Étiquette : <span>6 janvier</span>

Auteur : Belcayre, Jean de | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Conte pour l’Épiphanie

DE son palais aux mul­tiples colonnes de por­phyre, aux vastes toits plats qui for­maient des ter­rasses, aux salles à fresques ornées de per­son­nages, Gas­pard, le Roi Mage, venait de partir. 

Mon­té sur un cha­meau riche­ment capa­ra­çon­né, escor­té des esclaves aux torses de bronze, Gas­pard s’en allait, de com­pa­gnie avec Mel­chior et Bal­tha­sar [1], offrir ses hom­mages au nou­veau Roi dont une mer­veilleuse étoile leur avait révé­lé la venue… 

Mais voi­ci que, à quelque dis­tance de l’im­po­sant cor­tège, une forme gra­cile se glisse… C’est Ninus, le fils de Gas­pard ; il vient d’é­chap­per à la sur­veillance de la reine Maké­ri, sa mère, toute trou­blée par les récents adieux de son époux. 

Il marche, l’en­fant royal, bien déci­dé à suivre son père, car il a sur­pris le motif du voyage des trois Mages et il a fer­me­ment réso­lu d’al­ler ado­rer, lui aus­si, ce nou­veau prince… ce prince pour lequel une étoile vient de s’al­lu­mer au ciel !… 

Mais, avant de se mettre en route, Ninus s’é­tait deman­dé quel pré­sent il pour­rait appor­ter au futur Maître du monde… Ses jouets de terre cuite ou d’i­voire eussent été trop lourds… son arc et ses flèches trop encom­brants… puis, de tout ceci, il pos­sé­dait une abon­dance et, par suite, n’y tenait guère… Par contre, il aimait tant la mignonne hiron­delle qu’il avait éle­vée : or, à se pri­ver de ce que l’on aime, le mérite est grand ; Ninus le com­pre­nait déjà, aus­si empor­tait-il son hiron­delle pour l’of­frir au Roi Jésus. Une hiron­delle, quel léger far­deau ! Son petit maître ne sen­tait pas même son poids lors­qu’elle se posait sur son épaule. 

Il mar­chait tou­jours, le roi­te­let ; le soir était venu ; il mar­chait main­te­nant à tra­vers la nuit lim­pide, accro­chant par­fois sa longue tunique aux buis­sons de nopals et de juju­biers, frô­lant au pas­sage les tiges des­sé­chées des aspho­dèles ; il mar­chait, ses yeux fixés vers le sable pour y cher­cher là trace des pas de la cara­vane, et ses petits pieds, déjà bien las, s’en­fon­çaient dans ce sable que les rayons de la lune ren­daient rose. 

Au jour, la cara­vane fit halte, et lorsque l’en­fant la rejoi­gnit, il se ter­ra, se dis­si­mu­la afin de pas­ser inaperçu. 

— Encore, pen­sait-il, je ne puis me mon­trer. Nous ne sommes pas assez éloi­gnés du palais : mon père m’y ferait reconduire. 

Et Ninus, après avoir offert à son hiron­delle des grains de séne­vé dont il avait eu le soin d’emporter une petite pro­vi­sion, se conten­ta pour lui de quelques figues sèches. 

L'enfant se met à la suite des rois mages avec son cadeau pour Jésus.
Le roi­te­let s’a­van­çait der­rière la caravane.

Cepen­dant, après plu­sieurs heures de repos, les cha­meaux se remirent en marche ; l’en­fant dut repar­tir aus­si, mais, exté­nué, il lais­sait gran­dir la dis­tance entre lui et la cara­vane ; il se traî­nait, le roi­te­let, entre les troncs rugueux des pal­miers dont les feuilles, secouées par un simoun aigre, s’a­gi­taient, tels de gigan­tesques éven­tails. Mal­gré cela, un brillant soleil jetait des flèches d’or sur l’herbe rase de l’oa­sis que les rois et leur suite venaient de quitter… 

Puis, plus loin encore, les jambes rom­pues, le gosier des­sé­ché, l’en­fant pleu­ra en pen­sant que ses forces ne lui per­met­traient pas d’at­teindre le lieu de la deuxième étape. 

Cette étape, Ninus l’at­tei­gnit cepen­dant, mais bien des heures après la cara­vane, et il était si épui­sé qu’il n’eut pas la force de faire les cinq cents pas qui le sépa­raient de son père ; il avi­sa près de lui une source, il s’y désal­té­ra avec son hiron­delle et man­gea quelques fruits. 

— Je vais dor­mir une heure, pen­sa-t-il, en s’é­ten­dant avec délices sur l’herbe fraiche qui entou­rait la source et lorsque je serai repo­sé, j’o­se­rai me pré­sen­ter devant mon père. 

  1. [1] Noms des deux autres Rois Mages.
| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 4 minutesLa rumeur s’est répan­due aux quatre coins du monde. Et là, je suis intri­gué par mon maître que je trouve de plus en plus agi­té. En fait, il n’y tient plus depuis qu’il a repé­ré cette étoile nou­velle, plus grande et plus brillante que les autres. Et le voi­là tout impa­tient de prendre la route pour, d’abord, rejoindre Mel­chior et Gas­pard. Les mages !

Oui mon maître est mage. Je pour­rais dire aus­si que c’est un grand sage même si dans l’immédiat, je le trouve bizarre. Il me parle d’un nou­veau-né qui est fils de Dieu, qu’il va le rejoindre, gui­dé par l’étoile du ber­ger et qu’il lui offri­ra ce qu’il a de plus pré­cieux : de la myrrhe.

Un nom du pays breton

C’est très confus pour moi tout cela. Là, je l’entends pro­je­ter d’aller jusqu’à l’enfant né… mais sans moi ! Pour­tant, Bal­tha­zar, je ne le lâche jamais, je le suis par­tout, je l’écoute et com­pa­tis quand il faut. Je le dis­trais de mes sauts, je suis tou­jours prêt à être cares­sé, à jouer dès qu’il en a l’humeur, je hoche la tête lorsqu’il me parle, me colle à lui si je le sens attristé.Oui, je peux être aus­si un peu sans gêne et n’en fais par­fois qu’à ma tête, mais je reste d’une fidé­li­té abso­lue depuis qu’il m’a adop­té lors d’un voyage dans le grand Ouest… J’accours dès que mon maître dit mon nom « Dege­mer, Dege­mer ![1] » (encore un nom rame­né de mon pays breton).

De l’or, de l’encens et de la myrrhe

Les rois mages en route suivant l'étoile

Bal­tha­zar renonce à m’emmener sous pré­texte que la route est trop longue pour le chien que je suis ! Mais je veux le voir ce Divin Enfant ! Et puis la nature m’a doté de bien longues et solides pattes, ce n’est pas pour res­ter bête­ment dans mon panier.Un matin, Bal­tha­zar part pour la grande tra­ver­sée du désert jusqu’au pays de Judée. Il ignore alors que je le suis de loin en loin. Je trotte, je n’arrête pas de trot­ter. Les jours pas­sant, la cha­leur, la dure­té des pierres et les sables des dunes rendent le tra­jet dif­fi­cile. Je souffre à en user mes pattes sur ces che­mins rocailleux. Les semaines suc­cèdent aux jour­nées inter­mi­nables et enfin, me voi­là devant la crèche.

  1. [1] bien­ve­nue en bre­ton.
| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutesIma­gi­nez une de ces nuits d’Orient dont l’immensité bleue du ciel, d’une pure­té et d’une pro­fon­deur magni­fique, fait res­sor­tir des mil­liers d’étoiles. Une brise fraîche et légère monte du désert. Les jar­dins exhalent des effluves de roses de Damas et de jas­min. L’heure est pro­pice : de savants per­son­nages, des mages, l’air grave, scrutent les étoiles. La tra­di­tion chré­tienne en a fait des rois et les a nom­més Mel­chior, Gas­pard et Balthasar.

Ce sont des astro­nomes ou astro­logues, sans doute adon­nés aux arts divi­na­toires, prêtres de leur reli­gion, et donc de digni­té qua­si royale. Ils inter­rogent la voûte céleste depuis si long­temps, que rien, ou presque, ne leur est abs­cons : ni les constel­la­tions et conjonc­tions des pla­nètes, ni les comètes et les éclipses. Mais cette nuit-là, quelque chose d’étrange et d’inhabituel sur­vient… une étoile incon­nue les éblouit sou­dain, les attire, les appelle : est-ce le signe d’un évé­ne­ment important ?

Conte de l'Épiphanie : Étoile des rois mages

* * *

Les anciens pen­saient en effet que les étoiles diri­geaient la des­ti­né des hommes. Fébri­le­ment, ils cherchent dans les livres sacrés, les oracles des dieux, mais ceux-ci res­tent muets, comme s’ils étaient deve­nus hos­tiles. Mais l’étoile, la plus brillante de toutes, est tou­jours là, scin­tillant dans le ciel. Elle semble les attendre et même les défier. Les Mages res­tent pen­sifs et troublés.

C’est alors qu’une autre lumière, toute spi­ri­tuelle, semble se frayer un che­min dans les méandres de leurs croyances. Avec per­sé­vé­rance, ils cherchent encore. Enfin, ils croient avoir trou­vé la réponse dans les livres sacrés des Hébreux. Le pro­phète Balaam avait pré­dit cette étoile (Nb 24,17). « Ah, c’est donc la nais­sance d’un roi ? Mais qui peut-il bien être, puisque le ciel l’annonce d’une manière si écla­tante ? » se disent-ils. Faut-il vrai­ment entre­prendre un long et périlleux voyage pour hono­rer la nais­sance d’un roi incon­nu ? Est-ce rai­son­na­ble­ment envi­sa­geable ? Pour­tant l’astre écla­tant de lumière est tou­jours là, obsé­dant, les pro­vo­quant sans cesse. Une force les pousse… C’est déci­dé, ils partent !

* * *

Or, chose extra­or­di­naire, l’étoile semble les pré­cé­der, leur indi­quer le che­min. Leur voyage devient intem­po­rel, presque oni­rique : dans les nuits calmes et sereines, ponc­tuées de myriades d’étoiles, les Mages, tou­jours gui­dés par cette lumière inces­sante, sont seuls avec leurs pen­sées, avan­çant len­te­ment à tra­vers les éten­dues du désert. Cette soli­tude est pro­pice au recueille­ment, à la contem­pla­tion : du sable et le ciel, rien d’autre !

Dans l’intimité des bivouacs, ils échangent leur avis, leurs pen­sées, leurs doutes : mais enfin, que cherchent-ils ? Qu’aimeraient-ils trou­ver à la fin de leur quête ? Quelle sorte de roi vont-ils ren­con­trer ? La cara­vane conti­nue dans la nuit du monde : presque un par­cours ini­tia­tique. Ils vont d’oasis en oasis et tra­versent quelques vil­lages et villes dans les­quelles ils ne veulent sur­tout pas s’attarder de peur d’oublier leur but.

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Foi, espérance et charité.

Ange de l'Épiphanie, parlant aux rois magesComme chaque année, les trois Mages, Gas­pard, Bal­tha­zar et Mel­chior, gui­dés par l’étoile d’Orient qui flam­bait, plus que jamais, dans la nuit de nos temps, se diri­geaient avec la même fer­veur vers la crèche de l’Enfant Roi pour lui offrir leurs tra­di­tion­nels pré­sents – de l’or, de l’encens et de la myrrhe – lorsque, contre toute habi­tude, un ange leur appa­rut en che­min pour leur annon­cer que cette fois-ci l’Enfant dési­rait d’autres cadeaux qui ne lui soient pas des­ti­nés à lui, mais aux visi­teurs de sa crèche.

Les mages furent aus­si sur­pris que trou­blés et inter­ro­gèrent l’Envoyé :

Gas­pard — Com­ment ? D’autres cadeaux ? Et pas à LUI ? Pour­quoi ? Il n’apprécie plus nos cadeaux ? Il s’est las­sé de nous ?

L’ange — Non, non, pas du tout, au contraire, mais il s’est peut-être las­sé des mêmes cadeaux. De plus, il n’en veut pas pour Lui. Il est venu pour don­ner et se don­ner, pas pour recevoir.

Bal­tha­zar — Mais quels autres cadeaux offrir ? Et à des visi­teurs ? Nous sommes déjà en route et nous allons presque arri­ver à Beth­léem ! Nous ne pou­vons pas rebrous­ser che­min, retour­ner en ville pour en cher­cher d’autres !

L’ange — Je sais, mais vous pour­riez pen­ser à des cadeaux imma­té­riels, que vous por­tez déjà en vous. C’est à vous de vous concer­ter et de les trou­ver. Je n’en dirai pas plus.

Et l’ange dis­pa­rut. Les Rois mages, encore sous le choc, échan­gèrent leurs émo­tions avant de se cal­mer pour échan­ger des idées :

Gas­pard — Mel­chior, tu as une idée ? Tu viens d’Europe, tu dois avoir plein d’idées !

Mel­chior — Mal­heu­reu­se­ment, ma région est cette année à court d’idées et aux prises avec des idéo­lo­gies. Mais nous gar­dons espoir…

Bal­tha­zar — Moi, je viens d’une région pauvre d’Afrique où nous avons plus besoin de res­sources que d’idées. La cha­ri­té manque.

Gas­pard — Moi, mon Asie natale est deve­nue une pépi­nière de croyances où cha­cun a son idée de Dieu. On ne s’en sort plus. Il faut s’armer de la vraie foi… Mais nous n’en sommes pas plus avan­cés, dans cet échange, pour trou­ver l’idée…

Mel­chior — Tiens, tiens…Tu viens de sor­tir une idée !

Gas­pard — Laquelle ?

Mel­chior — Tu as men­tion­né la foi… la vraie.

Gas­pard — C’est vrai, et Bal­tha­zar a men­tion­né la charité !

Bal­tha­zar — Et toi, Mel­chior, tu as men­tion­né l’espoir ! Ça ne vous rap­pelle pas quelque chose ?

Et les trois s’exclamèrent en chœur :

Auteur : Nesmy, Jean | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 11 minutes

(Conte d’Épiphanie)

Un che­min qui monte, monte roide entre de hauts talus cou­ron­nés de genêts et d’a­joncs, un che­min tout au plus bon pour les mules, c’est le che­min de Gré­ne­fol : un vrai che­min du para­dis, qui monte, monte, avec le ciel au bout.

Il va tout d’un élan de la borde de Gré­ne­fol à l’é­glise de Figue­blanche, tout droit, sans le moindre caprice d’é­cole buis­son­nière, sans le plus inno­cent jeu de cligne-musette à tra­vers champs. C’est tout au plus s’il se per­met de loin en loin un cloche-pied.

La borde est au creux de la combe, petit capu­chon bleu poin­tant dans un man­teau de bois. Le clo­cher de l’é­glise, tout en haut de la côte, jette à tous vents le son de ses cloches en plein ciel, et du matin au soir sur­veille la ronde de son ombre tour­nante sur la pous­si­née de mai­sons qui est autour.

Et donc, mon­tant roide de la borde à l’é­glise à vous rompre l’ha­leine, des­cen­dant fol­le­ment de l’é­glise à la borde à vous rompre le cou, voi­là le che­min de Gré­ne­fol, où seuls fré­quentent, avec les mules du mou­lin escor­tées d’un Pier­rot sif­fleur et fan­fa­ron, quelques petits du catéchisme.

Le Pier­rot peut à peine, tant la chaus­sée en est étroite, y faire cla­quer son fouet à deux mèches, et encore à petite volée ; les gars du caté­chisme, petites jambes et courtes haleines, même l’hi­ver si froid qu’il fasse, ne le grimpent qu’en soufflant.

Un vrai che­min du paradis !

*

Une gelée dans la campagne de Limoges