Le bâton de Saint Joseph (Légende bretonne)

| Ouvrage : 90 Histoires pour les catéchistes II .

Temps de lec­ture : 6 minutes

La vieille Yvonne s’as­sit un jour près de son rouet et nous dit :

— Oui, mes enfants, le plus grand des saints du , c’est . Écou­tez bien ce que je vais vous racon­ter, et vous ver­rez si je vous ai menti.

Nous nous appro­châmes plus près encore de mère Yvonne, et elle commença :

Histoire de saint Joseph pour les enfants - Cabane du père Joseph « Per­sonne n’ai­mait Joseph Mahec, dans le pays de Ker­véh qu’il habi­tait ; aus­si vivait-il soli­taire dans une cabane déla­brée. On disait que le soleil lui-même avait tel­le­ment en hor­reur Joseph Mahec, que jamais il ne pro­je­tait ses joyeux rayons sur sa mai­son­nette enfumée !

Un soir de mars où Joseph Mahec allait péné­trer dans sa cabane, il se sen­tit tirer légè­re­ment par le pan de son habit. Il se retour­na sur­pris, presque en colère, car il n’é­tait point accou­tu­mé à ces manières. On le fuyait, mais on ne le tou­chait pas. Der­rière lui était un vieillard cour­bé sous le poids des années et de la misère. Des che­veux blancs, une longue barbe, des traits véné­rables pré­ve­naient en faveur de cet incon­nu, en dépit de ses pauvres habits. Mais Joseph Mahec n’a­vait de pitié pour per­sonne. Il regar­da à peine cet étran­ger dont le front avait pour­tant un doux rayon­ne­ment emprun­té sans doute à la rési­gna­tion de son âme.

— Que me vou­lez-vous ? deman­da-t-il brusquement.

— Assis­tez-moi, dit le pauvre homme.

Mahec par­tit d’un grand éclat de rire.

— Est-ce que j’as­siste quel­qu’un, moi ?… Ne savez-vous pas que l’on m’ap­pelle le Hibou ? Je fais du mal tant que je peux, et jamais de bien à per­sonne. Hors d’ici !

— Mon bon Mon­sieur, par pitié, dit-il, en joi­gnant ses mains déchar­nées et trem­blantes. Par­fois une bonne œuvre peut assu­rer le salut éternel…

— Je veux la paix, à la fin ! s’é­cria Mahec. Va-t-en d’i­ci, ou je te…

— Mon ami, pour l’a­mour de Saint Joseph, dit encore le pauvre vieux, en rete­nant dou­ce­ment le bras de Mahec.

Mahec offre son Penn Bazh breton à Saint Joseph— Ça, c’est dif­fé­rent, dit celui-ci ; saint Joseph, c’est mon patron, comme disent les dévots. J’aime ce saint-là, parce qu’au moins sa place au para­dis, il ne l’a pas gagnée en fainéant.

Joseph Mahec ten­dit à l’in­con­nu son gros noueux.

— Tenez, dit-il, de sa voix rude, pre­nez ce penn-baz[1] ; vous n’a­vez pas les jambes bien solides il ser­vi­ra à assu­rer votre marche, et si vous ren­con­trez quelque mal­fai­teur, vous pour­rez vous défendre contre lui.

Le vieil étran­ger prit le bâton ; son regard s’é­clai­ra d’une douce lueur et un radieux sou­rire vint à ses lèvres.

— Joseph Mahec, dit-il, Dieu ne laisse pas sans récom­pense un verre d’eau froide don­né en son nom. Au revoir et merci !

Plu­sieurs années s’é­cou­lèrent. Joseph Mahec mou­rut. Il mou­rut comme il avait vécu…

Il reve­nait à sa cabane ; sou­dain ses jambes plièrent sous lui. Il vou­lut appe­ler, mais aucun son n’ar­ri­va à ses lèvres. Par un der­nier effort, un cri rauque s’é­chap­pa de sa poi­trine et ses lèvres arti­cu­lèrent ces trois mots : « O saint Joseph ! »

Joseph Mahec est trans­por­té dans les régions éter­nelles. Deux portes s’offrent à ses regards : l’une est sombre et pleine d’hor­reur, l’autre étin­celle des feux de mille pier­re­ries. Le nou­veau venu s’en va frap­per à la porte étincelante.

— Qui êtes-vous ? deman­da le glo­rieux pêcheur de Gali­lée, por­tier du Ciel.

— Joseph Mahec, répon­dit l’ar­ri­vant d’une voix timide.

— Je ne vous connais pas, dit saint Pierre.

Reje­té du para­dis, Mahec n’a­vait d’autre par­ti à prendre que de frap­per à la porte sombre. Il ne pou­vait se déci­der… Or c’é­tait jus­te­ment le dix-neu­vième jour de mars, fête de saint Joseph, que Joseph Mahec avait été jeté de la vie dans l’é­ter­ni­té. Au moment où la main de feu de Satan allait étreindre sa proie, une voix lui dit :

— Arrière, mau­dit ! Et Mahec vit la douce et pla­cide figure d’un vieillard dont le front était ceint d’un nimbe d’or.

— Que faites-vous là, mon ami ? deman­da le Saint à Mahec.

— Saint Pierre me refuse la porte du para­dis… alors je vais en enfer…

Le baton de saint Joseph - St Joseph et ses lysLe Saint pré­sen­ta au mal­heu­reux pécheur un bâton qu’il tenait à la main.

— Recon­nais­sez-vous ce bâton ? demanda-t-il.

— C’est le mien, s’é­cria Mahec.

— Une bonne action n’est jamais per­due. Frap­pez à la porte du para­dis avec ce bâton et saint Pierre vous ouvrira.

Mahec heur­ta de nou­veau à la porte gar­nie de pier­re­ries avec son bâton, cette fois. Saint Pierre parut.

— Encore vous ? dit l’a­pôtre. Ne vous ai-je pas dit qu’i­ci vous n’a­viez pas d’amis ?

— J’ai saint Joseph, mon patron, reprit timi­de­ment Mahec.

— Saint Joseph est absent…

Mais saint Pierre n’en dit pas davan­tage. Ses yeux tom­bèrent sur le bâton que le nou­vel arri­vant tenait à la main. Une branche de lis d’une admi­rable blan­cheur venait de s’y attacher !

— Le bâton de saint Joseph ! s’é­cria saint Pierre. Entrez, entrez, mon ami ; ici tout le monde obéit à saint Joseph, tout lui est sou­mis. Entrez et jouis­sez du bon­heur des élus.

Mahec fran­chit la porte étin­ce­lante, et sa voix qui, à la der­nière heure, avait su dire ce mot : « Joseph !» se mêla à celle des Bien­heu­reux qui, pour toute l’é­ter­ni­té, répètent ses louanges.

Vous voyez, enfants, ajou­ta la vieille Yvonne, en arrê­tant son rouet, si j’a­vais rai­son de vous dire que saint Joseph est le plus grand Saint du paradis. »

Couronnement de Saint Joseph au Ciel par Juan de Valdés Leal

  1. [1] Le Penn Bazh est le bâton tra­di­tion­nel des pay­sans bre­tons

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.