Rêveuse, Marie-Aude, la petite dentellière, regardait sa navette inactive…
« Plus de fil, plus de soie, murmura-t-elle ! Je n’aurai rien à offrir à Notre Dame Marie cette année… »
Ce n’était pourtant ni le courage, ni l’adresse qui manquaient à Marie-Aude ! Petite dentellière adroite, elle était réputée pour la finesse merveilleuse de ses dentelles, de ses délicates incrustations, et les riches dames de la ville se dérangeaient pour venir lui commander leurs fines parures.
Or, cette année-là, Marie-Aude était désolée. Désireuse d’offrir un présent à Notre-Dame, comme toutes les dentellières du pays avaient coutume de le faire en la belle fête de la Purification, elle avait rêvé depuis des mois de tisser en fil de soie un napperon d’autel qui serait le chef-d’œuvre de sa vie !
A l’avance, elle avait imaginé d’accorder harmonieusement ses fils en gracieux épis, en lis des champs, et de tisser finement, si finement en l’honneur de la Sainte Vierge, qu’il ne saurait y avoir plus délicat travail que le sien.
Seulement, la vaillante petite Marie-Aude avait dépensé jusqu’à son dernier sou pour soigner sa chère grand-mère malade, dont elle était le seul soutien, et il lui était impossible d’acheter le moindre fuseau pour Notre-Dame !
* * *
Pensive et triste, Marie-Aude écoute le régulier tic-tac de l’araignée Miette qui tisse, elle, une fine dentelle à la fenêtre et tord son fil en nœuds légers. Marie-Aude aime cette petite araignée besogneuse qui travaille en artiste silencieusement et, en connaisseuse, la jeune fille admire ses trames légères toutes emperlées de la rosée du matin.
« Miette, ma mie, murmure-t-elle, tu as bien de la chance ! » Et Miette, l’humble protégée de Marie-Aude, semble compatir car, insensiblement, elle ralentit son travail et l’arrête tout à fait par discrétion !
* * *
« Vois, Marie-Aude, j’ai presque terminé ma dentelle pour Notre-Dame… elle est soignée, tu sais ! »
C’est Huguenette, l’amie de Marie-Aude, qui déploie une vaporeuse coulée de dentelle argentée qu’elle fait admirer avec fierté à la pauvre jeune fille.
A cette vue, Marie-Aude sent de grosses larmes brûlantes monter à ses yeux ; mais elle les refoule courageusement, et, d’un cœur sincère, félicite la petite Huguenette de son adresse.
« Sainte Vierge, prie-t-elle en se retrouvant seule, il n’y a que moi qui n’aurait rien à vous offrir ; vous qui avez été pauvre, vous comprendrez mon infortune ; vous qui avez été charitable, vous m’approuverez d’avoir acheté à ma grand-mère son flacon d’élixir plutôt que l’écheveau de soie dont je rêvais ; vous qui avez été adroite ouvrière, vous comprendrez la tristesse de mon renoncement ! »
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Et voici que, sa prière terminée, Marie-Aude a soudain une idée qui la transfigure… C’est ce soir que toutes les dentellières offriront leurs présents à la Sainte Vierge. Marie-Aude sera avec elles !
Lentement, la jeune dentellière recueille au fond d’un petit pot un reste de belle farine de froment, blanche comme neige ; au poulailler, elle recueille un bel œuf blanc comme neige ; dans une petite jatte, un peu de lait, blanc comme neige aussi, et enfin elle avise une poignée de sucre semblable à du givre…
Et Marie-Aude, toute rosé de plaisir, mélange avec art toutes ces blancheurs et prépare une pâte lisse, souple et embaumante dans le beau saladier de terre cuite.
Maintenant, appliquée, elle verse dans la poêle familiale la belle pâte lisse et, la présentant à la chaude caresse des flammes de l’âtre, elle cuit une crêpe fine, si fine qu’elle en devient dentelée, comme un beau tulle rare. La jolie crêpe ajourée dore comme les épis que Marie-Aude avait rêvé de tisser ; elle dore et, fleurant bon le froment, parfume la petite cuisine. Alors, Marie-Aude la retourne d’un geste adroit et la cristallise de sucre…
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Et le soir, comme les autres dentellières, elle s’approche de Notre-Dame en déposant la jolie crêpe à ses pieds.
« Notre-Dame, murmure avec ferveur la petite Marie-Aude, je vous offre ma dentelle, une dentelle de pauvre bien sûr, mais que j’ai enrichie de tout mon cœur et de mon renoncement bien accepté. »
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Doucement, la Sainte Vierge souriait… Et c’est depuis de temps-là que les jolies crêpes ressemblent à de précieuses dentelles.
Marcelle Colliaux.
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