Charles de Foucauld, l’ermite du désert

Auteur : Carrouges, Michel | Ouvrage : Charles de Foucauld .

Temps de lec­ture : 11 minutes

La blouse et la cabane

Charles de Foucauld quitte la Trappe et devient frère CharlesAprès six ans à la Trappe, Frère Albé­ric obtient la per­mis­sion de partir.

Que faire ? Où aller ? Com­ment réa­li­ser son rêve ? Il est tout seul comme étaient tout seuls saint Fran­çois d’As­sise et saint Ignace, au début de leurs grandes aven­tures. Il fait comme eux, il prend un habit de pauvre et il se met en route à la grâce de Dieu.

Puis­qu’il n’est plus trap­piste, il renonce à son nom de Frère Albé­ric et se fait appe­ler Frère Charles.

De même, il quitte le grand habit monas­tique en laine blanche, et s’ha­bille comme un ouvrier du temps avec une longue blouse rayée de bleu et de blanc et un pan­ta­lon de coton­nade bleue ; il enfile des san­dales et coiffe un incroyable bon­net blanc qu’il a taillé lui-même et cou­su avec de la ficelle.

Il part à pied sur les routes de la Terre Sainte en direc­tion de . Rien ne lui paraît plus déli­cieux que d’al­ler vivre dans ce vil­lage où Jésus a vécu lui-même, auprès de Marie et de Joseph le charpentier.

O bon­heur, c’est à Naza­reth que Frère Charles, jadis connu comme vicomte de Fou­cauld, trouve une place d’homme de peine, c’est-à-dire de domes­tique de der­nière caté­go­rie, auprès d’un couvent de clarisses.

Il habite, au bout du jar­din, dans une minus­cule cabane en planches, pareille à celles où on range les outils.

Charles de Foucauld jardinier à Nazareth

Il fait des petits tra­vaux de maçon et de menui­sier, mais comme il est vrai­ment mal­ha­bile pour ces ouvrages, c’est plus sou­vent qu’il bêche le jar­din, épluche des légumes ou les trie et sert à table l’au­mô­nier. Son grand plai­sir est de faire office de sacris­tain et d’en­fant de chœur. Dans les inter­valles du tra­vail, et tard dans la nuit, il passe de longues heures à prier et à médi­ter. Mais tout son tra­vail est prière, car il est évident qu’il serait inca­pable de mener une pareille vie, s’il n’of­frait sans cesse tout ce qu’il fait à l’a­mour de Dieu.

Oui, Frère Charles est bien par­ve­nu à la der­nière place à Naza­reth, il ne peut pas des­cendre plus bas dans l’é­chelle sociale et il ne peut pas vivre plus constam­ment dans le tra­vail manuel et la prière, comme le Christ l’a­vait fait dans ce même village.

Et pour­tant quelque chose manque à une telle vie.

Mère Saint-Michel et Mère Éli­sa­beth, les abbesses des cla­risses de Naza­reth et de Jéru­sa­lem qui eurent sou­vent l’oc­ca­sion d’ap­prendre tout ce qu’il fai­sait et même de cau­ser avec lui à tra­vers les grilles de leur par­loir, éprou­vaient pour lui une admi­ra­tion crois­sante. Que de bien pour­rait faire un pareil homme s’il deve­nait prêtre et s’il accep­tait de sor­tir de cette cabane pour aller vivre au grand jour avec les autres hommes.

Frère Charles repous­sait vio­lem­ment cette idée : à cause de son pas­sé il se sen­tait trop indigne de deve­nir prêtre et, en outre, il ne se sen­tait pas du tout la voca­tion de prêcher.

Peu à peu cepen­dant il com­prit que Dieu l’ap­pe­lait à deve­nir prêtre et à vivre au milieu des autres hommes, non pas pour leur faire de grands ser­mons, mais pour vivre en frère au milieu d’eux comme le Christ l’a­vait fait auprès des hommes de son temps.

Pour lui la vie de Naza­reth était une vie de délices, mais il déci­da d’y renon­cer par amour pour Dieu et par amour de toute l’hu­ma­ni­té. N’é­tait-ce pas d’ailleurs le tout qu’il avait déjà entrevu ?

Alors il prit le bateau pour la France et vint faire un séjour à Notre-Dame des Neiges pour deman­der à ses amis trap­pistes de le pré­pa­rer au sacer­doce. Il pas­sa près d’un an avec eux et fut ordon­né le 9 juin 1901, à qua­rante-deux ans.

Charles de Foucauld et l'appel du désert

A côté de l’oasis de Béni Abbés

Un homme che­mine dans le désert. Petit et maigre, il est vêtu d’une gan­dou­rah, un grand man­teau de laine blanche sur lequel il a cou­su à hau­teur de sa poi­trine un mor­ceau d’é­toffe rouge repré­sen­tant le cœur et la croix du .

C’est Frère Charles. Il a quit­té Notre-Dame des Neiges, tra­ver­sé Alger, dépas­sé les dje­bels de l’, pour péné­trer dans le Saha­ra et s’en­fon­cer tou­jours plus loin vers le sud-ouest.

Sou­dain, devant lui, une longue nappe d’eau miroite sous le brû­lant soleil d’A­frique, c’est l’oued Saou­ra. Sur la berge d’en face, Frère Charles découvre une magni­fique forêt de sept ou huit mille pal­miers. C’est l’oa­sis de Béni Abbès, verte et fraîche au milieu du désert.

de Foucauld prêtre, ermite à Béni Abbès, accueille tout le mondeC’est à Béni Abbés en effet que Frère Charles veut habi­ter main­te­nant ; il y a seule­ment quelques mois que les troupes fran­çaises l’oc­cupent et elle est la plus proche des régions sud du Maroc. Depuis son ordi­na­tion, Frère Charles brûle du désir de retour­ner au Maroc. Non plus en explo­ra­teur, mais en chré­tien. Il vou­drait revoir ses amis Sidi Edris, Bou Rhim, Bel Kacem, et bien d’autres. Mais le Maroc est tou­jours aus­si farouche et Frère Charles ne peut pas par­tir tout de suite. En atten­dant, il s’ins­talle à Béni Abbès. Cepen­dant il ne s’ar­rête pas à l’ombre des pal­miers là où sont les vil­lages des habi­tants, il ne s’ar­rête pas non plus au for­tin de l’ar­mée fran­çaise, il s’en va un peu plus loin, à sept ou huit cents mètres, sur un immense pla­teau rocheux brû­lé par le soleil. Il va vivre là dans une masure iso­lée construite en blocs de terre bat­tue et cou­verte de roseaux, une masure toute pareille aux gour­bis des Arabes.

Tout le secret de Frère Charles est visible dans l’emplacement qu’il a choi­si pour cette masure : d’un côté il ne veut pas pro­fi­ter de la fraî­cheur de l’oa­sis, ni de la sécu­ri­té du for­tin, il veut vivre à l’é­cart comme un et pas­ser, tout seul, de longues heures en prière devant Dieu. Mais d’un autre côté, il veut être à petite dis­tance des autres pour que tout le monde puisse lui rendre faci­le­ment visite.

Alors com­mence un extra­or­di­naire défilé.

Vous vous sou­ve­nez de l’É­van­gile : quand Jésus paraît, il est tout de suite entou­ré, côte à côte, d’une foule de gens qui d’or­di­naire sont tou­jours sépa­rés : des gens du peuple, des pauvres, des malades, des riches, de pieux juifs et des offi­ciers romains. En plein soleil, au milieu des pierres brû­lantes, la masure de Frère Charles accom­plit le même miracle. Frère Charles est ermite, car il ne sort pas de la petite clô­ture qu’il s’est fixée, mais son ermi­tage est sans cesse ouvert à tout le monde. De l’oa­sis arrivent des malades, des pauvres, des esclaves qui demandent secours et ami­tié. Du for­tin arrivent des sol­dats et des offi­ciers fran­çais qui ont besoin d’aide spi­ri­tuelle. Des pro­fon­deurs loin­taines du désert viennent des nomades et même des mara­bouts qui veulent par­ler de Dieu avec l’er­mite chrétien.

Frère Charles a réa­li­sé le vieux rêve auquel il se pré­pa­rait depuis si long­temps, il s’est mis à la der­nière place aux yeux de tous. Il ne se penche pas du haut de sa gran­deur sur la misère des pauvres : il s’est fait pauvre comme eux, comme eux il habite une masure, comme eux il porte un habit d” « indi­gène », comme eux il se nour­rit de bouillies d’orge et de dattes. Bien plus, il ne mange pas à part, il s’as­soit par terre avec les pauvres, plonge sa cuiller dans le même plat et boit de l’eau dans le même pichet.

C’est pour­quoi il a le droit d’ap­pe­ler son ermi­tage la Fra­ter­ni­té du Sacré-Cœur, car son idéal de fra­ter­ni­té n’est pas un mot en l’air, c’est un fait qu’il réa­lise dans tous les actes de sa vie.

Et, comme dans le fes­tin de l’É­van­gile, parce qu’il a choi­si la der­nière place, Dieu lui donne la pre­mière, car tous viennent lui deman­der conseil, qu’ils soient riches ou pauvres, musul­mans ou chré­tiens, arabes ou fran­çais. De même qu’il reçoit la visite des esclaves, Frère Charles reçoit aus­si celle du géné­ral Lyautey.

Père Charles de Foucauld et la Fraternité du Sacré-Cœur

Ces visites qui se mul­ti­plient dérangent de plus en plus les heures de prière que Frère Charles s’é­tait minu­tieu­se­ment fixées. Qu’im­porte, il n’y a pas d’op­po­si­tion véri­table entre la prière et l’ac­cueil des visi­teurs, car Frère Charles reçoit cha­cun d’eux comme un hôte envoyé par le Christ, ou plu­tôt comme le Christ lui-même, à cause de la parole du Juge­ment Der­nier : « Tout ce que vous avez fait pour l’un de ces mal­heu­reux, c’est à Moi-même que vous l’a­vez fait. »

Quand il était petit gar­çon, Charles de Fou­cauld avait appris au caté­chisme, comme tous ses cama­rades, que le pou­voir de Dieu est infi­ni. Deve­nu un homme, depuis sa conver­sion, il aimait dire que Dieu est le maître de l’im­pos­sible. Il le savait bien, puisque long­temps il lui avait paru impos­sible de se conver­tir. Mais Dieu en avait déci­dé autre­ment et Charles de Fou­cauld, depuis qu’il avait écou­té son appel avec amour, avait lâché la gour­man­dise pour les pri­va­tions, le confort pour la pau­vre­té, l’or­gueil pour l’hu­mi­li­té, la paresse pour le tra­vail. C’est bien ce qui éton­nait les anciens cama­rades de Fou­cauld quand ils le revirent en Afrique du Nord, après son pas­sage par Naza­reth. Ils étaient stu­pé­faits et bou­le­ver­sés jus­qu’au fond de l’âme de voir une pareille trans­for­ma­tion. Fou­cauld ne vou­lait être appe­lé que Frère Charles, mais les Fran­çais l’ap­pe­laient le Père de Fou­cauld, parce qu’il était prêtre, parce qu’ils ne pou­vaient rien oublier de la par­tie glo­rieuse de son pas­sé et qu’ils le consi­dé­raient comme un maître. C’é­taient au contraire les musul­mans qui l’ap­pe­laient Frère Charles comme il le dési­rait. Il avait beau être fran­çais, chré­tien et prêtre, il par­ta­geait leur vie et il rece­vait le der­nier des musul­mans avec autant de poli­tesse et d’af­fec­tion que ses compatriotes.

A l’i­mage du Christ, il était deve­nu tout à fait humble et doux. N’i­ma­gi­nez sur­tout pas qu’a­vec cette dou­ceur et cette humi­li­té il était deve­nu un homme sans carac­tère. A Béni Abbés, il avait ren­con­tré de nom­breux esclaves et consta­té que leur situa­tion était abo­mi­nable. Il fut indi­gné de pen­ser que les offi­ciers fran­çais tolé­raient l’es­cla­vage pour ne pas avoir d’his­toires avec les caïds. Il pro­tes­ta ouver­te­ment avec vio­lence, décla­rant que ce n’é­tait ni chré­tien ni français.

Charles de Foucauld proteste contre l'esclavage

Il n’ob­tint pas satis­fac­tion tout de suite, mais quelques années plus tard l’au­to­ri­té fran­çaise prit les mesures néces­saires pour faire dis­pa­raître l’esclavage.

Charles de Foucauld sort de son ermitage pour soigner les blessésA la même époque, il y eut des com­bats entre la Légion étran­gère et des pillards maro­cains aux envi­rons de Béni Abbès. Au cours d’une attaque sur­prise, de nom­breux légion­naires furent bles­sés et hos­pi­ta­li­sés dans une autre oasis.

Pour Frère Charles le ser­vice de Dieu et des hommes pas­sait avant la ques­tion de clô­ture, il déci­da donc tout de suite de quit­ter son ermi­tage pen­dant quelques jours pour aller auprès de ces légion­naires blessés.

Un offi­cier fran­çais qui était de pas­sage et ne le connais­sait pas, le vit par­tir tout seul sur la piste et vou­lut s’y oppo­ser en pro­tes­tant que c’é­tait une folie : un homme seul et désar­mé était sûr de se faire mas­sa­crer en route. Mais ceux qui connais­saient Frère Charles se conten­tèrent de sou­rire : « Il peut pas­ser où il veut. Pour les musul­mans, c’est un homme de Dieu et sa per­sonne est sacrée. »

(A suivre)


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