Elle essaye de dominer le vacarme et crie fermement :
— Nicole,… viens ici !
Mais Nicole n’entend rien ou ne veut rien entendre. Elle renverse les chaises qui sont devant la porte du vestibule, agrippe un bout de la robe de Yamil au moment où il passe devant elle, s’arc-boute pour l’arrêter. Yamil tire de toutes ses forces en sens inverse et la robe se déchire brusquement. Au moment où elle craque, les deux petits perdent l’équilibre. Nicole tombe sur le dos, par-dessus le tas de chaises sens dessus dessous, et Yamil va donner contre la fenêtre du vestibule avec une si belle violence, qu’il brise un carreau et se coupe profondément.
Devant le désastre et le sang qui commence à couler sérieusement sur la nuque de Yamil, les deux enfants sont dégrisés.
On devine la suite. Yamil, en sentant passer l’iode sur la plaie, regrette passablement son escapade, sans parler du compte qu’il faudra rendre au retour du maître de maison et de ce qui s’ensuivra.
Nicole, qui expie en pénitence sa course folle, réfléchit mélancoliquement aux suites de la colère et de la désobéissance.
De toute la journée, elle n’aura pas la permission de jouer, ni dans le jardin ni ailleurs. Elle a déjà copié son verbe et appris ses leçons. Que faire maintenant ? Tricoter jusqu’à ce soir ? Ce sera long. Tiens, mais, si on allait chez tante Colette se faire raconter quelque chose de nouveau !
Nicole a bien envie de prouver que Yamil a eu tous les torts ; mais tate n’aime pas qu’on s’excuse, et puis elle a tout vu,… alors ? Eh bien, alors, Nicole baisse le nez et ne répond pas.
— C’est du joli, reprend Colette avec un ton sévère qu’on ne lui connaît pas d’habitude. Tu croyais désobéir sans être vue ! Regarde dans quel état sont les chaises du jardin. Penses-tu qu’elles se soient cassées toutes seules ?…
De fait, la pauvre Marianick est en train d’essayer de les remettre debout, mais deux pieds manquent à l’appel et Nicole commence à comprendre que sa sottise a des conséquences qu’elle ne soupçonnait pas.
Tate continue du même ton :
— Va me chercher Bruno. C’est tout à fait le moment de continuer l’histoire de Moïse, vous comprendrez pourquoi.
Nicole n’est qu’à moitié rassurée. Il se pourrait bien que l’histoire fût un sermon.
Dix minutes plus tard, toujours sérieuse, Colette commence sans autre préambule :
— Nous avons laissé les Hébreux dans le désert. Là, imaginez l’inquiétude de Moïse, à la pensée de nourrir tout un peuple dans un pays sans ressources. Mais Moïse avait la Foi. Il était sûr que le Bon Dieu, qui avait déjà fait pour sauver son peuple des choses aussi merveilleuses, ne l’abandonnerait pas.
Les Hébreux, bien loin d’imiter leur chef, murmuraient, déclarant qu’ils allaient mourir de faim et de soif, et demandant à retourner en Égypte.
— Merci ! grogne Bruno. Retourner pour être esclaves là-bas…
— Tu penses bien que Moïse leur a sévèrement reproché leur manque de confiance, et puis il a prié. Aussitôt un grand vol de cailles s’est abattu sur le désert, mais ce ne fut pas tout ; les nuits suivantes, le sol se couvrait d’une substance blanche inconnue. C’était une nourriture extraordinaire ; elle tomba chaque nuit pendant quarante ans, excepté la nuit du sabbat, qui correspondait à notre dimanche.
Temps de lecture :10minutesMohamed Ben Ab-delkader, le caravanier, est venu par piste aux longues étapes de Timmimoun à Ain-Tleïa, oasis à la source jaune. Il était monté sur sa chamelle blanche et, à sa selle, étaient attachées les longes de son bourricot et de son chameau noir, tous deux lourdement chargés de couffins de belles dattes jaunes, sa seule fortune.
Mohamed le Targui appartient à la grande tribu des Aouelliminden. Âgé de trente ans à peine, il aurait pu se joindre à la caravane annuelle qui partait quelques jours après. Mais il a préféré voyager seul dans les grandes dunes d’Adrar et de Béni-Abbès. Mohamed est profondément croyant ; jamais il n’a entendu parler de Jésus de Nazareth, mais chaque soir, à la halte, il descend de sa chamelle et se prosterne sur le sable, adorant Dieu le Tout-Puissant.
La nuit venue, il abreuve ses animaux ; de sa grande « tassouffra » en cuir, il retire aussi l’orge et l’avoine qu’il leur donne en leur parlant doucement, car Mohamed aime ses bêtes, ses seuls compagnons dans ce désert immense. Lui-même se nourrit frugalement d’une poignée de dattes sèches, arrosée d’une tasse brûlante de thé à la menthe sucré, la boisson nationale des nomades. Puis il se roule dans son burnous brun et s’endort sous le ciel constellé d’étoiles près du ventre chaud de ses animaux.
Après de longues journées dans les sables mouvants, il a dépassé Taghit, Kenadsa la ville sainte, et Colomb-Béchar la neuve. Enfin, poursuivant sa route au pas lent de ses bêtes, il a atteint la longue hammada rocheuse de Djenien Bou Rezgt, celle qui indique que désormais le domaine du désert est bien terminé, celle aussi où les animaux des nomades doivent subir la douloureuse épreuve des arêtes du chemin, aiguës et coupantes.
Enfin, trois jours après, au couchant, voici qu’il aperçoit devant lui les coupoles blanches et le minaret du ksar d’Ain-Tleïa. Le minaret resplendit sous les derniers rayons du couchant. Le muezzin, ainsi que le nomment les fidèles, appelle à la prière : Mohamed se prosterne. Près du minaret s’élève un autre monument, surmonté d’une croix. Le Targui connaît aussi ce lieu de prière : c’est celui d’un marabout-roumi (un blanc) venu là il y a quelques années. Le père de Mohamed a connu un semblable marabout-roumi qui, durant sa vie, a sans cesse séjourné entre Béni-Abbès et Tamanrasset, où il repose au cœur du pays Targui ; il lui a raconté la sainteté de vie de cet homme et de ses semblables. Aussi, Mohamed respecte-t-il beaucoup ces hommes, qui n’ont pas la même religion que lui, mais qui prient tout le temps le Dieu Infini, et vivent si pieusement.
La nuit tombée, Mohamed campe seul, un peu à l’écart de la ville, aux abords du village nègre. Il a ramassé quelque bois mort pour son feu, et décharge déjà ses bêtes, quand une brûlure violente à son talon lui arrache un cri de douleur ; il se retourne : un gros scorpion noir, dérangé par le Targui dans son sommeil, vient de le piquer. Un coup de pierre écrase la bête malfaisante, mais la douleur force Mohamed à s’asseoir, tant elle est forte. Il connaît les scorpions noirs ce sont les plus dangereux et les plus venimeux. Aussi, avec son couteau bien aiguisé n’hésite-t-il pas à essayer d’inciser sa blessure pour la faire saigner et la désinfecter. Mais ce remède primitif est sans effet : sa plaie ouverte le fait encore plus souffrir et son pied enfle déjà rapidement.
Loin de Béni Abbès, à des milliers de kilomètres, au cœur du Sahara, se dresse un immense pays de montagnes noires : c’est le Hoggar, le Massif central de la patrie des Touaregs. On l’appelle le pays des guerriers voilés, car, dans cet étrange pays musulman, ce sont les hommes et non les femmes qui portent le voile.
Depuis des millénaires, les Touaregs sont les maîtres du Hoggar d’où ils sortent pour attaquer et piller impunément les caravanes qui traversent le désert.
Or, pendant que Frère Charles était à Béni Abbés, il s’est produit un fait extraordinaire : pour la première fois les Touaregs renoncent aux combats et laissent l’armée française pénétrer librement dans le Hoggar.
Laperrine, le commandant du Territoire des Oasis dont le Hoggar va désormais dépendre, est un grand ami de Frère Charles et il lui écrit pour lui proposer d’y venir.
Frère Charles accepte d’y faire un voyage, il commence à apprendre le tamacheq qui est la langue des Touaregs et, en dix mois, il va faire cinq mille kilomètres sur les pistes qui conduisent au Hoggar. Pour un peu on croirait Frère Charles redevenu explorateur comme au temps du Maroc et c’est vrai qu’il explore, mais il est toujours Frère Charles, donc avant tout un homme de prière et de fraternité qui cherche partout à nouer des liens d’amitié avec les Touaregs qu’il rencontre au passage. La tâche est difficile, car les Touaregs n’acceptent la venue des Français qu’à contrecœur, ils restent farouches et méfiants.
Pourtant le commandant Laperrine propose à Frère Charles de quitter Béni Abbés pour Tamanrasset, le grand carrefour des caravanes du Hoggar. Moussa Ag Amastane, l’aménokal, c’est-à-dire le chef des Touaregs du Hoggar, donnera lui aussi son accord à ce projet.
Frère Charles hésite. Il s’est tellement attaché à Béni Abbès qu’il n’a pas envie de le quitter. Et puis il pense toujours à son projet de retourner au Maroc. S’il part à Tamanrasset, il est probable qu’il n’aura plus jamais l’occasion d’y retourner. Mais Frère Charles renonce à tous ses projets et à toutes ses préférences personnelles. Il n’y a pas de peuple plus isolé et plus perdu dans le Sahara que les Touaregs du Hoggar ; pour Frère Charles, c’est la dernière place, c’est donc là qu’il faut aller.
L’ermitage de Tamanrasset
A quarante-six ans, le 13 août 1905, Frère Charles s’installe à Tamanrasset.