Sainte Madeleine Sophie Barat, née le 12 décembre 1779 à Joigny, morte le 25 mai 1865 à Paris (jeudi de l’Ascension).
La petite Sophie naquit prématurément, car un incendie dans le voisinage de la maison des Barat fit une telle peur à sa mère que celle-ci mit au monde son enfant avant terme. Ses parents, de milieu modeste, avaient une certaine aisance, son père exerçait la profession de tonnelier et vigneron.
L’enfant était chétive, mais extrêmement intelligente. Son frère aîné, Louis, qui se destinait à la prêtrise, prit en mains sa formation intellectuelle et morale. Il fut pour l’enfant un précepteur doué, bien que d’une très grande sévérité. Il organisa pour Sophie (et ceci dès l’âge de dix ans) un plan d’études où les grands classiques de l’Antiquité avaient une place de prédilection. Elle apprit ainsi le latin, le grec, et sut réciter des tirades de Virgile et d’Homère avec facilité.
L’Abbé fut jeté en prison pendant la révolution ; aussitôt libéré, il reprit sa tâche et enseigna à sa sœur l’Écriture Sainte, les saints Pères et les théologiens. Ce maître ne lui passait rien ; jamais de compliment et des humiliations sans fin.
Mère Barat, racontant cela à ses religieuses, leur dit un jour : « En premier lieu, ces traitements me causèrent bien des larmes puis, la grâce aidant, je vins à aimer les humiliations et, ajouta la Mère, dont le bon sens fut un des éléments marquants de sa nature, (avec un brin de malice dans la voix !) ce qui m’avait tant fait souffrir finit par me faire rire. »
Très jeune, Sophie avait perçu l’appel de Dieu ; mais sous quelle forme la voie des conseils évangéliques se révélait-elle ? Elle n’envisageait pas d’autre vocation que celle du Carmel car elle aimait la vie cachée, silencieuse et tout nous laisse deviner que déjà, à vingt ans, elle jouissait de dons d’oraison élevés.
Dans la tourmente qui s’était abattue sur la France, les couvents étaient dévastés, les religieuses disséminées… il y avait des besognes urgentes à remplir auprès de la jeunesse, élevée souvent en dépit de toute tradition religieuse. La formation intellectuelle si solide que Madeleine Sophie avait reçue la destinait sans qu’elle s’en doutât à être l’instrument choisi par Dieu pour remplir cette difficile mission.
Son frère Louis en fut conscient, aussi, avec son ami le Père Varin, Père de la Foi, ancien officier dans l’armée des Princes, il la persuada de renoncer à son rêve du Carmel, et, avec deux autres jeunes filles, lui fit jeter les bases d’une société d’éducation : former les enfants et les jeunes filles à leurs tâches futures, en faisant d’elles des chrétiennes instruites de leur religion, recevant une formation complète dans toutes les branches de la connaissance.
Ce fut, certes, à contrecœur que l’humble Sophie accepta, mais si elle renonça, avec quel déchirement, à la vie contemplative, elle ne renonça point à la contemplation et on peut dire que sa vie d’oraison fut vraiment l’âme de son admirable rayonnement spirituel. Sur le conseil du Père Varin, elle adoptera pour sa société le patronage du Sacré-cœur s’inspirant des règles de la Compagnie de Jésus. Elle saura ajouter à ces règles beaucoup de l’esprit carmélitain.
Le 21 novembre 1800 Madeleine Sophie et ses deux compagnes se donnèrent à Dieu pour accomplir l’œuvre immense qu’il y avait à faire. A travers les labeurs, les difficultés de tous ordre, les contradictions, la congrégation va étendre ses rameaux sur le monde entier. A sa mort, la société comptait 3.500 religieuses, de nombreuses Maisons dont 44 en France et 20 en Amérique du Nord. Il y en avait aussi en Irlande, en Angleterre, en Hollande, en Prusse, en Galicie, au Tyrol, en Italie, à Cuba, au Chili…
Dieu avait choisi la fragile Sophie à cause sans doute de son humilité et de son inépuisable charité. Sa puissance d’aimer venait du cœur même de Dieu, elle avait appris sa dévotion aux sources les plus pures de l’Évangile et des Épîtres de saint Paul, rien de sentimental, mais la moelle même du christianisme.
Sainte Madeleine Sophie aimait les enfants, les pauvres, les pécheurs, les animaux, les fleurs, toutes créatures de Dieu. Elle voulait que les maîtresses respectent les enfants. N’oubliez pas, disait-elle, que ces petites créatures sont faites à l’image de Dieu. Mettez-vous à leur place, ajoutait-elle en évoquant les nouvelles qui devaient s’habituer à la vie de pension. Leur faire endosser un tablier et des manches d’écriture, leur offrir une panade et des carottes, il y a de quoi les faire bondir ! Laissez-les tacher d’encre une première robe d’uniforme, demandez-leur avec bonté ce qu’elles aiment, donnez-leur de petits entremets appétissants, quelques friandises. Avec le temps, et très vite, elles voudront faire comme leurs compagnes.
Une petite « nouvelle » dont le père était riche armateur au Caire, pleurait toutes les larmes de son corps en cachette, au dortoir : la petite pensait qu’elle était devenue pauvre et que si ses parents venaient à apprendre l’état ou elle était réduite, ils en souffriraient. Quand la Mère Barat apprit le fait, elle s’indigna qu’on n’ait pas compris la délicatesse du sentiment filial de l’enfant. A votre place, dit-elle à la religieuse responsable, j’aurais fait coucher cette petite près de moi. Je l’aurais réchauffée de mes soins personnels. La nuit, j’aurais surveillé son sommeil et j’aurais reçu les larmes qu’elle étouffait avec des étrangères. Je l’aurais caressée, écoutée. Oui, elle s’est trouvée pauvre de baisers maternels et vous aviez les richesses du Cœur de Jésus à lui prodiguer !
Dans une autre occasion, nous voyons sa compréhension maternelle devant les tentations des pensionnaires ; le fait se passa parmi les benjamines du pensionnat de la rue de Varenne à Paris. Une religieuse aperçut sa Supérieure en haut de l’escalier, regardant le défilé des petites entrant dans le réfectoire. Or, une longue planche portait des tartes
saupoudrées de sucre. La première élève, en passant, lèche du sucre la largeur de sa langue, la deuxième l’imite et toutes les suivantes font de même. Mère Barat riait de bon cœur à ne rien perdre du spectacle. Quand toutes eurent passé… « Descendons maintenant, allons voir les petites moustaches blanches, mais je me garderai bien de gronder ces enfants placés devant une occasion terrible. »
Puis, elle fit remarquer à la Sœur responsable qu’il était maladroit de mettre sur le passage des enfants des gâteaux trop appétissants.
Elle veillait à la bonne marche des écoles ; sa sollicitude se portait sur les détails les plus humbles. Elle voulait que la nourriture soit bonne, préparée avec soin, elle était très exigeante en ce qui concerne le soin à donner aux santés. Nous répondons des corps aussi bien que des âmes. Elle voulait que l’uniforme des enfants soit seyant. L’extérieur pour une femme disait-elle, est important.
Lors d’un long périple qu’elle fit en Italie afin de visiter ses établissements et voir le pape, elle confiait aux religieuses ses souvenirs : Je cherche les côtes de Grèce. J’ai été dans mon enfance feu et flamme pour ce pays de génie… Athènes, Sparte, Corinthe ont possédé mon cœur… Sachons aussi passionner nos élèves pour le beau. Mettons-leur l’histoire dans l’âme !
Le conducteur du voiturin (voiture de louage), Giorgino, était le cocher de ce petit couvent ambulant, qui cheminait à travers l’Italie. Très fier de son emploi, il astiquait chevaux et harnais avec zèle, ayant vite compris que la « Madre » Barat était un être d’exception. A chaque étape, chargé de pourvoir au logement et aux repas dans les plus modestes auberges, il demandait que tout fût le mieux pour « la sua santa ». Les adieux furent émouvants et Giorgino pleurait en recevant la belle montre que la « Santa Madre » lui donnait : Jamais je n’en retrouverai une semblable, sinon en Paradis, dit-il.., où nous nous reverrons, Giorgino… ajouta la « Madre ».
Les mendiants trouvaient toujours le meilleur accueil auprès de Mère Barat. Même les récidives et les faiblesses de ses « protégés » ne la décourageaient pas. Une jeune fille qu’on avait déjà pourvue plusieurs fois d’un emploi, la mettant à l’abri de la misère, revenait de nouveau en haillons, solliciter la Mère Générale. C’est la troisième fois qu’elle revient, fit remarquer la portière. Et vous, ma Sœur, n’êtes-vous allée que trois fois à Notre Seigneur ?
Mère Barat, non seulement donnait avec une générosité inépuisable, mais possédait cette délicatesse de la charité qui sait donner, selon l’occasion, un peu de ce superflu qui, pour certains pauvres, est plus que le nécessaire : c’est ainsi qu’un grand-père se vit allouer chaque semaine sa petite portion de tabac, seul plaisir du vieillard.
Enfin, le fond de son cœur si riche en miséricorde nous est révélé par le trait suivant. Un jour, elle reprocha, pour la première fois, à la sœur portière, de se laisser tromper par les mendiants. Celle-ci répondit en soupirant : Hélas ! C’est bien vrai, mais à moi, Notre Seigneur me donne toujours… quoique indigne, et puis, ma Mère, que feriez-vous à ma place ? Oh moi, ma bonne fille, répliqua la Mère Générale en se pressant la tête avec les deux mains, Moi, je ruinerais la société ! Le Bon Dieu le sait bien, aussi jamais il ne m’a voulue portière.
Nous voudrions en terminant l’évocation de ces épisodes de la vie de sainte Madeleine Sophie, ajouter quelques menus faits qui furent retenus dans le procès de béatification. Mère Barat avait non seulement une compassion infinie envers les hommes, mais cette compassion s’étendait à la Création entière, car elle voyait Dieu dans toutes ses créatures. Elle ne supportait pas qu’on maltraite un animal, aussi, en voyant un jour une sœur frapper une bête, elle prédit qu’elle ne resterait pas dans la société, car ce geste révélait un mauvais cœur, effectivement, la sœur quitta la congrégation.
Rendons heureuses toutes créatures du Bon Dieu, c’est mon principe, disait-elle. Les créatures, se sentant aimées, lui rendaient cet amour. En voici un épisode (toujours extrait du procès de béatification).
Une fois, comme Mère Barat était au chœur avec d’autres religieuses pour réciter les laudes de la sainte Vierge, au moment où l’on disait le verset « Benedicte omnes et pecara Domino » on entendit le bruit des pas d’un agneau qui entrait à l’église à la recherche de la servante de Dieu. Il vint se blottir à ses pieds. Remarquant certaine émotion dans la communauté, la Mère Barat, sans se troubler, en gardant son sérieux, se leva, s’achemina vers la porte de l’église, l’agneau la suivit et fut mis à la porte par elle-même.
Il y eut aussi l’histoire de la chatte de Conflans : sentant sa progéniture menacée, lors d’une absence de Mère Barat, la chatte se terra avec ses six chatons jusqu’au retour de la Mère Générale. Alors seulement, elle sortit de sa cachette et amena fièrement sa famille vers sa protectrice, inutile de dire que sa famille eut la vie sauve !
Les vrais mystiques, (Mère Barat jouissait des plus hautes vertus de la vie d’union à Dieu), semblent avoir retrouvé l’innocence de la première création, et jouir de l’emprise que Dieu donna au premier homme sur les êtres inférieurs.
Quoique d’une santé délicate, souffrant de nombreuses infirmités, Mère Barat mourut à un âge avancé, 86 ans. Elle fut terrassée par une congestion qui l’emporta en quelques jours et elle rendit son âme à Dieu le jour de l’Ascension. Elle fut inhumée dans la Maison de Conflans auprès de ses premières disciples ; les pentes menant à l’entrée de la sépulture étaient tapissées de violettes, les enfants qui savaient combien elle avait aimé les fleurs en cueillaient des bouquets pour couvrir sa tombe.
Super, merci.
Excellente initiative que ces « belles histoires ».
Pour les plus grands, il y a également les vies de saints de Louis de Beaumont.
Mais pour les plus petits, ce format-là est parfait. Et j’affectionne particulièrement sainte Madeleine-Sophie, une sainte méconnue en son propre pays, mais heureusement, bien connue hors de celui-ci (grâce aux écoles qu’elle a fondées).
Merci pour votre aimable commentaire.
Et plus encore pour faire connaitre les vies de saints audio de Louis de Beaumont, que l’on peut se procurer pour une somme dérisoire (2,20 € !) ici : http://www.exultet.net/eshop/pages-main/manufacturers_id-46/index.html