III
Saint Martin
Saint Martin fut, au IVe siècle, le grand missionnaire du pays qui s’appelle aujourd’hui la France. En ce temps-là, la Gaule, province romaine, possédait des grandes villes, comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Tours, Paris ; mais elles étaient rares, et d’immenses forêts couvraient le sol de France ; les terres cultivées, les terres des paysans, se trouvaient ainsi séparées les unes des autres, et très isolées. Tandis que les villes étaient en grande partie converties au christianisme, la foi n’avait pas pénétré assez avant dans les campagnes ; elles étaient restées païennes pour la plupart ; d’ailleurs, le nom de païen vient du latin paganus, paysan ; cette étymologie prouve la lenteur que les habitants des campagnes mettaient à devenir chrétiens.
En Gaule, il ne restait plus guère de la religion des Druides que la croyance aux divinités des fontaines, aux arbres-fées ; les Romains avaient apporté avec eux leurs faux dieux, leurs idoles ; les paysans les avaient adoptés, mélangés avec leurs divinités gauloises ; le tout était confus, et c’étaient surtout des superstitions
qui faisaient le fond de la religion populaire.
Saint Martin naquit de parents païens, en Pannonie, province romaine des bords du Danube. Son père était officier. Sa famille, un jour, quitta la Pannonie pour s’établir en Italie : Martin fut élevé à Pavie. C’est là qu’il apprit à connaître et à aimer la religion du Christ ; et, à dix ans, malgré l’opposition de ses parents, il alla trouver des prêtres chrétiens et leur demanda de le préparer au baptême. Ceux qui dans la primitive Église s’instruisaient en vue de ce sacrement portaient le titre de chrétiens, bien que le baptême ne leur fût donné parfois qu’après plusieurs années d’attente : tel fut le cas de saint Martin, qui ne le reçut qu’à vingt-deux ans.
Mais dès l’âge de douze ans, il sentait en lui un attrait irrésistible pour la vie que menaient dans le désert les moines d’Orient. Prier Dieu, vivre dans la pauvreté, même dans la privation des choses les plus nécessaires à la vie, tel était son désir. Ses père et mère, scandalisés par de semblables goûts, le forcèrent à entrer dans la carrière militaire à l’âge de quinze ans. Il devait rester dans l’armée durant huit années, consciencieux, faisant son devoir de soldat, mais menant dans les garnisons, dans les camps, une vie qui n’était qu’un exemple constant de vertu et de charité : il n’était pas de ceux qui rougissent de leur Dieu devant les hommes, qui craignent les moqueries et les ricanements lorsqu’ils pratiquent ouvertement leur religion. Martin était avant tout un bon soldat du Christ.
C’est à l’époque où il tenait garnison à Amiens qu’on raconte de lui le trait de charité qui a été répété à sa louange le long des siècles. Saint Martin, de par son grade, était tenu de faire des tournées dans le pays pour veiller au bon ordre et à la sécurité des habitants. Mais il ne se contentait pas d’observer la consigne de son métier, il secourait les pauvres, si nombreux surtout par les hivers rigoureux, leur donnait des vivres, des vêtements. Un certain matin, il rentrait de sa tournée d’inspection et de charité, matin glacial qui succédait à une nuit plus froide encore. Au cours des heures précédentes, il avait vidé sa bourse dans la main de ceux qui avaient faim et froid ; il s’était par surcroît, pour ces membres souffrants de Jésus-Christ, dépouillé de ses vêtements, à l’exception de sa chlamyde, manteau militaire dont il s’enveloppait par-dessus sa tunique et sa cuirasse. Tout à coup il voit devant lui un malheureux complètement nu. Son cœur aussitôt est ému de pitié ; mais il se désole de n’avoir plus rien à donner ; il espère que parmi ses compagnons d’armes il y en aura bien un pour secourir le misérable transi de froid : aucun ne s’arrête ; alors, revenant près de lui, il enlève son manteau, le fend en deux et en donne la moitié au mendiant. Lui-même se couvre tant bien que mal avec l’autre moitié, et certains se moquent de lui en le voyant ainsi accoutré. Que lui importe, et qu’importe, aussi, s’il sent à son tour les morsures de la gelée : son frère en Jésus-Christ n’a plus froid. La nuit suivante, Jésus lui apparut dans son sommeil : la moitié du manteau que Martin avait donnée revêtait le Sauveur, il était entouré d’anges ; et Martin entendit ces paroles : « Martin, encore candidat au baptême, m’a revêtu de ce manteau. »
L’année suivante, Martin était baptisé, et deux ans plus tard il réclama son congé de l’empereur Constant : « Je suis désormais soldat du Christ, déclarait-il, et il ne m’est plus permis de porter les armes. » Constant, qui rassemblait à ce moment-là ses troupes pour combattre les Francs, s’emporta porta contre Martin : « La religion n’est qu’un prétexte, lui dit-il ; tu veux fuir la bataille qui se livrera de-main. » Mais Martin s’écria : « Puisque tu ne crois pas en ma sincérité, que tu me prends pour un lâche, fais-moi marcher seul et sans armes, demain, contre l’armée ennemie ; et au nom de Jésus, protégé par le signe de croix, j’irai sans crainte. » L’empereur accepte ce qu’il appelle un défi, il fait garder Martin jusqu’au lendemain matin ; mais, à l’heure où devait se livrer la bataille,les Francs, pris d’une crainte mystérieuse, envoient des députés à l’empereur pour demander la paix.
Après qu’il eut quitté l’armée, Martin alla rejoindre comme disciple saint Hilaire, évêque de Poitiers. Hilaire prit vite en amitié un chrétien qui réglait en tout sa vie sur celle du Christ. Il comprit quel apôtre il trouvait en lui pour évangéliser le pays autour de Poitiers ; mais Martin lui annonça bientôt que son devoir l’appelait en Pannonie, pour convertir ses parents. Il partit donc, et tout le long du chemin évangélisa les campagnes ; il fit un grand nombre de conversions. Arrivé chez les siens, il eut la joie de gagner sa mère à la foi chrétienne et la douleur de voir son père résister à ses exhortations et à ses prières. Mais ses prédications en Pannonie amenèrent beaucoup de païens au Christ.
En ce temps-là, l’arianisme ravageait l’Église. Les ariens étaient des hérétiques qui niaient que Notre-Seigneur Jésus-Christ fût le Fils de Dieu. Saint Martin leur fut un adversaire redoutable et les combattit avec autant de zèle qu’il en mettait à convertir les païens. Il ne resta pas en Pannonie, car il avait promis à Hilaire de revenir en Gaule. Ce fut à son retour qu’il fonda l’abbaye de Ligugé, non loin de Poitiers, dans la vallée du Clain ; c’était le premier monastère de la Gaule occidentale : oh ! pauvre entre les pauvres ! Martin commença par se construire une cabane ; peu à peu d’autres moines vinrent le rejoindre : les uns habitaient une cabane comme lui, d’autres choisissaient, pour s’abriter, des grottes creusées dans le rocher. Ils vivaient dans le silence, la prière et la pauvreté absolue, ne quittant leur retraite que pour se répandre dans la contrée et y prêcher le vrai Dieu.
Entre tous, Martin était animé du désir de conquérir des âmes, et plusieurs miracles accrurent encore sa réputation de sainteté. Elle se répandit au loin ; et c’est ainsi que les Tourangeaux, leur évêque étant mort, résolurent d’appeler Martin à le remplacer. Ils allèrent le trouver dans sa retraite de Ligugé, mais aucune de leurs supplications ne put le décider à accepter l’épiscopat. Alors ses futurs diocésains usèrent d’un stratagème. Comme ils savaient qu’il ne refusait jamais de soulager son prochain, ils envoyèrent vers lui un certain Ruricius. Celui-ci se jeta à ses genoux et le pria avec larmes de venir voir sa femme malade. Martin suivit aussitôt le pauvre suppliant ; mais à peine s’était-il éloigné du monastère, qu’une troupe de gens l’entoura, le saisit et l’emmena à Tours. Là, une foule l’attendait, l’accueillait avec des transports de joie et l’acclamait évêque de Tours. Martin se résigna à sa charge nouvelle, et jamais évêque ne fut plus que lui père de tous ses diocésains.
Il avait gardé sa simplicité de vie, sa frugalité : il ne voyageait que monté sur un âne et sans escorte d’apparat. Il était indulgent pour le pécheur, tout en haïssant le péché. Il mettait la paix partout où il passait. Près de Tours, il fonda le monastère de Marmoutier, où il se retirait tout le temps que lui laissaient ses devoirs d’évêque, et menait la vie de prières qu’il avait instituée à Ligugé. Et de Marmoutier comme de Ligugé, des essaims de moines s’en allèrent pour convertir les pays environnants. Saint Martin, lui, multipliait de plus en plus les voyages, et de nombreux miracles marquaient son passage parmi les populations païennes. Il avait bien la foi qui transporte les montagnes. Il allait sans jamais connaître la crainte, quoique plus d’une fois des païens aient essayé de l’assassiner ; sans souci de leurs menaces, il renversait les idoles ; et de ses propres mains, secondé par ses moines, et bien plus encore par les aides d’en haut que Dieu lui envoyait, il détruisait les temples et certains arbres sacrés devant lesquels les païens ne pouvaient pas renoncer à s’agenouiller.
On raconte à ce sujet que saint Martin, alors qu’il évangélisait le pays des Éduens, voulut abattre un de ces pins sacrés d’une hauteur exceptionnelle, objet d’un culte tout spécial. Il s’approchait de l’arbre avec ses compagnons, mais une foule hostile leur barrait le chemin. Saint Martin essaya d’expliquer à ces païens qu’ils n’avaient dans ce pin qu’un arbre comme un autre ; les auditeurs ne se laissaient pas convaincre, et un des paysans, s’approchant de lui, lui dit en se moquant : « Nous allons l’abattre, mais tu te mettras dessous quand il tombera. » Saint Martin accepta le marché, au grand effroi de ses compagnons, et se laissa lier au pied de l’arbre. Aussitôt les cognées commencent à attaquer le tronc. Bientôt des craquements avertissent de la chute prochaine de l’arbre. Il s’abat de toute sa hauteur, mais au moment où il va écraser le saint, celui-ci, d’un signe de croix, le rejette en arrière, et l’arbre va tomber au milieu des païens épouvantés. Ils s’enfuient, mais reviennent bientôt et se convertissent en masse.
Lui, qui avait dès l’enfance rêvé d’une vie de solitude, fut contraint, pour l’amour des âmes, à des courses. perpétuelles. Il parcourut dans tous les sens une grande partie de la Gaule.
Après toute une vie consacrée à Dieu et à ses frères, saint Martin mourut à Candes, à cinquante kilomètres environ de Tours. Quoique très souffrant, sachant sa mort prochaine, il s’était fait porter dans cette paroisse pour y remettre la concorde entre les clercs. Là, couché sur un lit de sangle, il attendait l’heure de son rappel à Dieu. Ses frères accourus près de lui se lamentaient ; il les consolait en leur disant que s’il leur était encore utile, Dieu prolongerait ses jours. Comme il est dit dans son office, « il ne craignait pas de mourir, il ne refusait pas de vivre. » Et ainsi cet homme de paix s’endormit dans la paix du Seigneur.
On a nommé saint Martin le treizième apôtre, et il n’est pas un saint auquel on ait consacré autant d’églises, non seulement en France, mais dans toute l’Europe chrétienne.
Je connais le village de Candé St. Martin, près de Fontevrault, avec le vitrail relatant l’enlèvement de son corps, les fidèles de Tours et ceux de Poitiers se le disputant. Dans cette église se trouve une dalle indiquant l’endroit précis où était couché le Saint au moment de son retour vers le Christ.
Son nom de Martin vient, en effet, du dieu Mars auquel sa famille avait voulu le consacrer, d’où son passé militaire et, non seulement, son nom est attaché à un nombre infini d’églises et de communes de France, mais ce patronyme est un des plus répandus dans notre pays ! Puissent les Français s’en souvenir.
Amitiés à vous tous et merci pour vos récits toujours si instructifs et priants.
Merci pour ces détails qui complètent la fresque de la vie de saint Martin.
Moi aussi j’affectionne particulièrement saint Martin ; je suis d’origine tourangelle. Et pour aller à Cande-Saint-Martin, il suffisait de traverser le pont sur la Loire lorsque nous allions chez ma grand-mère !
Vous comprendrez que votre commentaire me touche. Encore une fois, merci.
Le raconteur.