Étiquette : <span>Religieuse</span>

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Tu te sou­viens, ma cou­sine, de cette soi­rée d’é­té où tu nous racon­tas les der­niers moments de ta com­pagne ? Je tâche­rai seule­ment de me rap­pe­ler tes paroles et de ne pas te tra­hir en les rapportant.

Aus­si bien est-ce une his­toire bien simple que je vais vous racon­ter et vous racon­ter sim­ple­ment. À quoi bon faire des phrases pour dire des choses qui furent aus­si claires que le jour, aus­si lim­pides que l’air ? La recherche est bonne pour ceux qui fabriquent les âmes des héros et des héroïnes de romans. Les enfants de lumière vivent dans la pure véri­té de Dieu. Il suf­fit de par­ler comme ils ont vécu.

Elle nous était venue bien malade, notre pauvre sœur Marthe ; bien malade, et, du pre­mier coup d’œil, nous nous étions dit : « elle est per­due ». Mais sait-on jamais avec les êtres jeunes ? Il y a en eux de telles réserves, de telles res­sources, de telles envies de vivre aus­si, qu’ils se rac­crochent à l’exis­tence et conti­nuent d’une façon incroyable d’en por­ter les far­deaux et la joie, comme ces arbres atteints par la foudre qui rever­dissent au prin­temps, mal­gré leurs troncs muti­lée. Elle ne se croyait pas tel­le­ment atteinte. Dans son cou­rage et son désir d’être utile, elle par­lait fré­quem­ment de son tra­vail qu’elle allait reprendre, quand sa « bron­chite » serait guérie.

On nous l’a­vait envoyée pour la soi­gner et la gué­rir et certes tout ce qui dépen­dait de nous pour cela, nous l’a­vons fait en conscience et avec le plus grand plaisir.

Il y a des âmes qui appellent la sym­pa­thie, dès l’a­bord. Elle était de celles-là.

Soeur cuisinière qui se dévoue aux autres

Si on avait vou­lu la défi­nir d’un mot et mettre un titre à sa vie, on n’en aurait pas trou­vé de plus juste que celui-ci : une âme simple. Une âme simple qui n’é­tait pour­tant pas une âme naïve. Elle était plus réflé­chie, la plus sérieuse et, en même temps, la plus rieuse et la plus ave­nante des créa­tures. Grande et forte et joyeuse donc, par nature, elle aimait la vie et tout ce que la vie peut don­ner de bon, sans arrière pen­sée, sans scru­pule, dans toute la sim­pli­ci­té d’un esprit droit et d’un cœur chré­tien. Mais, pré­ci­sé­ment, à cause de son cœur chré­tien, elle avait eu le cou­rage de quit­ter, elle aus­si, ses parents si chers et son beau pays de Ven­dée parce que Dieu lui avait par­lé. Dieu lui avait par­lé et elle avait enten­du, com­pris, aimé cette parole de toutes ses forces, de toute la géné­ro­si­té de son cœur de vingt ans. Sim­ple­ment elle s’é­tait don­née à Dieu, comme l’oi­seau chante dans l’air, comme la lumière ou la nuit nous envi­ronnent, comme on vit.

Oh ! la bonne fille ! La voyant si forte d’âme et de corps si robuste, son temps de pro­ba­tion ache­vé, à Paris, elle fut envoyée en pro­vince par ses supé­rieures, dans une grande mai­son qui exige un très nom­breux per­son­nel. Elle fut mise à la cui­sine. Ne croyez pas que tout le monde puisse y être employé. Il faut, à ce ser­vice, une grande résis­tance phy­sique, un dévoue­ment total, un oubli par­fait de soi-même et ce sont là des dons plus rares qu’on ne croit et que tous ne pos­sèdent point. Soit dit sans offen­ser per­sonne, on trouve plus aisé­ment une Supé­rieure qu’une Sœur de cui­sine, à condi­tion tou­te­fois que la dite Sœur de cui­sine soit une vraie sœur Marthe. Plu­sieurs années elle s’y dépen­sa dans un com­plet oubli d’elle-même. Ni son enfance, ni sa jeu­nesse ne l’a­vaient habi­tuée à se tour­ner les pouces. Elle avait vécu la vie saine et labo­rieuse de la cam­pagne ; si elle n’a­vait pas tenu le man­che­ron de la char­rue, elle avait fané bien sûr et mois­son­né aus­si ; rien des tra­vaux du ménage ne lui était étran­ger, si elle avait du rose sur les joues, elle ne le devait qu’à son sang pur et géné­reux. Aus­si, , elle n’a­vait pas eu d’ap­pren­tis­sage à faire, pour son tra­vail de cui­sine s’entend.

Elle y avait appor­té son entrain joyeux, et, bien­tôt, son habi­tude de l’ef­fort, son habi­le­té natu­relle aus­si bien que sa doci­li­té à se lais­ser « mon­trer », eurent fait d’elle un cor­don bleu émérite.

Hélas ! un soir, la cui­si­nière émé­rite, la sœur Marthe que l’on croyait, et qui était en réa­li­té si forte, si forte, dut s’a­li­ter, avec une très grosse fièvre. Un chaud et froid que, sans savoir com­ment, elle avait pris, l’ar­rê­tait, et pour long­temps, avec une mau­vaise pleu­ré­sie. Le mal céda enfin, mais le doc­teur, pré­voyant une inter­mi­nable conva­les­cence, avait ordon­né non la haute alti­tude que le cœur fati­gué de la malade n’au­rait pu sup­por­ter mais l’air très doux et très pur des col­lines du Lot-et-Garonne. C’est ain­si qu’elle nous était venue à Monclar-d’Agenais.

| Ouvrage : Les amis des Saints .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Au sommet d'une colline se dresse un vieux chateau

Au VIIIe siècle vivait une fille de roi qui s’ap­pe­lait Wal­burge, ce qui signi­fie « Gra­cieuse ». Cette prin­cesse per­dit sa mère de bonne heure, et lorsque le roi déci­da de se joindre à ses deux fils, dans leur péle­ri­nage aux Lieux Saints, Wal­burge qui avait alors onze ans, lui dit : 

— Mon père, que ferai-je à la Cour sans vous et mes deux frères ? Lais­sez-moi vous attendre dans un monastère. 

Et le roi l’ac­com­pa­gna jus­qu’à l’ab­baye béné­dic­tine de Winborn. 

L’an­née sui­vante, ayant appris la mort de son père, la prin­cesse réso­lut de demeu­rer dans sa retraite, et quand elle eut dix-huit ans, elle se consa­cra défi­ni­ti­ve­ment à Dieu. 

Les années pas­sèrent ; les pre­miers che­veux blancs appa­rurent mais le voile cachait ces témoi­gnages du temps. Wal­burge vivait heu­reuse et s’ap­prê­tait à ter­mi­ner ses jours à Win­born lorsque l’é­vêque Saint Boni­face, qui était son oncle et l’a­pôtre de l’, la fit venir, elle et plu­sieurs de ses com­pagnes, pour fon­der un monas­tère de femmes dans son diocèse. 

C’est ain­si que Wal­burge, fille de roi, devint abbesse de Hein­den­heim. Elle avait près de cin­quante ans. 

Peu après, il se pas­sa un fait extra­or­di­naire… Mais chut !… Écou­tez la cloche du soir au monas­tère de Hein­den­heim… huit… neuf… dix… onze coups ! 

Walburge sort du monastère

Enten­dez-vous comme la cam­pagne reten­tit encore de ce bruit d’ai­rain ? Les reli­gieuses ont l’ha­bi­tude ; elles sont depuis peu endor­mies et le son fami­lier ne les gêne guère. L’ab­besse, age­nouillée dans la cha­pelle, pro­longe, selon sa cou­tume, une prière fervente. 

Auteur : Aurac, Georges d’ | Ouvrage : Le Courrier des Croisés .

Temps de lec­ture : 9 minutesLe jour de sa vêture, elle avait reçu le nom de Sœur Saint-Joseph. Avec les années, elle s’é­tait tel­le­ment rata­ti­née qu’on ne l’ap­pe­lait plus que la « petite Sœur » ! Le nom de son grand Patron s’é­tait éva­noui ! Non pas qu’il fût trop long à pro­non­cer, mais parce que l’ex-pres­sion de « petite Sœur » suf­fi­sait lar­ge­ment à la dési­gner. Et puis a l’ha­bi­tude de s’é­clip­ser, quand il a rem­pli son rôle, et de lais­ser seule­ment dans les âmes l’a­mour de la vie cachée.

Toute menue dans son ample habit aux plis innom­brables, la tête empri­son­née dans un voile blanc qui enca­drait son fin visage, la « petite Sœur » était la pro­vi­dence des mar­mots, dans un vil­lage d’Au­vergne où ses supé­rieures l’a­vaient envoyée.

Religieuse enseignant la lecture aux enfants

Dès l’âge de cinq à six ans, les enfants se diri­geaient à petits pas vers le vieux couvent où la petite Sœur les accueillait d’un sou­rire. Ce sou­rire était leur coque­luche ! Les tout-petits le regar­daient béa­te­ment, comme si c’é­tait un sou­rire de para­dis qu’ils se sou­ve­naient d’a­voir vu dans leurs pre­miers rêves. Ils sou­riaient, eux-aus­si, prêts à toutes les sagesses, pour que le sou­rire de la petite Sœur res­tât long­temps en place.

On ne voyait pas les oreilles de la petite Sœur. C’é­tait le seul mys­tère qui ren­dît per­plexes les admi­ra­teurs du sou­rire. L’un d’eux se hasar­da un jour à poser tout haut la ques­tion qui les han­tait tous.

— Dites ! Ma Sœur, vous n’a­vez pas d’o­reilles… Com­ment que vous entendez ? 

— Mes oreilles ? Elles sont là ! dit la petite Sœur en déga­geant son voile. Et elles sont bonnes !

— Et pour­quoi que vous les cachez ? Nous, on les a bien dehors !

— Ah ! Mes enfants, je les cache pour qu’elles res­tent bien petites et qu’elles n’en­tendent que les choses qui en valent la peine… Vous com­pren­drez plus tard. Allons ! Venez autour de moi, vous allez lire.

Et les têtes blondes ou brunes se cour­baient tout autour de la petite Sœur, dont les genoux sup­por­taient le livre aux grandes lettres noires.

Depuis long­temps, la petite Sœur cares­sait un rêve, un rêve si beau qu’elle s’é­ton­nait elle-même de l’a­voir, et qui la sui­vait par­tout ; à la messe, au réfec­toire ; mais c’é­tait sur­tout en classe qu’il la tra­cas­sait, quand son regard errait sur les têtes blondes ou brunes, comme un souffle léger qui passe sur des épis mûris­sants. Elle son­geait alors à la mois­son qui lève au soleil. Et la mois­son lui sug­gé­rait l’i­dée du mois­son­neur qui se penche sur les épis et rentre le soir, joyeux, en por­tant les lourdes gerbes. Ce spec­tacle lui rap­pe­lait, à son tour, la parole de Jésus : « La mois­son est abon­dante ; les ouvriers sont peu nom­breux ; priez le maître de la mois­son qu’il envoie des ouvriers à son champ. »

Et le rêve de la petite Sœur pre­nait corps. Elle en deve­nait toute rou­gis­sante. Elle en per­dait même le fil de la lecture.

Son rêve ! C’é­tait que l’un de ces enfants aux­quels elle appre­nait à lire devînt prêtre et qu’elle y fût pour quelque chose.

— Tu t’es trom­pé, Pierre. C’est B‑A, BA qu’il faut lire ; alors ! recom­mence, mon petit.

Et les bam­bins s’é­ton­naient de sa voix si douce, alors qu’une juste impa­tience poin­tait d’or­di­naire dans ses paroles, aux erreurs de lec­teur. Et ils levaient les yeux sur la petite Sœur, car ils savaient que c’é­tait dans ces moments-là que le plus déli­cieux sou­rire ani­mait son visage.

| Ouvrage : Les amis des Saints .

Temps de lec­ture : 5 minutesLe 21 jan­vier 1793, Louis XVI mou­rait assas­si­né par les révo­lu­tion­naires, guillo­ti­né sur la place de la Concorde, à Paris.

Martyres de la Revolution - Dans les campagnes les tocsins retentissent

Le Roi ! Hélas ! On s’é­tait atten­du à bien des mal­heurs, mais on avait espé­ré sau­ver le Roi ! Hélas ! Le Roi est mort ! Dans les cam­pagnes, les toc­sins reten­tissent comme une seule voix vers le Ciel, et la nou­velle tombe dans les cœurs comme un coup de ton­nerre. Nou­velle épou­van­table de ce crime inouï ! Le monde tout entier reste stu­pé­fait : La France a tué son Roi !

Sei­gneur Jésus, main­te­nant qui aura pitié de la France ? Sei­gneur Jésus, ayez pitié des Fran­çais malheureux !

Dans la petite cha­pelle d’un couvent de cam­pagne, seize reli­gieuses sup­plient Dieu et lui offrent leur vie. Voi­ci quelques mois déjà, Mère Thé­rèse de St Augus­tin, leur prieure, leur avait pro­po­sé de faire cet acte de consé­cra­tion par lequel la com­mu­nau­té s’of­fri­rait en holo­causte pour apai­ser la Colère de Dieu et obte­nir le retour de la paix dans l’É­glise et la Nation. Toutes avaient accep­té, et depuis, elles renou­ve­laient chaque jour cette offrande de leur vie, cet holo­causte de répa­ra­tion et d’ex­pia­tion. Mais aujourd’­hui le Roi est mort. Alors avec quel cœur, plus implo­rant que jamais, les reli­gieuses offrent-elles cette vie ! Mon Dieu, nous vou­lons comme vous mou­rir mar­tyres pour le salut des âmes !

Sou­ve­nez-vous que nous sommes vos épouses et vos coré­demp­trices ! Pour le Salut de l’É­glise et de la France, sou­ve­nez-vous que nous vous aimons.

* * *

Le 21 juin 1794, le Comi­té révo­lu­tion­naire et de Salut Public de déci­dait de per­qui­si­tion­ner chez les reli­gieuses. On y trou­va des lettres pieuses, une relique de Ste Thé­rèse d’A­vi­la, un por­trait du Roi Louis XVI, une copie de son tes­ta­ment, des images et un can­tique en l’hon­neur du Sacré-Cœur. Alors le diable exci­ta la haine des révo­lu­tion­naires, toutes les reli­gieuses furent arrê­tées, et écrouées dans une mai­son de la ville. Durant trois semaines envi­ron elles y demeu­rèrent enfer­mées, souf­frant des pri­va­tions de tout genre, en butte à la méchan­ce­té de leurs geô­liers. Le 12 juillet, on les trans­fé­ra à Paris, on les enfer­ma à la Concier­ge­rie. Mais on ne les y gar­da que cinq jours. Le , len­de­main de la Fête de Notre-Dame du Mont , on les fit com­pa­raître devant le Tri­bu­nal de la .

Auteur : Berthon, Maurice | Ouvrage : Lorsque les saintes de France étaient petites filles .

Temps de lec­ture : 27 minutes(Lire le début)

Peu après la mort de sa femme, mon­sieur Mar­tin liqui­da son com­merce et, pour se rap­pro­cher de son beau-frère, il vint habi­ter une pro­prié­té aux portes de Lisieux, « Les Buissonnets ».

« Les enfants aiment le chan­ge­ment ». Cette remarque de sainte Thé­rèse expli­que­ra le bon sou­ve­nir qu’elle gar­da, ain­si que ses sœurs, de l’ar­ri­vée dans un Lisieux que ses usines ren­daient pour­tant bien terne au len­de­main d’un Alen­çon égayé par les tou­jours coquettes demeures de cette ville si carac­té­ris­ti­que­ment normande.

Mon­sieur Gué­rin, l’oncle qui accueillit la famille Mar­tin, était phar­ma­cien. Avec sa femme, il for­mait un couple affec­tueux qui sut s’at­ta­cher immé­dia­te­ment le cœur des cinq jeunes orphelines.

Sainte Thérèse - Les Buissonnets Lisieux

Puis c’est l’ins­tal­la­tion des Mar­tin aux depuis célèbres « Buis­son­nets ». Non loin de la ville, un rai­dillon sor­tant de la route de Pont-Lévêque esca­lade une col­line, pour mener aujourd’­hui la foule des pèle­rins aux « Buis­son­nets ». Au milieu d’un jar­din abri­té par des sapins et des frênes, c’é­tait, à l’é­poque, la mai­son alors déjà très vieille, rus­tique, mais sym­pa­thique, que nous voyons, bâtisse ample, solide, colo­rée par ses briques rouges qui la ren­daient attrayante.

La chambre que devaient se par­ta­ger Céline et Thé­rèse, don­nait de plain-pied dans le jar­din de derrière.

Aux « Buis­son­nets », Pau­line fut char­gée de l’é­du­ca­tion de Thé­rèse. Cette der­nière n’a­vait-elle pas choi­si sa nou­velle petite maman ? La mala­die, puis la dis­pa­ri­tion de madame Mar­tin, avaient évi­dem­ment fait perdre plu­sieurs mois à l’ins­truc­tion de l’en­fant. Adroi­te­ment diri­gée par son aînée, Thé­rèse délais­se­ra ses jeux pour l’ap­pren­tis­sage de la lec­ture. C’est le mot « cieux » qu’elle sut le pre­mier lire.

En peu de mois, la petite Thé­rèse a bien chan­gé. L’es­piègle s’est trans­for­mée : « Aus­si­tôt après la mort de maman, mon heu­reux carac­tère chan­gea com­plè­te­ment. Moi, si vive, si expan­sive, je devins timide et douce, sen­sible à l’ex­cès, un regard suf­fi­sait pour me faire fondre en larmes ; il fal­lait que per­sonne ne s’oc­cu­pât de moi, je ne pou­vais souf­frir la com­pa­gnie des étran­gers et ne retrou­vais ma gaî­té que dans l’in­ti­mi­té de ma famille ».

Cet adou­cis­se­ment du carac­tère contri­bue à faci­li­ter la tâche de Pau­line. Celle-ci, au lieu de recher­cher pour sa sœu­rette l’oc­ca­sion de satis­fac­tions sus­cep­tibles de lui rendre son sou­rire per­du, ne craint pas au contraire de lui rap­pe­ler les saintes « pra­tiques », mais par­fois elle doit cepen­dant frei­ner l’ar­deur péni­tente de sa cadette.

Un exemple. Après ce jeu, il fait chaud, très chaud. Pau­line et Thé­rèse sont devant une carafe d’une bois­son rafraî­chis­sante, Pau­line s’en verse un verre, en tend un à sa jeune sœur. Thé­rèse refuse. « Oui, j’ai très soif, mais je vais offrir ce sacri­fice à Jésus ! » Pau­line, qui a exac­te­ment la même soif, peut certes appré­cier ce sacri­fice de Thé­rèse, aus­si a‑t-elle pitié de l’en­fant qui ne détache pas ses yeux de ce verre embué de fraî­cheur. « Prends, Thé­rèse, prends cette bois­son ! Jésus a recueilli ton sacri­fice, fais-en un autre, d’o­béis­sance celui-là, en accep­tant de boire ! »

Et la vie se pour­sui­vait aux « Buis­son­nets », vie nor­male, mais vie nor­male qui, dans l’âme de Thé­rèse avait des reten­tis­se­ments inat­ten­dus. Repas­sons quelques images de cette exis­tence d’une enfant de cinq ans.

Le papa a fait cadeau à sa fillette d’une petite ligne pour pêcher. Thé­rèse lance dans la Touque sa petite ligne, quand mon­sieur Mar­tin y va lan­cer sa grande ligne. Le pay­sage est gra­cieux, les pois­sons ne se font pas trop prier pour mordre aux deux lignes. Ce jeu devrait la pas­sion­ner. Tiens, papa vient de prendre un pois­son ! Peut-être va-t-elle en sor­tir un elle aus­si ! Mais oui, elle en attrape jus­te­ment un ! Dieu, que ce doit être amu­sant ! C’est amu­sant pour toutes les petites filles, ce n’est pas amu­sant pour Thé­rèse, dont l’es­prit a déjà d’autres pré­oc­cu­pa­tions, des pré­oc­cu­pa­tions si belles mais si graves que bien­tôt elle aban­donne sa ligne, s’as­sied sur l’herbe et, « là, écri­ra-t-elle plus tard, mes pen­sées deve­naient bien pro­fondes et, sans savoir ce que c’é­tait de médi­ter, mon âme se plon­geait dans une réelle orai­son. J’é­cou­tais les bruits loin­tains, le mur­mure du vent. Par­fois la musique mili­taire m’en­voyait de la ville quelques notes indé­cises, et « mélan­co­li­saient » dou­ce­ment mon cœur. La terre me sem­blait un lieu d’exil et je rêvais du Ciel. »

Cette pen­sée du Ciel est tou­jours la pen­sée domi­nante de Thé­rèse, elle l’ob­sède sans cesse et sous les formes les plus diverses, dont quelques-unes ne manquent pas de naï­ve­té. Elle-même note­ra : « Je me sou­viens que je regar­dais les étoiles avec un ravis­se­ment inex­pri­mable. Il y avait sur­tout, au fir­ma­ment pro­fond, un groupe de perles d’or, (le Bau­drier d’O­rion) que je remar­quais avec délice, lui trou­vant la forme d’un T, et je disais en che­min à mon père ché­ri : « Regarde, papa, mon nom est écrit dans le Ciel ! » Puis, ne vou­lant plus rien voir de la vilaine terre, je lui deman­dais de me conduire, et, sans regar­der où je posais mes pieds, je met­tais ma petite tête bien en l’air, ne me las­sant pas de contem­pler l’a­zur étoilé ».

« La cer­ti­tude d’al­ler un jour loin de mon pays téné­breux, m’a­vait été don­née dès mon enfance. Non seule­ment je croyais d’a­près ce que j’en­ten­dais dire, mais encore, je sen­tais dans mon cœur, par des ins­pi­ra­tions intimes et pro­fondes, qu’une autre terre, une région plus belle, me ser­vi­rait un jour de demeure stable, de même que le génie de Chris­tophe Colomb lui fai­sait pres­sen­tir un Nou­veau Monde ».

Ce soir-là, le temps très sombre se zèbre sou­dain d’une série d’é­clairs. Une fillette ordi­naire aurait peur. Thé­rèse nous gar­de­ra le sou­ve­nir de ce qu’elle res­sen­tait alors. « Je me tour­nais à droite à gauche, pour ne rien perdre de ce majes­tueux spec­tacle. Je vis la foudre tom­ber dans un pré voi­sin, et, loin d’en éprou­ver la moindre frayeur, je fus ravie ; il me sem­bla que le bon Dieu était tout près de moi ».

Et la Sainte fera elle-même le point de cette exis­tence de petite fille pré­des­ti­née : « En gran­dis­sant, j’ai­mais le bon Dieu de plus en plus, et je lui don­nais bien sou­vent mon cœur, me ser­vant de la for­mule que maman m’a­vait apprise (Mon Dieu, je vous donne mon cœur, pre­nez-le s’il vous plaît afin qu’au­cune créa­ture ne puisse le pos­sé­der, mais vous seul, mon bon Jésus !) Je m’ef­for­çais de plaire à Jésus dans toutes mes actions, et je fai­sais grande atten­tion à ne l’of­fen­ser jamais ».

Thérèse de Lisieux et son papa saint Louis Martin

Sur­tout ne pas offen­ser Dieu, même en jouant, sans faire exprès ! La domes­tique Vic­toire, qui men­tit pour amu­ser cette enfant de six ans, s’at­ti­re­ra cette répri­mande : « Vous savez bien, Vic­toire, que cela offense le bon Dieu ! »

La soi­rée aux « Buis­son­nets », on se dis­trayait autour de quelques jeux de socié­té. Tac­tiques, on déplore le vilain hasard qui attri­bue une série de cartes faibles, on remer­cie le bon hasard qui per­met d’é­chap­per de très peu à la pri­son du jeu de l’Oye, on applau­dit au suc­cès, on est tou­jours heu­reux, on a du mal à conte­nir sa joie, tous s’a­musent franchement.

Et, le jeu fini, c’est le retour au calme. Les aînées lisent à haute voix une page d’un auteur sérieux, peut-être trop sérieux pour ali­men­ter la nuit durant l’es­prit d’un enfant de six ou sept ans, aus­si le papa fait-il tou­jours ter­mi­ner la lec­ture par un conte, une bonne his­toire qui fera rire. Lorsque la lec­trice ferme son livre, mon­sieur Mar­tin, sa petite Thé­rèse sur les genoux, chante les mélo­dies qu’aiment ses enfants, mélo­dies qui par­fois s’é­loignent de la douce mélo­pée lorsque, pour amu­ser la douce Thé­rèse, mon­sieur Mar­tin chante d’une grosse voix la ritour­nelle cruelle de Barbe-Bleue.

Puis, c’est fina­le­ment la prière en com­mun et Thé­rèse, age­nouillée à côté de son père, « n’a qu’à le regar­der pour savoir com­ment priaient les saints ». Et, dans son petit lit, Thé­rèse demande à Pau­line de lui faire la cri­tique de sa jour­née : « Est-ce que j’ai été mignonne aujourd’­hui ? Est-ce que le bon Dieu est content de moi ? Est-ce que les petits anges vont voler autour de moi ?» Si Pau­line répond « non », Thé­rèse pleu­re­ra la nuit entière ».

La Fête-Dieu donne à l’en­fant une pre­mière occa­sion de cette joie qu’elle aura plus tard à pas­ser son Ciel à répandre des roses sur la terre. Oui, quelle joie de semer des fleurs sous les pas du bon Dieu ! « Mais, avant de les y lais­ser tom­ber, je les lan­çais bien haut, et je n’é­tais jamais aus­si heu­reuse qu’en voyant mes roses effeuillées tou­cher l’os­ten­soir sacré ! »