En pleine bataille

Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

La mitraille cré­pite, les obus pleuvent ; Julie doit crier très fort pour se faire entendre de ses bles­sés par-des­sus le fra­cas de la bataille. Dans la grande chambre dont les murs tremblent à chaque explo­sion, elle porte des tisanes, fait une piqûre, redresse un oreiller, écrit une lettre sous la dic­tée d’un mou­rant, ras­sure un fié­vreux. Le visage calme sou­rit dans l’en­ca­dre­ment de la cor­nette des sœurs de Saint-Charles.

Soeur infirmière à l'hopital soignant les soldats blessés« Bois ça, mon petit, ça te fera du bien. »

Le gars ne sau­ra pas si le cœur de la sœur tremble en dedans : de Saint-Charles, pour se pen­cher sur toute souf­france, elle accom­plit sa mis­sion sans défaillance. Hier dans le calme, aujourd’­hui dans le péril, tou­jours comme Dieu voudra…

Dans la salle, des hommes discutent :

« Tu parles d’une bagarre, ça « mar­mite » dur !

— Tout à l’heure on va y pas­ser aussi. »

Mais la sœur inter­vient, tendre et bourrue :

« Pas tant de dis­cours, vous autres ; vous allez me faire de la tem­pé­ra­ture. Et puis ne vous en faites pas mes petits, le Bon Dieu nous protège. »

Ba-a-a-aoum ! ! ! La mai­son tremble jus­qu’en ses fon­da­tions, la reli­gieuse se signe et ferme les yeux ; mais, comme la mort ne vient pas, elle les rouvre, juste pour voir le petit Chau­met qui sort sa tête de ses cou­ver­tures ; alors, son rire mater­nel monte en une envo­lée d’hé­roïsme, plus haut que le cré­pi­te­ment des mitrailleuses, raillant et ras­su­rant le « petit » à la fois.

« Ce n’est pas pour nous, va, mon gars. »

D’un pas tran­quille, elle vient tout bon­ne­ment le bor­der et puis s’en va vers la fenêtre pour voir un peu le vil­lage mar­tyr. Mais là, son cœur ne fait qu’un saut dans sa poi­trine et un cri s’é­trangle sur ses lèvres :

L'église brule en feu« L’é­glise qui brûle ! Pour elle, cela veut dire avant tout le Christ en dan­ger car Mon­sieur le Curé est par­ti au pays voi­sin voir un mou­rant, et qui donc sau­ve­ra le ciboire sacré ?

« Vous n’a­vez besoin de rien, mes petits ?

— Non, non, ma sœur, ça va…

— Alors, je vais vous envoyer sœur Marthe. »

Un homme a deviné :

« Où c’est que vous allez, ma sœur ; faut pas sor­tir à c’tte heure, vous y resteriez. »

Mais elle prend à peine le temps de lui adres­ser un sou­rire ras­su­rant et sort sans se retour­ner ; en arri­vant dans la rue, une âcre odeur de fumée, de poudre et de pous­sière la fait tous­ser ; les balles claquent sur les murs, sifflent à ses oreilles, cré­pitent par­tout ; des ébou­le­ments entravent sa marche, des sol­dats sur­gissent de der­rière une haie pour l’empêcher de pas­ser, de cou­rir à la mort ; mais elle s’ex­plique, volu­bile et pressée.

« L’é­glise, le ciboire, Mon­sieur le Curé qui n’est pas là… »

Et ils s’é­cartent res­pec­tueu­se­ment pour la lais­ser passer

« Faites ma sœur et pre­nez garde à vous. »

Elle a rele­vé sa robe pour cou­rir dans les décombres, et si elle est trop hale­tante pour répé­ter les « Ave Maria », son cœur s’at­tache à la Vierge comme sa main à son cha­pe­let. Arrivera-t-elle ?

Bombardement : Décombres dans la rue

Bzzzzzzz !!! Une « mar­mite » passe au-des­sus d’elle en sif­flant et va atter­rir cent mètres plus loin, dans une for­mi­dable explo­sion. Sœur Julie se hâte… Main­te­nant, le clo­cher est proche, étreint par les flammes, un tour­billon de fumée la suf­foque. Elle fonce en avant. Le grand por­tail est infran­chis­sable. Alors, elle s’é­lance vers la petite porte de côté. La voi­ci dans la nef dévas­tée ; l’in­cen­die ronfle, la toi­ture craque de toutes parts, un mor­ceau de pla­fond s’ef­fondre dans un fra­cas épou­van­table. La cha­leur est atroce, la fumée suf­fo­cante, le péril immi­nent. Elle fris­sonne, mais sans perdre la tête elle court à la sacris­tie, ouvre l’ar­moire, décroche la clef du taber­nacle parée d’un gland doré, revient au maître-autel. Plus que la mort qui peut tom­ber à chaque ins­tant des voûtes embra­sées, elle sent pré­sent le Christ dans le ciboire qu’elle sai­sit avec un immense res­pect et serre à deux mains sur sa poi­trine en s’en retour­nant sans courir…

Ciboire et Eucharistie« Mon Dieu ! »

Quelle paix en elle et quelle majes­té dans sa démarche ! La pluie de fer et de feu conti­nue et elle va dans le vil­lage en ruines, comme hier à la Fête-Dieu, por­tant Jésus dans les rues jon­chées de fleurs. Mais au lieu de petits enfants bou­clés qui jettent des roses sur son pas­sage, il y a des sol­dats de France à leurs mitrailleuses, qui se redressent une seconde et saluent leur Dieu. Arri­vée à l’hos­pice, dans la petite salle à man­ger du rez-de-chaus­sée où l’on ser­vait Mon­sei­gneur les jours de Confir­ma­tion, elle se « com­mu­nie » de toutes les hos­ties qui res­tent. Puis elle remonte faire son action de grâces auprès de ses « petits » qui ont vingt ans, dont deux de , et qui dans leur souf­france réclament une maman…

Rose Dar­dennes.

Gravure à Colorier Enfant-Jésus Eucharistie

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