Françoise — Mon Père, vous avez dit l’autre jour quelque chose qui m’a beaucoup tracassée… « La messe ne peut pas se séparer de toute la Bible. » Mais la messe a été inventée par Jésus-Christ. Il n’y avait rien de pareil dans l’Ancien Testament.
Le Père — Mais si. Et voilà justement de quoi occuper notre dernier entretien, en vous faisant découvrir encore un aspect très important de la messe.
Jésus dans l’Ancien Testament
Jésus-Christ est le Fils de Dieu, bien sûr. Et quand il est venu sur terre ce fut une grande merveille, une grande nouveauté. Mais avant lui, dans l’histoire du peuple juif, il y avait eu des sauveurs, des libérateurs, des guides du peuple dont la « figure » était comme une esquisse, une ébauche de la grande figure de Jésus-Christ.
Françoise — Par exemple ?
Le Père — Par exemple Abel, le juste, mis à mort par son frère. Abraham, et son fils Isaac dont le sacrifice, auquel il échappe finalement, « préfigure » le sacrifice et la résurrection de Jésus. David, le roi pieux et miséricordieux, son ancêtre. Mais celui qui est peut-être la plus grande figure de Jésus-Christ, c’est Moïse. Pourquoi ?
Françoise — Parce qu’il a donné la loi sur la montagne.
Jacques — Mais surtout parce qu’il a sauvé le peuple juif de l’esclavage des Égyptiens.
La Pâque des Juifs
Le Père — Très bien. Et cette grande libération s’appelle comment ?
Françoise — La Pâque, ce qui veut dire passage. Dieu est passé dans la nuit. Il a frappé à mort les premiers-nés des Égyptiens. Mais il a épargné les Juifs, parce que leurs maisons étaient marquées par le sang de l’agneau pascal. Alors les Juifs, qui avaient mangé l’agneau pascal, en ont profité pour se sauver. Ils ont traversé la mer Rouge à pied sec et ils sont allés vers la Terre promise.
Le Père — Bravo ! Tu sais très bien l’histoire sainte. Et cette Pâque, elle n’a eu lieu qu’une fois ?
Françoise — Oh non ! Tous les ans les Juifs devaient rappeler le souvenir de la Pâque. Ils immolaient et ils mangeaient l’agneau pascal pour rendre grâces à Dieu d’avoir été sauvés.
Le Père — Quand est-ce que Jésus a fait la Cène avec ses disciples ?
La Pâque de Jésus
Françoise — Au moment de la Pâque.
Le Père — La messe qui refait la Cène est donc une Pâque. Et quand est-ce qu’il est mort ?
Jacques — Au moment de la Pâque.
Le Père — Sa mort sur la croix est donc aussi une Pâque. C’est lui le véritable Agneau Pascal.
Françoise — Ah ! C’est pour ça que le prêtre avant de communier se frappe la poitrine en disant : « Agneau de Dieu… »
Le Père — Oui, et c’est pour cela aussi qu’il présente l’hostie aux fidèles en leur disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. » Et quand est-ce que Jésus-Christ est ressuscité ?
Jacques — Le jour de Pâques, dame !
Le Père — Il est apparu le soir même à ses disciples. Et il est apparu une seconde fois, juste huit jours après. C’était le lendemain du sabbat, « le premier jour », qu’on a appelé ensuite Dominica dies, le jour du Seigneur, dont nous avons tiré le nom du « dimanche ».
Jacques — Qu’est-ce que tout cela nous apprend sur la messe ?
Le Père — Tu ne le vois pas ? La Pâque était un sacrifice : on immolait l’agneau pascal. La Pâque était un repas : on mangeait l’agneau pascal avec des pains sans levain — les pains des voyageurs trop pressés pour attendre que la pâte ait levé. La Pâque était un mémorial : on la célébrait pour rappeler les merveilles que Dieu avait faites pour son peuple.
Françoise — Et la messe aussi c’est un sacrifice, un repas et un mémorial.
Le Père — Elle est encore autre chose, dont nous n’avons pas encore parlé, et que la Pâque nous révèle. Elle est une eucharistie.
Jacques — Bien sûr, mais je ne vois pas…
L’eucharistie
Le Père — Quand le père de famille célébrait le repas pascal, il commençait par une action de grâce : une grande prière de louange pour commémorer — nous l’avons dit — les merveilles de Dieu, mais surtout pour l’en remercier, lui en rendre grâce. Et rendre grâce, cela se disait en grec — la langue dans laquelle a été rédigé l’Évangile — eucharistein. Jésus, en prenant le pain à la Cène, a rendu grâce, a « eucharistié ». Et le prêtre en fait autant aujourd’hui. A quel moment ?
Jacques — Au Gloria in excelsis Deo, où l’on dit : « Nous vous rendons grâce pour votre grande gloire. »
Le Père — C’est juste, mais enfin il y a beaucoup de messes — en semaine pendant l’année, et même le dimanche en Avent et en Carême — où l’on ne dit pas le Gloria. Tandis que la grande action de grâce à laquelle je pense se dit à toutes les messes sans exception.
Françoise — Ah ! oui. « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. »
Jacques — Ça se chante avant la Préface.
Le Père — Et le prêtre reprend : « Oui, c’est notre devoir et c’est notre salut de vous rendre grâce partout et toujours, Seigneur, Père Saint… »
La Préface
Françoise — La préface, dans un livre, c’est ce qu’on ne lit jamais.
Le Père — Mais la Préface de la messe, c’est au contraire quelque chose de très important. Vous remarquerez que la Préface, en même temps qu’une action de grâce, est aussi un mémorial. Les différentes préfaces de l’année nous rappellent tout le déroulement de notre salut, toutes les merveilles de Dieu : l’attente de l’Avent, l’incarnation à Noël, la manifestation de l’Épiphanie, le salut par la Croix, la Pâque dont notre Agneau est le Christ.
Françoise — Le Credo aussi récapitule toute l’histoire du salut.
Le Père — Oui, et le Credo à la messe est une profession de foi — qui rappelle aussi le baptême, le sacrement du salut pour chacun de nous —; mais le Credo est lui aussi une sorte d’action de grâce. Si la messe est un sacrifice, ce n’est donc pas un acte lugubre, funéraire. C’est un sacrifice joyeux et solennel. Je vous ai répété bien souvent que la messe est une fête : c’est parce que Pâques est la fête des fêtes.
Le Sanctus
Jacques — Après la Préface, il y a le Sanctus. Pourquoi ?
Le Père — Le Sanctus est le chant des anges au ciel (le prophète Isaïe dans une vision a entendu les chérubins qui le chantaient devant la face de Dieu).
Nous ne sommes que de pauvres hommes misérables, et nous implorons la pitié de Dieu. Que de fois dans la messe on demande pardon, on crie au secours : Kyrie eleison — Miserere nobis. Mais nous ne devons pas nous contenter de cette prière de mendiants, d’esclaves. Le baptême a fait de nous des fils de Dieu. Nous sommes déjà sauvés par Jésus-Christ. A la messe, celui qui vient sur l’autel, c’est le Christ immolé, mais ressuscité, glorieux, tel qu’il est au ciel. Alors, par l’action de grâce, par l’eucharistie, nous chantons la gloire de Dieu avec les anges et nous sommes déjà au ciel. Sais-tu, Jacques, pourquoi tu dois agiter la clochette au Sanctus ?
Jacques — Pour avertir que ce sera bientôt l’élévation ?
Le Père — Surtout pour évoquer le chant des anges avec la clochette, qui est un diminutif de la grosse cloche du clocher qui chante dans le ciel.
Jacques — Oh ! alors je sonnerai encore plus fort.
Le Père — Je t’en prie, n’exagère pas. Nous ne sommes pas encore au ciel. Mais nous nous en approchons tous les jours, de messe en messe. En cela aussi la messe est une Pâque, puisque la Pâque c’était aussi le passage du peuple juif à travers le désert, vers la Terre promise qui représente le ciel. Dans cette marche à travers le désert, qu’est-ce qui soutenait le peuple juif ?
Françoise — Je sais ! La manne qui tombait du ciel tous les jours.
La prière du peuple de Dieu
Le Père — C’est le « pain quotidien » que nous demandons à notre Père des cieux, dans le Pater, et que nous recevons à la communion. La manne était encore une « figure » de l’Eucharistie. Jésus lui-même l’a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel. » Vous voyez comment la messe s’éclaire par la connaissance de l’Ancien Testament. Et c’est pour cela qu’à la messe on chante les psaumes — à l’introït, au graduel et à l’alléluia, à l’offertoire et à la communion — : les psaumes étaient les chants d’action de grâce du peuple juif pour toutes les merveilles de Dieu dont la principale était la Pâque.
Jacques — Alors, quand nous chantons la messe, nous continuons le peuple juif ?
Le Père — Bien sûr. Il n’y a qu’un peuple de Dieu, avant et après Jésus-Christ. Et la messe c’est le sacrifice du peuple de Dieu en marche. Aussi toutes les prières qui entourent la consécration — le Canon dont nous avons déjà parlé — sont les prières du peuple de Dieu pour le peuple de Dieu, la prière de toute l’Église pour toute l’Église.
Françoise — C’est vrai : on prie pour le Pape, pour l’Évêque.
Le Père — On prie en union avec les saints du ciel — au Communicantes, au Nobis quo que peccatoribus. Nous prions pour tous nos frères au Memento des vivants, et pour ceux qui sont partis avant nous, et qui ne sont pas encore arrivés à la Terre promise, au Memento des morts.
La messe semble, aux incroyants ou aux gens distraits, une répétition machinale de gestes monotones et de paroles incompréhensibles. En réalité, toute la messe est une grande marche en avant de tout le peuple de Dieu, que Jésus-Christ rassemble, comme un berger rassemble son troupeau, pour le conduire à son Père, dans une immense Pâque qui ne s’achèvera qu’au ciel.
Jacques — Et Ite missa est ?
Le Père — Quoi, Ite missa est ?
Jacques — Oui, qu’est-ce que ça veut dire ?
Le Père — Ça veut dire que c’est fini, qu’on peut s’en aller. Missa était un vieux mot latin qui désignait la fin d’une réunion.
Françoise — Alors Ite missa est veut dire : c’est fini ?
Le Père — Oui, mais ce n’est jamais fini. On n’a jamais fini de remercier Dieu, de marcher vers lui, tous ensemble. Et c’est pourquoi à l’Ite missa est on ne répond pas : Hélas. Car la fête recommencera bientôt. On répond : Deo gratias. Nous rendons grâce à Dieu. Alors, Françoise et Jacques… Ite missa est !
Françoise et Jacques — Deo gratias !
IMPRIMI POTEST Paris, 15 janvier 1964 J. KOPF, prov.
NIHIL OBSTAT A. FAUX, can., libr. cens.
IMPRIMATUR Tornaci, die 18 martii 1964 J. THOMAS, vic. gen.
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