Étiquette : <span>Hosanna</span>

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 15 minutes

Hosan­nah au Fils de David !

D’ABORD inti­mi­dé, Jean n’o­sant avan­cer, demeu­ra près du béni­tier, son à la main. Mais, à chaque ins­tant, la porte s’ou­vrait et, pres­sé d’en­trer, le nou­vel arri­vant bous­cu­lait l’en­fant. À la fin, un homme vêtu de rouge, et dont les culottes courtes lais­saient voir les bas blancs et les sou­liers à boucles, prit Jean par le bras et le pous­sa dou­ce­ment vers des bancs où de nom­breux petits gar­çons étaient assis côte à côte. Une dame en deuil, au visage doux et triste, fit signe à l’un des enfants de se recu­ler pour faire place à Jean et ordon­na tout bas à un autre gar­çon­net de don­ner au nou­veau-venu un livre noir à tranches rouges. 

Le pauvre petit ten­dit la main, mais il jeta sur la dame un coup d’œil embar­ras­sé et retour­na gau­che­ment le livre dans ses mains, mais sans l’ouvrir. 

La dame se pen­cha vers lui, en disant doucement : 

— Ouvre à la page 60 et suis l’office. 

— Je ne sais pas lire, bégaya l’enfant. 

La dame eut un geste éton­né, mais n’in­sis­ta pas : 

— Alors, regarde et dis ta prière, conseilla-t-elle. 

On n’a­vait pas besoin de dire à Jean de regar­der : il n’a­vait pas assez d’yeux pour contem­pler l’ad­mi­rable spec­tacle qui s’of­frait à lui. 

Dans le fond, près de l’au­tel doré et fleu­ri, des prêtres, magni­fi­que­ment vêtus de soie et d’or, se tenaient auprès d’un mon­ceau de rameaux, sur les­quels l’un d’eux éten­dait la main en par­lant dans une langue inconnue. 

— Levez-vous et tenez, tous, vos rameaux à la main, dit la dame, on va les bénir. 

Et Jean, comme les autres, bran­dit le brin d’o­li­vier, sur lequel tom­bèrent les paroles saintes :

Bénédiction des Rameaux - Levez-vous et tenez tous vos rameaux.
Levez-vous et tenez tous vos rameaux.

« Dai­gnez bénir, Sei­gneur, ces branches de pal­mier ou d’o­li­vier… Par Jésus-Christ Notre-Sei­gneur. Amen. »

C’é­tait, main­te­nant, devant l’au­tel illu­mi­né, la lente pro­ces­sion des prêtres en blancs sur­plis, qui rece­vaient, incli­nés, la palme ou le rameau qu’on venait de bénir. Der­rière eux, venaient des enfants dont la seule vue plon­gea le petit Jean dans un éton­ne­ment plein d’ad­mi­ra­tion. La plu­part d’entre eux n’é­taient guère plus grands que lui ; mais ce n’é­taient pas eux qui por­taient des culottes rapié­cées et des vestes trop longues. Ils avaient, tous, de belles robes rouges, ornées de tant de petits bou­tons, qu’il était impos­sible de les comp­ter. Une autre robe, de den­telle, blanche, celle-là, recou­vrait tout le haut du corps et s’at­ta­chait, sur les épaules, par des flots de ruban rouge. 

Sur les têtes, dont la plu­part étaient bou­clées, de toutes petites calottes rouges étaient posées, si en arrière, que Jean se deman­da com­ment elles pou­vaient tenir. Ce n’é­tait pas tout : des bas et des pan­toufles rouges com­plé­taient le cos­tume. Jean sou­pi­ra : Qu’ils devaient être heu­reux, ces enfants ! Ils sui­vaient, main­te­nant, la pro­ces­sion qui tra­ver­sait l’é­glise et leurs voix enfan­tines se mêlaient à celles des chantres. 

Cepen­dant, arri­vée à la grande porte, la moi­tié de la pro­ces­sion sor­tait sur la place de l’é­glise, tan­dis que l’autre moi­tié, demeu­rée à l’in­té­rieur, chan­tait les louanges de Dieu. À tra­vers la porte, l’on enten­dait des voix répon­dant aux voix des chantres. 

Puis, un coup fut frap­pé à la porte : elle s’ou­vrit et, le pre­mier, s’a­van­ça l’ qui por­tait une grande croix d’or. 

Der­rière lui mar­chaient les prêtres et les autres enfants por­tant des palmes et des rameaux. 

Alors, la messe com­men­ça : au son d’une clo­chette agi­tée par un enfant de chœur, les fidèles s’a­ge­nouillaient et se rele­vaient, et Jean, comme les autres, bais­sait la tête devant ce Dieu qu’on ne lui avait pas appris à connaître. 

Une émo­tion très douce l’en­va­his­sait : ces chants, ces céré­mo­nies, cette foule en prière, comme c’é­tait pai­sible et beau ! Jamais, depuis sa toute petite enfance, il ne s’é­tait sen­ti si heu­reux et si tran­quille. Autour de lui, les bam­bins qui avaient trou­vé l’of­fice un peu long, jetaient des regards gour­mands sur les frian­dises de leurs rameaux. Il arri­vait, même, qu’une langue timide effleu­rât un fruit confit, mais un regard de la mère fai­sait tout ren­trer dans l’ordre. Même dans le Midi, où les rameaux des petits enfants se couvrent de bon­bons, les joies du dimanche des Rameaux ne doivent pas faire oublier que le Carême est un temps de pri­va­tions. C’est le jour de Pâques, seule­ment, quand les cloches reviennent de Rome, que l’on peut goû­ter aux sucreries. 

Prêtres et enfants de chœur avaient quit­té l’au­tel où déjà s’é­tei­gnaient les cierges. La dame en deuil dis­tri­bua aux enfants des billets de pré­sence, puis, fai­sant signe à Jean de la suivre, elle se diri­gea vers la sortie. 

Sur le per­ron de l’é­glise, elle s’arrêta : 

— Je ne t’ai jamais vu au patro­nage, mon petit, com­ment t’appelles-tu ? 

— Jean Var­naud, dit l’en­fant ; dans ma mai­son il y a le petit du char­bon­nier qui va au patro­nage, mais moi, je ne peux pas, je travaille. 

— Qu’est-ce que tu peux bien faire ? 

— Je vends des journaux. 

— Quel âge as-tu ? 

— Huit ans. 

— Eh bien, mon petit, à huit ans, on doit être à l’é­cole et au patro­nage. Où habites-tu ? 

— Dans la rue des Lau­riers, au-des­sus du charbonnier. 

— Bien, et sou­riant à l’enfant,la dame s’éloigna. 

Vers cinq heures, Jean s’ap­prê­tait à aller vendre les jour­naux du soir quand on frap­pa à la porte, et, au grand éton­ne­ment de la mère Mathieu, Madame Lagarde (ain­si se nom­mait la dame du patro­nage) entra dans la cui­sine malpropre.