XIII
— Yamil couri avec petite damiselle.
Nicole, hésitante :
— Maman l’a défendu.
— Li maman sortie ; li saura pas.
Et Yamil esquisse le plus tentant des entrechats.
Nicole, de plus en plus hésitante :
— Je serai grondée.
— Yamil pas dire, petite damiselle non plus.
Là-dessus le petit Bédouin se met à danser autour de Nicole, avec une souplesse digne du meilleur numéro d’un cirque.
Nicole n’y tient plus et la poursuite commence.
Mais Yamil ne se contente plus de courir, il fait à l’adresse de Nicole des grimaces qui l’exaspèrent et, par des sauts invraisemblables, lui échappe indéfiniment. Bientôt complètement dépassée, Nicole hurle, et sa colère est déchaînée.
Colette, de son lit, voit passer les deux enfants et devine à leur allure échevelée qu’ils sont capables de toutes les sottises. Elle essaye de dominer le vacarme et crie fermement :
— Nicole,… viens ici !
Mais Nicole n’entend rien ou ne veut rien entendre. Elle renverse les chaises qui sont devant la porte du vestibule, agrippe un bout de la robe de Yamil au moment où il passe devant elle, s’arc-boute pour l’arrêter. Yamil tire de toutes ses forces en sens inverse et la robe se déchire brusquement. Au moment où elle craque, les deux petits perdent l’équilibre. Nicole tombe sur le dos, par-dessus le tas de chaises sens dessus dessous, et Yamil va donner contre la fenêtre du vestibule avec une si belle violence, qu’il brise un carreau et se coupe profondément.
Devant le désastre et le sang qui commence à couler sérieusement sur la nuque de Yamil, les deux enfants sont dégrisés.
On devine la suite. Yamil, en sentant passer l’iode sur la plaie, regrette passablement son escapade, sans parler du compte qu’il faudra rendre au retour du maître de maison et de ce qui s’ensuivra.
Nicole, qui expie en pénitence sa course folle, réfléchit mélancoliquement aux suites de la colère et de la désobéissance.
De toute la journée, elle n’aura pas la permission de jouer, ni dans le jardin ni ailleurs. Elle a déjà copié son verbe et appris ses leçons. Que faire maintenant ? Tricoter jusqu’à ce soir ? Ce sera long. Tiens, mais, si on allait chez tante Colette se faire raconter quelque chose de nouveau !
— Toc… toc…
— Entrez. Ah ! c’est toi, Nicole. Es-tu enfin calmée ?
Nicole a bien envie de prouver que Yamil a eu tous les torts ; mais tate n’aime pas qu’on s’excuse, et puis elle a tout vu,… alors ? Eh bien, alors, Nicole baisse le nez et ne répond pas.
— C’est du joli, reprend Colette avec un ton sévère qu’on ne lui connaît pas d’habitude. Tu croyais désobéir sans être vue ! Regarde dans quel état sont les chaises du jardin. Penses-tu qu’elles se soient cassées toutes seules ?…
De fait, la pauvre Marianick est en train d’essayer de les remettre debout, mais deux pieds manquent à l’appel et Nicole commence à comprendre que sa sottise a des conséquences qu’elle ne soupçonnait pas.
Tate continue du même ton :
— Va me chercher Bruno. C’est tout à fait le moment de continuer l’histoire de Moïse, vous comprendrez pourquoi.
Nicole n’est qu’à moitié rassurée. Il se pourrait bien que l’histoire fût un sermon.
Dix minutes plus tard, toujours sérieuse, Colette commence sans autre préambule :
— Nous avons laissé les Hébreux dans le désert. Là, imaginez l’inquiétude de Moïse, à la pensée de nourrir tout un peuple dans un pays sans ressources. Mais Moïse avait la Foi. Il était sûr que le Bon Dieu, qui avait déjà fait pour sauver son peuple des choses aussi merveilleuses, ne l’abandonnerait pas.
Les Hébreux, bien loin d’imiter leur chef, murmuraient, déclarant qu’ils allaient mourir de faim et de soif, et demandant à retourner en Égypte.
— Merci ! grogne Bruno. Retourner pour être esclaves là-bas…
— Tu penses bien que Moïse leur a sévèrement reproché leur manque de confiance, et puis il a prié. Aussitôt un grand vol de cailles s’est abattu sur le désert, mais ce ne fut pas tout ; les nuits suivantes, le sol se couvrait d’une substance blanche inconnue. C’était une nourriture extraordinaire ; elle tomba chaque nuit pendant quarante ans, excepté la nuit du sabbat, qui correspondait à notre dimanche.
Bruno, curieusement :
— Comment çà s’appelait, cette affaire-là ? Ç’avait‑y bon goût ?