Chez les Maristes d’Océanie

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 7 minutes

XXII

Le petit frère martyr

L’É­glise Romaine, il y a cent ans, était, dans les archi­pels de l’, pré­cé­dée par les pro­tes­tants : ils avaient, sur elle, trente années d’a­vance. Ce fut grâce aux Pic­pu­ciens, aux Maristes et aux mis­sion­naires du Sacré-Cœur d’Is­sou­dun, que la foi de Rome prit enfin racine là-bas : de même que le XVIe siècle lui avait ouvert l’A­mé­rique, de même le me siècle lui ouvrit la cin­quième par­tie du monde.

La Socié­té des Maristes, qui, sur l’ordre de Gré­goire XVI, avait en 1836 entre­pris la conquête spi­ri­tuelle d’une par­tie de l’O­céa­nie, eut, dès 1844, un évêque mar­tyr, Mgr Epalle ; elle eut, dès 1841, un prêtre mar­tyr, le Père Cha­nel ; elle eut enfin, en 1847, un Frère mar­tyr, le Frère Blaise Mar­moi­ton. Une dou­zaine d’an­nées avaient suf­fi pour assu­rer aux Maristes cette triple gloire. Des évêques mar­tyrs, des prêtres mar­tyrs, nous en avons déjà ren­con­tré ; arrê­tons-nous ici, plu­tôt, devant le petit Frère, si effa­cé, si volon­tai­re­ment obs­cur, si volon­tiers silen­cieux, qu’un Père mariste disait de lui : « Il est de ceux dont on ne se rap­pelle rien. »

Récit des missions en Nouvelle-Calédonie - pour les enfants du caté
Nou­velle-Gui­née. Sau­vage paré de plumes d’oi­seaux de para­dis pour la danse.

Blaise, petit pay­san d’Au­vergne, très assi­du à l’é­glise et très bon pour le pro­chain, avait à la Tou­rette un excellent curé qui s’ap­pe­lait l’ab­bé Douarre, et qui vou­lait deve­nir mis­sion­naire. Blaise aus­si, grand lec­teur des Annales de la Pro­pa­ga­tion de la Foi, rêvait d’être Frère dans les Mis­sions : rêve conqué­rant, puisque un jeune ouvrier maçon, nom­mé Jean Tara­gnat, ne tar­da pas à le par­ta­ger ; et dans l’hi­ver de 18M-1842, on voyait s’a­ge­nouiller à Notre-Dame-du-Port, à Cler­mont-Fer­rand, le curé de la Tou­rette et ces jeunes hommes qui vou­laient s’en aller en Océa­nie. Tous trois, le 11 mars 1842, fran­chis­saient, à Lyon, la porte du novi­ciat de la Socié­té de Marie. On appre­nait, quelques semaines après, le mar­tyre du Père Cha­nel en l’île de Futu­na, et c’é­tait à la fois dou­leur et grande joie pour la Socié­té. Celle-ci, au cours de l’é­té, cher­chait un coad­ju­teur pour le Père Bataillon, qui deve­nait vicaire apos­to­lique des archi­pels du Nord-Ouest océa­nien : le coad­ju­teur nom­mé, et tout de suite sacré évêque, n’é­tait autre que cet abbé Douarre, fraî­che­ment arri­vé d’Au­vergne ; et Blaise et son cama­rade étaient dans le ravissement.

On navi­gua lon­gue­ment ; enfin, le 19 décembre 1843, on arri­vait en . Les sau­vages, en pal­pant les mol­lets de Blaise, fai­saient cla­quer leurs dents en signe de joie et sem­blaient dire : « Oh ! comme ce mor­ceau serait bon ! » On allait s’ins­tal­ler par­mi eux, ten­ter de faire d’eux des culti­va­teurs, de leur faire connaître les légumes d’Eu­rope, et les vignes, et les bes­tiaux ; et Blaise deve­nait, de par la volon­té de Mgr Donarre, le chef de culture de la , un chef de culture qui, par l’ef­fet d’une bles­sure infec­tée, fut bien­tôt, hélas ! ali­té durant huit mois. On eut beau­coup à souf­frir ; on connut la disette ; et l’on remer­cia Dieu, au bout de vingt mois, lors­qu’on vit s’ap­pro­cher une cor­vette fran­çaise, d’où l’on put attendre quelque ravitaillement.

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Nou­velle-Gui­née. — Sta­tion des Sœurs de Notre-Dame du Sacré-Cœur d’ls­sou­dun à Jesu-Baïhoma.

Presque aucun épi­sode dans la vie du Frère Blaise ; mais com­bien émou­vant, com­bien tra­gique par­fois est le cadre oit elle se déroule ! C’é­taient les guerres entre indi­gènes, c’é­taient les fes­tins de chair humaine que fai­saient les Canaques et aux­quels par­fois ils avaient l’au­dace de convier les mis­sion­naires eux-mêmes ; c’é­taient les décep­tions que cau­saient beau­coup de ces indi­gènes, appa­rais­sant d’a­bord comme affables et hos­pi­ta­liers, et puis se révé­lant, peu à peu, voleurs et cruels, dis­so­lus et fourbes ; c’é­tait la peste, enfin ; qui sévis­sait par­mi les sau­vages. La mis­sion pour­tant s’ins­tal­lait, et Blaise Mar­moi­ton y aidait, en pra­ti­quant cette maxime favo­rite : « Il faut faire petit, mais bien : » Il n’a­vait pas d’illu­sions, sen­tant que tels indi­gènes ne se com­por­taient en gens hon­nêtes qu’a­vec l’in­ten­tion de mieux piller le len­de­main ; mais pour­quoi se décou­ra­ger, et puis, que ris­quait-on ? Le mar­tyre, peut-être. Ce n’é­tait pas pour faire recu­ler Blaise Marmoiton.

Récit de martyr à lire en ligne gratuit - Blaise MarmoitonOr, en juillet 1847, gens de Poue­bo et gens de Balade conspi­rèrent ensemble ; ils en vou­laient à la vie des mis­sion­naires. Et, le 18 de ce mois, dans la mai­son de Balade, le Père Grange et le Frère Blaise étaient assaillis et le Frère Blaise mor­tel­le­ment bles­sé. « Oh ! com­bien je vou­drais que ma mort fût le bon­heur de ce pauvre peuple ! disait-il à Mgr Col­lomb. Je leur par­donne de toute l’é­ten­due de mon cœur. » Il sen­tait que la vie de l’é­vêque était elle-même mena­cée : « Pour-quoi vous attris­ter, mon­sei­gneur ? Nous ne ferons qu’é­chan­ger cette vie pour une vie meilleure. » On le voyait se traî­ner jus­qu’à la cha­pelle où tous priaient, et dans l’at­tente du vou­loir divin : « Je viens ici attendre mon der­nier coup, » mur­mu­rait-il. Et un indi­gène récem­ment conver­ti s’é­criait : « C’est bien là la vraie reli­gion. » Blaise exi­geait, au moment où on put lever une trappe par laquelle la fuite était pos­sible, que l’é­vêque et le Père Grange s’é­loi­gnassent : « En vou­lant me sau­ver, vous ne feriez que retar­der votre marche, et si vous venez à être mas­sa­crés, qui repren­dra la mission ? »

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Nou­velle-Gui­née. — Départ d’une sœur de Notre-Dame du Sacré-Cœur d’Is­sou­dun pour la montagne.

La mis­sion, les indi­gènes la pillaient ; il y avait par­mi eux des chré­tiens, qui avaient pro­mis de pro­té­ger Blaise ; tous ne tenaient pas leur pro­messe. Et c’é­taient, sur son pauvre crâne, de nou­veaux coups de casse-têtes ; puis la dou­leur d’être dévê­tu ; un coup de hache, enfin, consom­mait le mar­tyre. Il avait dit trois ans plus tôt : « Le bon Dieu veut que je sois tué par les sau­vages. Oh ! quel bon­heur ! mais pas tout de suite : au bout de deux à trois ans, afin qu’ils com­mencent à connaître les véri­tés de la reli­gion. » Blaise Mar­moi­ton avait obte­nu la mort, et il l’a­vait obte­nue avec le délai sou­hai­té ; et la cause prin­ci­pale du tumulte popu­laire dont il était vic­time était la haine de la reli­gion nouvelle.

Au loin, le Père Colin, fon­da­teur et supé­rieur de la Socié­té des Maristes, se réjouis­sait, et ce qu’il concluait, ce n’é­tait pas qu’il fal­lait aban­don­ner la Nou­velle-Calé­do­nie, mais au contraire, disait-il, retour­ner à l’assaut.

Mgr Douarre retour­na à l’as­saut, et par­mi les cent quatre-vingt-douze Canaques que sur son lit de mort, en avril 1853, Mgr Douarre se réjouis­sait d’a­voir bap­ti­sés, il y avait le meur­trier du Frère Blaise.


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