IX
Un monde nouveau devant les missionnaires : l’Amérique
Prêcher le Christ chez les musulmans, c’était là une audace que bien souvent on expiait par la mort. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, un très savant tertiaire franciscain, Raymond Lulle, courut l’Europe pour faire organiser des collèges spéciaux où des clercs étudieraient les langues de l’Orient et s’exerceraient à les bien parler, où ils étudieraient la religion de Mahomet pour mieux pouvoir la réfuter ; puis il franchit la mer à deux reprises, impatient de discuter avec les docteurs musulmans et de prêcher sur les places publiques. La première fois, à Tunis, on l’emprisonna, et puis on l’expulsa ; la seconde fois, à Bougie, il fut lapidé et laissé pour mort sur la plage ; quelques marchands génois le recueillirent, l’embarquèrent ; en mer, il rendit l’âme, au mois de juin 1315 : cet infatigable apôtre avait alors quatre-vingts ans.
Un siècle et demi plus tard, à Tunis, une autre grêle de pierres s’abattit sur un autre religieux, dominicain celui-là. L’histoire est bien émouvante : il s’appelait Antonin de Ripolis ; sur mer, entre Naples et Palerme, où il allait suivre un cours de théologie, des pirates l’avaient capturé ; ils l’avaient conduit à Tunis, ils l’y avaient vendu comme esclave. Le malheureux, dans un moment de coupable faiblesse, avait renié le Christ ; il s’était marié. Un jour des marchands de Florence venus à Tunis lui annonçaient la mort de saint Antonin, archevêque de cette ville ; la voix de ces marchands était pour lui ce qu’avait été pour saint Pierre le triple chant du coq ; lui aussi pleurait, se repentait, priait Dieu de lui pardonner. Il distribuait aux pauvres tout ce qu’il avait, restituait sa femme à son beau-père et s’en allait crier à l’autorité musulmane : « J’ai renié le Christ ; je reviens à lui ; faites-moi mourir. » Elle lui donna trois jours pour réfléchir ; le renégat de la veille se prépara, durant ces trois journées, à devenir le missionnaire du Christ. L’autorité le faisait comparaître : il éleva la voix plus fermement, plus hautement encore, et ce fut pour donner l’assaut à la foi musulmane, pour la braver, pour la convaincre d’erreur. Sur la place publique, on le lapida, tandis qu’il demandait pardon, et pour son crime de naguère, et pour les crimes de ses bourreaux ; d’avance, un bûcher s’allumait pour consumer son corps ; ses cheveux, ses vêtements demeuraient intacts ; plusieurs musulmans se convertissaient au Christ ; sa brève mais tragique prédication s’achevait par des miracles, qui s’accomplissaient sur sa tombe… Ses lèvres étaient closes à jamais ; mais par ces miracles, il parlait encore du Christ.
Le franciscain Martin de Spolète, au XVIe siècle, fut un homme de foi ardente : à Fez, en 1530, il discutait avec les docteurs musulmans, et sa parole avait sur quelques-uns d’entre eux tant d’influence, que le roi voulait qu’il quittât le pays. Et Martin de répondre qu’il voulait entrer dans une fournaise ardente, et qu’on le verrait triompher des flammes par la grâce du Christ son maître. Le bûcher s’alluma ; Martin y monta, fit réciter trois Credo, quatre Pater : il était intact lorsqu’il sortit des flammes. Le Christ était vainqueur. Mais alors un Maure perçait Martin d’un coup de lance, tandis qu’un autre lui fracassait la tète. Dociles à l’ordre de Dieu, les flammes l’avaient épargné ; les hommes le tuaient.
Mais si les musulmans au delà de la Méditerranée demeuraient rebelles aux efforts des apôtres chrétiens, les imaginations des missionnaires et leur activité pouvaient désormais prendre élan vers des centaines de millions d’autres âmes qui au delà des océans les attendaient. Les deux grandes puissances maritimes, Portugal et Espagne, avaient, dès le XVe siècle, frayé aux missionnaires des routes nouvelles : celle de l’Extrême-Orient par le cap de Bonne-Espérance ; celle de l’Amérique. Avec leurs soldats, leurs fonctionnaires, leurs commerçants, ces grandes puissances allaient amener en ces terres lointaines des missionnaires : devant eux, c’était tout un monde nouveau qui s’ouvrait, toute une moitié de l’humanité qu’il s’agissait de donner au Christ.
Et un autre Martin, — Martin de Valence celui-là, — franciscain aussi, mourant de fatigue en 1534 sur la plage du Mexique, devant le vaisseau sur lequel il aurait voulu s’embarquer pour aller reconquérir la Chine, offrait à Dieu le sacrifice de son rêve.
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