La leçon de catéchisme

Auteur : Nesmy, Jean | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 11 minutes

(Conte d’Épiphanie)

Un che­min qui monte, monte roide entre de hauts talus cou­ron­nés de genêts et d’a­joncs, un che­min tout au plus bon pour les mules, c’est le che­min de Gré­ne­fol : un vrai che­min du para­dis, qui monte, monte, avec le ciel au bout.

Il va tout d’un élan de la borde de Gré­ne­fol à l’é­glise de Figue­blanche, tout droit, sans le moindre caprice d’é­cole buis­son­nière, sans le plus inno­cent jeu de cligne-musette à tra­vers champs. C’est tout au plus s’il se per­met de loin en loin un cloche-pied.

La borde est au creux de la combe, petit capu­chon bleu poin­tant dans un man­teau de bois. Le clo­cher de l’é­glise, tout en haut de la côte, jette à tous vents le son de ses cloches en plein ciel, et du matin au soir sur­veille la ronde de son ombre tour­nante sur la pous­si­née de mai­sons qui est autour.

Et donc, mon­tant roide de la borde à l’é­glise à vous rompre l’ha­leine, des­cen­dant fol­le­ment de l’é­glise à la borde à vous rompre le cou, voi­là le che­min de Gré­ne­fol, où seuls fré­quentent, avec les mules du mou­lin escor­tées d’un Pier­rot sif­fleur et fan­fa­ron, quelques petits du .

Le Pier­rot peut à peine, tant la chaus­sée en est étroite, y faire cla­quer son fouet à deux mèches, et encore à petite volée ; les gars du caté­chisme, petites jambes et courtes haleines, même l’hi­ver si froid qu’il fasse, ne le grimpent qu’en soufflant.

Un vrai che­min du paradis !

*

Une gelée dans la campagne de Limoges

Tou­jours plein de musique, ce che­min de Gré­ne­fol. Le soleil donne-t-il ? La cigale y joue de la guim­barde. Il pleut ? L’eau du ciel y ruis­se­lant en cas­cade bous­cule ses cailloux, les fait chan­ter, chante avec eux. En tout temps, le gre­lot des mules rem­plit, et il s’y mêle encore le gre­lot des grillons dans les longs soirs d’été.

Et coquet, ce che­min ! Tout le long de l’an­née, d’une sai­son à l’autre, et d’un jour au sui­vant, il varie sa parure. Le prin­temps qui renaît rajeu­nit un peu la poudre verte et réveille les flammes engour­dies de ses touffes d’a­joncs. L’é­té lui cisèle un bijou de soleil guillo­ché, et dans un demi-jour verse un demi-som­meil à son front pous­sié­reux. L’au­tomne, une à une, à regret, souffle ses fleurs. Sur quoi sur­vient Noël, qui lui tisse, durant sa nuit mira­cu­leuse, un somp­tueux man­teau cou­leur de clair de lune.

Mais le plus lumi­neux de tous les feux qu’il jette, c’est au jour de l’, quand il déploie sur soi tous les dia­mants du gel : une rivière de brillants le long de chaque ornière, des pen­de­loques à ses buis­sons, des résilles argen­tées autour de ses cailloux, à chaque brin de son herbe séchée une gaine de cha­grin blanc. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut fêter les Rois !

Or donc, à pareil jour, un clair matin pou­dré du , Pier­ril des Che­ne­vottes a toqué au volet de son com­père Lio­nar­dou de Chantegril.

— Ohé l’a­mi ! La cloche de l’An­gé­lus a son­né ; elle ne tar­de­ra pas, celle du caté­chisme. Fais vite ! Si tu voyais d’ailleurs le joli givre

Ain­si pres­sé, allé­ché de la sorte, long­temps huché, le pares­seux enfin a répondu.

Et ils s’en vont à pré­sent tous les deux, Pier­ril et Lio­nar­dou, par le che­min de Gré­ne­fol. Ils s’en vont au milieu des fes­tons du givre, des astra­gales, des den­telles, des guir­landes et des bro­de­ries, par­mi les cris des oisillons plain­tifs de froid et piou­piou­tant de faim. Dans ce joli décor si clair, quelle musique triste ! C’est la fête des Rois et non celle des roitelets !

Quand ils ont fait la moi­tié du che­min, souf­flé un peu pour voir fondre sous leur haleine le givre des rameaux, sup­pu­té les mésanges qu’ils abat­traient d’un coup de lance-pierre, Lio­nar­dou, qui n’est pour­tant qu’un lève-nez, est pris d’une inquiétude

— C’est que… c’est que je ne sais pas le pre­mier mot de ma leçon. Tout hier soir à la borde j’ai pelé des châtaignes.

— Et moi, cric, cric, égre­nant du maïs, crois-tu que j’aie eu davan­tage le temps ? Mais ça ne fait rien, Lio­nar­dou, la leçon n’est pas très dif­fi­cile. Tu sais bien, c’est l’his­toire des Rois. On s’en sou­vient de l’an pas­sé. Et puis tout en mar­chant on va la lire haut. D’i­ci qu’on soit à Figue­blanche, on aura bien le temps.

Recherche dans le catéchisme par les enfants

— C’est ça ; allez Pier­ril, vite ton caté­chisme. j’ai oublié le mien. Que je t’aide et qu’on cherche. Ça s’appelle ?

De l’É­pi­pha­nie du Seigneur.

— Tu dis de l’É-pi-pha-nie ?… répète Lio­nar­dou en sui­vant de son doigt les lignes de la table.

— Donne ! Je sais où c’est, dit Pier­ril, qui lui arrache le livre et se met vive­ment à feuille­ter les pages. Ins­truc­tion sur les fêtes… Nous y voi­là !… De l’Avent, c’est plus loin… De la Cir­con­ci­sion, plus loin encore. Du Carême, c’est avant… Eh ! mais ça n’y est donc pas ?

— Tu as dû tour­ner deux pages !

Pier­ril mouille son pouce, le fait jouer deux ou trois fois sur les feuillets qui bruissent.

— Allons bon s’é­crie-t-il, juste, c’est la page qui manque !

Pier­ril et Lio­nar­dou se regardent, navrés.

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Et M. le curé qui a pro­mis de la brioche à tous ceux qui sauront !

Lio­nar­dou, ennuyé, se gratte encore la tête, que Pier­ril, résolu :

— Te désole donc pas, fait-il d’un ton tran­quille. Je me sou­viens assez et je vais tout t’ap­prendre. Tu vas voir si c’est simple !

Et cepen­dant qu’ils montent à petits pas souf­flés la grim­pette de Gré­ne­fol, sans sou­ci cette fois du joli givre blanc, dont les dia­mants fondent en perles d’eau, non plus que des oiseaux qui piaillent, tout tran­sis, Pier­ril, pro­fes­seur béné­vole, donne à son com­pa­gnon une leçon de catéchisme.

*

— Les trois rois, tu sais bien, sont venus de bien loin, de bien loin… les trois rois mages… Le livre même dit qu’ils étaient gen­tils… Il y en avait un qui avait une figure bar­bouillée de suie comme Ber­nard de Boun­di­gou ; il était habillé de rouge, et il avait les pieds nus dans des san­dales et un fou­lard rou­lé autour des che­veux. Tu te rap­pelles pas à la crèche. Ils venaient d’A­frique, ces mages, et en Afrique il n’y a pas de routes, tu com­prends, c’est comme dans les landes de Puy­per­du. Alors, pour les gui­der, le bon Dieu avait envoyé une étoile qui volait devant eux comme un « échan­ti ». Je t’ai dit qu’ils venaient d’A­frique. C’est un pays où il fait très chaud, même à Noël. Alors, pour ne pas se fati­guer, ils étaient mon­tés, l’un sur un cha­meau, l’autre sur une girafe, l’autre sur un éléphant…

santons rois mages éléphants chameaux

—Tu crois qu’un élé­phant ça peut tenir pied à une girafe ?

— Pour­quoi pas ? La Jane­ton attelle bien au même char­re­ton son âne et son che­val. Le che­val fait les pas petits, l’âne les fait grands, et ils s’ac­cordent. Alors, je te disais qu’ils étaient mon­tés sur les ani­maux de leur pays. C’est qu’ils étaient char­gés ils por­taient dans leurs bras plein de cadeaux pour le petit Jésus.

— Mais quels cadeaux, est-ce que tu sais ?

— Oh ! ben ! De quoi l’ha­biller déjà, pour sûr ! Il était qua­si­ment tout nu sur de la paille, et il fai­sait si froid, tu te sou­viens, que le bœuf et l’âne étaient obli­gés de souf­fler des­sus pour le réchauffer…

Dinn ! dinn ! dinn !

Tan­dis qu’ils jabotent, la cloche sonne, la petite cloche du catéchisme.

— Dépê­chons-nous, Pier­ril ! Nous allons être en retard !

Alors, sabots en mains, tout le long du der­nier rai­dillon, c’est une course folle vers le clocher.

*

— Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit…

Cin­quante gar­çons et filles, de leurs voix qui chantent flû­tées, récitent en chœur la prière du matin, pen­dant qu’un vol de pigeons, sus­pen­dant leurs rrrou­cou et bat­tant des ailes, se déroule en guir­lande au-des­sus du clocher.

Après la prière, la leçon.

Monsieur le Curé donnant le cours de catéchisme aux enfants

— Mes enfants, dit le curé, je vous l’ai pro­mis. La brioche des rois attend toute chaude au pres­by­tère ceux qui me racon­te­ront sans se trom­per l’É­pi­pha­nie de Notre-Sei­gneur. Allez, à toi déjà, Lionardou !

— Pas de chance, pense le petit, que ça com­mence juste par moi. Heu­reu­se­ment que Pier­ril m’a appris. Sans ça, pfuitt ! bon­soir la brioche !

Et Lio­nar­dou com­mence tout content, tel qu’il le tient encore tout chaud de Pier­ril, le beau récit des mages. Le roi gen­til, bar­bouillé de suie, l’ha­bit rouge, les pieds nus dans des san­dales, le cha­meau, la girafe et l’é­lé­phant, l’é­toile volante comme un feu-fol­let… tout défile dans la même pro­ces­sion et d’un pas de cavalcade.

Des voi­sins étouffent de rire dans leurs cas­quettes. M. le curé, qui se pro­me­nait entre les bancs, s’ar­rête, croise les bras sur sa poi­trine et regarde bien en face mon Lio­nar­dou. Diable ! qu’est-ce que ça signi­fie ? On dirait que ça se gâte !

Lio­nar­dou en a chaud aux oreilles. Il perd le fil de son dis­cours et baisse ses yeux contrits, atten­dant le châtiment.

— Polis­son !

L’o­rage qui gron­dait aus­si­tôt éclate :

— Mau­vais sujet ! Allez ! Sors d’i­ci et sauve-toi. Je t’ap­pren­drai à te moquer de moi !

Lio­nar­dou y com­prend de moins en moins. Quelle bêtise, grand Dieu ! a‑t-il bien pu dire ?

Et il sort déses­pé­ré sous le geste qui le chasse. Dans le bruit de ses sabots, qui tris­te­ment claquent sur les dalles, on dirait que sonne son regret.

— À toi, main­te­nant, Pierril !

Sitôt la porte refer­mée, la leçon reprend. Mais Pier­ril, levé, se dan­dine d’un pied sur l’autre, roule sa cas­quette entre ses doigts et demeure sans paroles.

— Voyons, Pier­ril, toi qui d’ha­bi­tude sais si bien ton catéchisme !

Pier­ril hésite, puis tout d’un élan vidant son cœur :

— C’est que, Mon­sieur le Curé, la page man­quait. Alors, en venant, Lio­nar­dou et moi, on a tâché de se sou­ve­nir de l’an pas­sé, de la crèche ! Ah ! si on avait eu un livre ! On ne vou­lait pas man­quer de tirer les rois chez vous ?

Cette fois, M. le curé com­prend. Lio­nar­dou se moquer de lui ? Ah ! bien oui ! c’en était loin de sa pen­sée ! Et M. le curé, ayant com­pris, s’at­ten­drit. Et M. le curé pardonne.

— Paix aux hommes de bonne volon­té ! mur­mure-t-il. Pier­ril, va cher­cher Lio­nar­dou : vous man­ge­rez tout de même de la brioche !

Jean Nes­my,
Contes limou­sins

brioche et la couronne des rois

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