Chandeleur – Où l’on parle des proverbes

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Chandeleur .

Temps de lec­ture : 10 minutes

I

Ça, c’est trop fort, s’ex­cla­ma Gil­bert en enfon­çant la porte d’un coup de poing, selon son habitude.

Et la petite Chris­tine, qui trot­ti­nait der­rière lui, répé­ta d’un air cour­rou­cé, en fron­çant autant qu’elle le pou­vait ses sour­cils blonds au-des­sus de ses yeux clairs :

— C’est trop fort !

— Qu’est-ce qui est trop fort, deman­da tran­quille­ment grand’­mère qui usait le jour, sui­vant son expres­sion, en tri­co­tant dans l’angle de la fenêtre.

— Voi­là, dit Gilbert.

— Voi­là, dit Chris­tine en même temps.

— C’est moi qui raconte.

— Non, c’est moi…

— Cha­cun à son tour, pro­po­sa grand’­mère, et Gil­bert, qui est un galant homme, lais­se­ra sa sœur par­ler la première.

Ce galant homme de huit ans ne put qu’o­béir, et c’est ain­si que Chris­tine prit la parole.

— Grand’­mère, c’est le sacris­tain qui est un méchant !

— Le sacris­tain ? L’aïeule demeu­rait stu­pé­faite. Le sacris­tain était un bon vieux pai­sible que les taqui­ne­ries des enfants de chœur ne par­ve­naient pas à rendre irritable.

— Natu­rel­le­ment, tu racontes l’his­toire par la fin ! obser­va iro­ni­que­ment le galant homme à qui la langue démangeait.

Chris­tine n’a­vait que six ans. Elle n’a­vait pas encore appris à mettre de l’ordre dans ses discours.

— Alors, raconte, toi, si je ne sais pas.

Gil­bert n’at­ten­dait que cette invitation.

— Eh bien, grand’­mère, figure-toi que nous avons vou­lu, moi et Christine…

— Chris­tine et moi, cor­ri­gea l’aïeule.

— Bon, si tu veux, Chris­tine et moi… nous avons vou­lu aller faire ce soir, en sor­tant de l’é­cole, notre prière au petit Jésus.

— On y va tous les soirs depuis Noël, reprit la petite fille d’une voix per­çante, et puis on donne des sous à l’ange qui dit mer­ci avec sa tête.

l'ange dit merci avec sa tête
On donne des sous à l’ange qui dit mer­ci avec sa tête.

— Donc, on a vou­lu y aller… et quand on est entré dans l’é­glise, sais-tu ce qu’on a vu ?

— On a vu… on a vu… plus rien du tout ! Plus de crèche, grand’­mère ! Les Mages sont par­tis et les Ber­gers aus­si, et tous les ani­maux et l’é­toile. Et le sacris­tain embal­lait le petit Jésus dans une boîte, avec de la fibre et du papier de soie !

— Dans une boîte ! répé­ta Chris­tine indignée.

— Alors, on a deman­dé au sacris­tain pour­quoi il enle­vait tout et il a dit : la crèche, c’est fini.

— Parce que c’est demain la… la quoi, Gilbert ?

— La . Il a dit, c’est demain la Chan­de­leur. Qu’est-ce que c’est que ça, grand’mère ?

Grand’­mère regar­dait les deux petits. Un peu de mélan­co­lie embuait ses yeux.

— Oui, la crèche, c’est fini… le petit Jésus a gran­di. Vous aus­si, vous gran­dis­sez, mes chéris.

— C’est vrai, dit Chris­tine, puisque je ne tiens plus dans mon petit lit et que je le donne à Philippe.

— Maman nous mesure, tu sais, près de la porte de sa chambre. Elle dit que je serai plus grand que Jean. J’ai deux cen­ti­mètres de plus que lui à mon âge, ajou­ta Gil­bert avec orgueil.

— Moi, je suis grande aus­si, pro­tes­ta Chris­tine. Le petit Jésus, il n’est pas plus grand que Philippe.

Et elle se tour­nait vers le der­nier-né qui som­meillait dans son cha­riot alsa­cien, tout pareil en effet au Jésus des crèches, avec ses bonnes joues rondes et roses et ses petits poings fermés.

— Eh bien, conclut grand’­mère, la Chan­de­leur c’est le der­nier jour où l’En­fant-Jésus est petit, le der­nier jour où sa maman le tient dans ses bras.

Et elle pen­sait : un jour encore, elle l’au­ra sur ses genoux, san­glant, défi­gu­ré, des­cen­du de la Croix. Mais l’aïeule ne vou­lait pas, hors du temps litur­gique, attris­ter ses petits avec l’i­mage du Calvaire.

La bonne, Julie, venait d’en­trer. Elle tour­na le com­mu­ta­teur, fer­ma les volets.

— Voi­là quand même les jours qui ral­longent, dit-elle d’un ton satis­fait. C’est bien ce qu’on dit chez nous :

À la Chan­de­leur, du pas d’une épousée. 

— Il faut croire que les mariées, chez vous, marchent à petits pas, remar­qua plai­sam­ment l’oncle Pas­cal qui entrait à ce moment. Mais, tout de même, vous avez rai­son, Julie. À la Chan­de­leur, on com­mence à sor­tir de l’hiver.

La ser­vante secoua fami­liè­re­ment la tête. Elle avait connu l’oncle Pas­cal tout enfant, et il avait beau être aujourd’­hui un savant pro­fes­seur, il demeu­rait pour elle le gamin dont elle avait maintes fois subi les taquineries.

— Faut voir encore, mon­sieur Pas­cal, le temps qu’il fera demain :

À la Chan­de­leur
L’hi­ver finit ou prend rigueur.

— Oh ! si nous nous met­tons à par­ler en pro­verbes, dit l’oncle, je suis imbat­table. J’en ai toute une collection.

Jean et Agnès, les deux aînés de la petite bande (douze ans et onze ans), ren­traient eux aus­si de l’é­cole. Ils jetèrent leurs livres sur la table.

— Vite, vite, oncle Pas­cal, ta col­lec­tion de proverbes !

L’oncle Pas­cal rit dou­ce­ment. Grand’­mère l’ap­pe­lait tou­jours bavard. Mais elle aus­si se tour­nait vers lui :

— Nous vous écou­tons, mon bon ami.

C’est qu’il y a, voyez-vous, deux espèces de bavards : ceux qui parlent pour ne rien dire, et ceux-là, on les fuit comme la peste ; et ceux qui, pleins d’é­ru­di­tion, en font aima­ble­ment pro­fi­ter leurs audi­teurs. L’oncle Pas­cal appar­te­nait à cette der­nière caté­go­rie de bavards. Aus­si, quel vrai bon­heur quand il ouvrait, comme un livre, les feuillets de sa mémoire.

— Les pro­verbes, voyez-vous, mes amis, ce sont de bons vieux pay­sans chaus­sés de gros sabots. L’un porte la blouse, l’autre les braies de velours, un autre encore une peau de mou­ton. Ils viennent de toutes les pro­vinces et parlent tous les patois. Je dois tra­duire leur lan­gage pour que vous les com­pre­niez. Cha­cun a son mot à dire. Mais ils ne sont pas tous d’ac­cord, et cepen­dant cha­cun s’en­tête et veut avoir raison.

Les proverbes de la Chandeleur en France
Les pro­verbes sont de vieux paysans.

— Je connais des enfants qui ne sont pas moins têtus, dit papa qui venait d’en­trer avec maman et qui jetait un coup d’œil signi­fi­ca­tif à ses deux aînés. Mais la remarque et le coup d’œil furent envoyés en pure perte, car Jean et Agnès n’y prirent pas garde, répé­tant seule­ment avec ravissement :

— Oncle Pas­cal nous raconte des histoires !

Le cercle main­te­nant s’é­tait élar­gi. Il y avait grand’­mère qui avait repris son tri­cot, papa, Jean et Agnès, Gil­bert et Chris­tine et, dans les bras de sa maman, le tout petit Phi­lippe qui tétait avec appétit.

— En Franche-Com­té, reprit l’oncle Pas­cal, on dit :

À Chan­de­leur, ver­dure,
À Pâques, neige dure.

En Lor­raine :

Si à la Chan­de­leur le soleil donne,
Six semaines après, mau­vais temps passera.

En Flandre :

À la Chan­de­leur
Mieux vaut loup dans la ber­ge­rie
Que soleil aux champs.

Dans les Ardennes, enfin :

Selon des anciens le dit
Si le soleil clair luit
À Chan­de­leur, vous croi­rez
Qu’en­core un hiver aurez. 

— Ce , dit papa, m’en rap­pelle un autre que je trouve d’une poé­sie extraordinaire :

Si le deuxième de février
Le soleil appa­raît tout entier,
L’ours, éton­né de sa lumière,
Va se remettre en sa tanière,
Et l’homme pren­dra grand soin
De faire res­ser­rer son foin,
Car l’hi­ver, ain­si que l’ours,
Séjour­ne­ra qua­rante jours.

— Pour­quoi « faire res­ser­rer son foin » ? inter­ro­gea Agnès. Qu’est-ce que cela signi­fie, papa ?

— C’est pour don­ner à man­ger aux bêtes de somme qui vont s’en­nuyer qua­rante jours dans l’é­table. S’il fait du soleil demain, c’est qua­rante jours d’hi­ver encore.

— Qua­rante jours ! s’ex­cla­ma maman qui, tout occu­pée de son nour­ris­son, ne prê­tait qu’une oreille dis­traite aux pro­pos échan­gés, mais qui sur­sau­ta à cette sinistre pré­dic­tion. Qua­rante jours ! Il faut faire ren­trer du char­bon, mon ami !

— Ne nous affo­lons pas. Le soleil aura peut-être demain le bon esprit de se cacher.

— Ce ne serait pas meilleur, conti­nua phi­lo­so­phi­que­ment l’oncle Pas­cal. On dit en Auvergne :

Quand à la Chan­de­leur le soleil fait lan­terne,
Pour sept semaines, il s’hiverne.

— Et s’il pleut ?

— Ce serait pis encore. Voi­ci ce qu’on dit en Albigeois :

Pour Notre-Dame Chan­de­leur
Si le sau­vage d’an­tan (le vent) sort
Et s’il rentre en pleu­rant,
Il pleut qua­rante jours durant.

— Et, ce qui est plus grave, reprit papa, s’il pleu­vait demain, nos vacances seraient com­pro­mises quant au temps, car on dit aussi :

Quand il pleut sur la chan­delle
Il pleut aus­si sur la javelle,

c’est-à-dire sur la mois­son, aux mois de juillet et d’août.

— De tout cela, reprit l’oncle Pas­cal, il appa­raît que la Chan­de­leur est une date cri­tique dans la répar­ti­tion des sai­sons. Au pays char­train on dit en effet :

À la Chan­de­leur
Fin des pleurs
Ou com­men­ce­ment des grandes douleurs. 

— Je sais une petite chan­son plus réjouis­sante, dit maman qui repla­çait maître Phi­lippe, repu, au creux de son cha­riot. Écoutez-la :

Chan­de­louse, Chan­de­loure
S’il pleut, vente ou loure,
L’hi­ver est fre­loure (per­du).

— Voyez-vous, dit papa, il vaut mieux écou­ter les opti­mistes. Et puis, à quoi bon se fâcher contre la pluie, contre le froid ou contre la cha­leur ? Cela leur est bien égal. Pre­nons le temps comme il vient et les gens comme ils sont, c’est le secret du bonheur.

— Tous ces pro­verbes sur le temps m’en rap­pellent un autre qui est anglais, dit grand’­mère. Le voi­ci : There is no cloud but has a sil­ver lining, il n’est pas de nuage qui n’ait une dou­blure d’argent ou, si vous aimez mieux, les nuages sont dou­blés de soleil.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? ques­tion­na Gilbert.

— Cela veut dire que là-haut, par-des­sus ces lourdes nuées grises, le soleil est tou­jours étin­ce­lant. Et c’est aus­si l’i­mage de la bon­té de Dieu pour nous, tou­jours pré­sente et agis­sante, même quand nous ne le voyons pas.

Derrière les nuages, le soleil brille
Les nuages sont dou­blés de soleil.

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