XXVI
Les femmes missionnaires, les prêtres jaunes et noirs
Que l’Évangile du Christ soit porté partout : c’est là le souhait de tout chrétien digne de ce nom. Comment dès lors serait-on surpris que des âmes de femmes qui aiment le Christ veuillent se dévouer, personnellement, à cette noble tâche missionnaire ? Cette Marie de l’Incarnation dont nous avons parlé, et puis, au XVIIIe siècle, les Sœurs de Saint-Paul de Chartres, furent à cet égard des devancières ; aux XIXe et XXe siècles, nombreuses sont les femmes missionnaires, et nombreuses sont les congrégations religieuses qui expédient aux missions un certain nombre de leurs membres. La cornette blanche des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul émigrait en 1838 sur le rivage oriental de la Méditerranée ; plus tard, elle a émigré au-delà des Océans. Sainte Sophie Barat, fondatrice des Dames du Sacré-Cœur, vit une de ses religieuses, Mère Duchesne, se faire l’apôtre des Indiens sauvages de l’Amérique du Nord. Mère Javouhey, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, s’en fut chez les nègres du Sénégal et chez les nègres de la Guyane, et ceux-ci l’aimaient tellement, qu’ils voulaient, en 1848, l’élire comme député. C’est grâce aux écoles et aux hôpitaux organisés par Mère de Vialar, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, que les musulmans d’Algérie, très peu de temps après la conquête, connurent les bienfaits de la charité chrétienne, et que la foi romaine devint plus familière aux populations de l’Archipel et de l’Asie Mineure, qui ont pour chefs spirituels des évêques non soumis au Pape. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des congrégations féminines commencèrent de se fonder, qui ne devaient poursuivre d’autre objet que celui d’aider les missionnaires. Une des plus importantes est celle des Sœurs Blanches, filles de ce génie apostolique que fut le cardinal Lavigerie : elles ont beaucoup fait pour la prospérité spirituelle de cette chrétienté de l’Ouganda, dont tout à l’heure nous parlions. Et, parcourant toute la gamme des couleurs, je pourrais vous parler des Sœurs Bleues de Castres, qui au Gabon sont d’admirables auxiliaires pour les Pères du Saint-Esprit, et qui ont la joie insigne de recueillir en leurs ouvroirs de petites sauvagesses, et d’en faire des chrétiennes et des civilisées, et de les défendre contre les vilains projets de certaines familles qui voudraient les donner à de vieux chefs sauvages ayant déjà plusieurs femmes ; je pourrais vous parler des Sœurs Grises du Canada, fondées au XVIIIe siècle, et qui, au XIXe, à la suite des Oblats de Marie-Immaculée, se sont enfoncées dans les régions les plus sauvages de l’Extrême-Nord américain, vivant sous les huttes, naviguant sur des pirogues fragiles, bravant les rapides, affrontant les périls les plus divers, pour aller à la recherche des âmes ; et il me semble, en décrivant ainsi la vie quotidienne des Sœurs Grises, décrire celle, aussi, que mènent en Papouasie les Religieuses de Notre-Dame du Sacré-Cœur d’Issoudun.
Mais j’ai hâte d’arriver à celle des congrégations féminines qui, de notre temps, a eu le plus rapide développement, et dont les multiples œuvres devaient tenir une large place dans l’illustration de ce livre : les Franciscaines Missionnaires de Marie. Il y a cinquante ans, elles n’étaient encore qu’une mince poignée ; aujourd’hui elles sont six mille. Elles se recrutent surtout en France, mais en d’autres pays aussi. Déjà, au cours de ce livre, l’image vous les a souvent montrées ; vous avez pu pressentir, ainsi, en combien de points du monde s’élève leur prière et s’exerce leur action. À deux reprises, durant sa vie de fondatrice, Mère Hélène de Chappotin entonna l’alleluia avec une allégresse dont tout son cœur s’exaltait : la première fois, ce fut lorsqu’on lui demanda ses filles pour des léproseries, à Madagascar, à Ceylan, en Birmanie ; la seconde fois, lorsqu’elle apprit qu’en Chine des révolutionnaires qui s’appelaient les Boxers, hostiles, à la fois, aux Européens et au christianisme, avaient mis à mort sept de ses religieuses. Cela se passait en l’année 1900 : les Franciscaines Missionnaires de Marie n’avaient pas encore un quart de siècle d’existence, et déjà parmi elles, quelques élues connaissaient cette gloire de verser leur sang pour le Christ. Cette Chine qui leur fut meurtrière continue d’exercer sur elles un attrait ; elles y sont aujourd’hui six cent cinquante, indifférentes au péril que constamment elles courent par suite des troubles révolutionnaires. On les a vues rester en leur hôpital, dans des villes chinoises que les Européens avaient quittées, que les consuls avaient quittées ; elles représentent la charité du Christ leur maître, qui ne connaît pas de frontières et qui s’étend à toutes les races ; lorsqu’elles entendent manifester contre les « diables d’Européens », elles demeurent sereines ; elles ne se sentent point visées ; il y a déjà, parmi elles, tellement de religieuses d’origine chinoise, que les blanches silhouettes des Franciscaines Missionnaires de Marie ne sont plus considérées, en Chine, comme des silhouettes d’étrangères.
Car de plus en plus les religieuses missionnaires s’occupent de recruter des compagnes parmi les jeunes filles qui hier étaient des païennes, ou de grouper celles-ci dans de petites congrégations spéciales, — noires ou jaunes, — à l’ombre de leurs propres couvents. Ainsi réalisent-elles, avec une activité toujours grandissante, le programme des Papes, — spécialement de Benoît XV et de Pie XI, — qui veulent que les apôtres venus d’Europe s’entourent, dans leurs lointaines chrétientés, de collaborateurs et de collaboratrices issus du sol même qu’ils évangélisent.
Le développement des clergés indigènes dans les missions est probablement l’un des faits les plus importants de l’époque actuelle, et Pie XI, en prenant un certain nombre d’évêques parmi les prêtres chinois, en choisissant un Japonais, aussi, pour évêque au Japon, un Annamite pour évêque en Annam, a montré combien la Papauté s’intéresse à la formation des prêtres de race jaune, et combien elle est soucieuse de rechercher parmi eux ceux qui peuvent recevoir la dignité épiscopale. Les prêtres nègres, aussi, vont peu à peu se multipliant. À mesure que dans ces races les traditions chrétiennes sont assez anciennes et assez solidement affermies, s’accroît le nombre des mains noires ou des mains jaunes qui élèvent l’hostie, qui la consacrent, qui y font descendre le Christ. Il ne peut y avoir, pour un homme, une fonction plus belle, plus auguste : des nègres, des jaunes, deviennent aujourd’hui, çà et là, dans les missions, les conducteurs spirituels de leurs frères de race ; et c’est là, pour les missionnaires blancs, — apôtres venus d’Italie ou de France, ou Pères allemands du Verbe divin, ou missionnaires anglais de Mill-Hill, ou Pères belges de Scheut, et j’en pourrais citer beaucoup d’autres, — c’est là, pour eux tous, la marque certaine qu’ils n’ont pas travaillé en vain. Ils étaient venus implanter l’Église, dépositaire des grâces du Christ ; elle est si bien implantée, que des fils, petits-fils ou arrière-petits-fils de païens sont aujourd’hui, parce que prêtres, les distributeurs de ces grâces.
Ce sera l’honneur de notre époque, dans le recul des temps, d’avoir enrôlé d’innombrables femmes au service de l’Évangile, et d’avoir vu s’épanouir et mûrir des germes de clergés indigènes, qui, sur certains territoires, peuvent dès maintenant prêter une aide aux missionnaires d’Europe, et qui bientôt leur succéderont, et leur permettront ainsi d’aller à la conquête d’autres peuples, toujours plus avant, toujours plus loin.
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