La messe est une action
Le Père — Nous avons vu que la messe a deux personnages indispensables, le prêtre et le peuple des baptisés. Mais est-ce que cela suffit pour célébrer la messe ?
Jacques — Oh non ! Il faut un missel, des cierges, une sonnette…
Françoise — Des nappes, un ciboire, la clé du tabernacle…
Le Père — Ne nous perdons pas dans les détails. Ce prêtre, qu’est-ce qu’il va faire ? Parler ? Et les fidèles, écouter et répondre ? La messe est donc un discours, une conversation ?
Jacques — Pas seulement. A la messe on fait quelque chose.
Françoise — Jésus a dit à la Cène : « Faites ceci en mémoire de moi » !
Le Père — Et qu’est-ce qu’il avait fait ?
Jacques — Il avait pris du pain et du vin.
Le Père — Voilà ce qui est important ! Et pourquoi Jésus a‑t-il pris du pain et du vin ?
Jacques — Pour les donner à ses disciples, en disant : « Prenez et mangez, prenez et buvez… »
Françoise — Attends ! Attends ! Il a dit aussi : « Ceci est mon Corps. Ceci est mon Sang. » Parce qu’il a voulu que nous mangions son corps et que nous buvions son sang.
Le Père — C’est cela : avant la communion, et en vue de la communion, il y a la consécration. Et pourquoi Jésus nous donne-t-il son corps à manger et son sang à boire sous les apparences du pain et du vin ?
Françoise — Parce que nous ne pourrions pas manger son corps et boire son sang comme ça, directement. On n’oserait pas… et puis ça lui ferait mal !
Jacques — On n’est pas des anthro
… anthropophages.
Le sens du pain et du vin
Le Père — C’est une raison importante. Il y en a d’autres. Est-ce que Jésus, avant de célébrer la première messe, d’instituer l’eucharistie, n’y avait pas préparé un peu ses Apôtres par des miracles ?
Françoise — Ah oui ! la multiplication des pains.
Jacques — Et le changement de l’eau en vin, aux noces de Cana.
Le Père — Un peu comme l’eau fut changée en vin à Cana, le vin de la messe sera changé au sang de Jésus. Mais ces deux miracles sur du pain et du vin nous apprennent surtout deux choses au sujet de la messe et de la communion. La première, c’est que Jésus est une source de vie inépuisable. On peut manger son corps et boire son sang, il y en a toujours. C’est comme le pain et le vin, même sans multiplication miraculeuse : tout le monde en mange, tous les jours, à chaque repas. Un autre enseignement, c’est qu’on ne donne pas en communion des friandises, des nourritures qu’on prend rarement, aux grandes fêtes…
Françoise — Comme la langouste.
Jacques — Ou les œufs à la neige.
Le Père — Le pain et le vin, pour les pays méditerranéens comme le pays de Jésus, c’est la nourriture quotidienne. Le pain et le vin — ou le repas — ont aussi une autre signification, qui est soulignée par un geste très important accompli par Jésus à la multiplication des pains, puis à la Cène, et aussi le soir de sa résurrection, lorsqu’il s’est arrêté pour souper dans un village appelé Emmaüs.
Françoise, récitant — « Ils le reconnurent à la fraction du pain. »
La fraction du pain
Le Père — Bravo. Dans un repas, on ne se contente pas de manger à part, égoïstement, comme si on était seul. On partage le même pain, les mêmes plats. On parle les uns avec les autres. C’est ainsi qu’à la messe on ne se contente pas de recevoir Jésus pour soi tout seul (comme une personne malade qui, au début du dîner, prend un médicament pour elle toute seule) : on reçoit Jésus tous ensemble, à la même table, après le prêtre, qui rompt et qui distribue le Corps du Christ à ceux qui veulent devenir de plus en plus unis à Jésus et entre eux, en ne faisant qu’un seul Corps.
Mais, à la messe, c’est bien avant la communion qu’on s’occupe du pain et du vin.
Jacques — Ça commence à l’offertoire, quand le prêtre enlève le voile du calice et élève le pain sur la petite assiette d’or…
Françoise — On ne dit pas une assiette d’or. On dit une patène.
Le Père — Et d’où vient-il, ce pain ?
Françoise — De la sacristie, où on le garde dans des boîtes envoyées par des religieuses.
Le sens de l’offertoire
Le Père — Sans doute. Et c’est un peu dommage. Dans les premiers siècles du christianisme, les fidèles apportaient du pain de chez eux. Ils montaient en procession vers l’autel, au chant d’un psaume dont le missel garde une trace avec son « antienne d’offertoire » qu’on appelle aussi quelquefois « chant d’offrande ». Ils s’arrêtaient à une barrière, qui délimitait le sanctuaire où les laïcs ne pouvaient pas pénétrer, et là ils remettaient leur pain à des acolytes qui les portaient ensuite sur l’autel.
Jacques — Ça faisait du travail pour les enfants de chœur.
Le Père — Peut-être. Mais on comprenait mieux que la messe est l’offrande d’un pain quotidien, apporté par tous et non pas seulement par le prêtre. Aujourd’hui, il ne nous reste plus de cette procession des fidèles apportant leurs dons pour le sacrifice qu’une cérémonie souvent mal comprise et qui est…
Françoise — Le pain bénit…
Le Père — C’est vrai. Je n’y pensais pas. Mais la bénédiction du pain ne se fait plus guère qu’à la campagne, comme ici, et seulement à la grand-messe. Je voulais parler d’une cérémonie sans doute moins poétique, qui se fait toujours à la messe du dimanche, et qui est… la quête.
Jacques — La quête est une cérémonie ?
Le Père — On devrait la faire comme une cérémonie : elle est le don des fidèles pour les frais du sacrifice, l’entretien du clergé et la nourriture des pauvres.
Françoise — Mon Père, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que tout le monde reste assis pendant l’offertoire ?
Le Père — Parce qu’on ne peut pas rester toujours debout. Et puis parce que l’offertoire n’est qu’une préparation de la véritable offrande : celle-ci se fera quand le pain et le vin seront devenus le corps et le sang de Jésus.
La consécration
Jacques — C’est ça qui est le plus difficile à comprendre. Le prêtre prononce quelques mots, et crac ! il n’y a plus ni pain ni vin, bien que tout soit resté pareil. Il y a le corps et le sang de Jésus.
Le Père — Oui, c’est difficile à comprendre si on n’a pas la foi. Mais il ne faut pas en parler comme d’un tour de prestidigitation. Tu viens de dire « le prêtre prononce quelques mots ». Est-ce bien exact ?
Jacques — Dame. C’est le prêtre qui prononce les paroles : « Ceci est mon Corps ».
Le Père — Oui, mais nous avons appris, dès le début, que le prêtre représente Jésus. Regarde de près ton missel au moment de la consécration. Le prêtre raconte ce qui s’est fait à la Cène et, au fur et à mesure, il fait lui-même les gestes que le récit attribue à Jésus : il prend le pain dans ses mains, lève les yeux au ciel, bénit. Si bien que, lorsqu’il dit : « Ceci est mon Corps », on comprend que c’est Jésus qui le dit, par la bouche du prêtre, sur l’hostie que le prêtre tient entre ses doigts. Or Jésus est tout-puissant. Sa parole a créé le monde. Et quand il dit : « Ceci est mon Corps » nous y croyons, tout simplement. C’est cela, la foi : croire Jésus sur parole.
Le sens du calice
Françoise — Il y a encore quelque chose que je ne comprends pas. Puisque Jésus est là quand le prêtre a dit (ou plutôt quand Jésus a dit par la bouche du prêtre) : « Ceci est mon Corps », est-ce que ça ne suffit pas ? Pourquoi ajouter : « Ceci est mon Sang » ? Le sang fait partie du corps.
Le Père — Voilà une question très intéressante, et qui nous introduit à ce qu’il y a de plus important dans le mystère de la messe. Remarque que le prêtre ne dit pas : « Ceci est mon Sang. » Il dit : « Ceci est le calice de mon Sang… »
Françoise — Pourquoi ?
Le Père — D’abord parce que pour garder du sang, comme n’importe quel liquide, il faut un récipient. C’est le calice — ou la coupe : les deux mots sont synonymes. Dans un repas, on pose le pain sur la table, et il y reste ; mais on verse le vin dans un verre ou une coupe. Ensuite, si tu vois du sang, qu’est-ce que ça signifie ?
Jacques — Il peut y avoir eu un crime…
Françoise — Ou une blessure, comme quand je me pique en cousant. Ou une opération…
Le Père — Le sang à lui tout seul ne signifie rien. La coupe signifie que le sang est destiné à être bu, et aussi qu’on peut le partager, quand on fait circuler la coupe entre les convives, comme Jésus à la Cène ; et enfin, la coupe signifie qu’on peut offrir le sang en élevant la coupe. Alors on comprend que le sang n’est pas produit par un crime ou par un accident, mais qu’il sert à une offrande et à un sacrifice. D’ailleurs la coupe signifie le sacrifice. C’est ce que Jésus dira peu de temps après la Cène. Vous voyez ce que je veux dire ?…
Françoise — Ah oui ! Au jardin des Oliviers. Jésus a prié en disant « Père, que ce calice passe loin de moi. Mais que ta volonté se fasse, et non la mienne. »
Le Père — Très bien. Le « calice de mon Sang » signifie donc la passion de Jésus, c’est-à-dire sa souffrance, acceptée par amour, comme le sang est contenu dans le calice. Et, alors que la consécration du pain se fait en cinq mots — « Car ceci est mon Corps » — la consécration du calice est beaucoup plus développée : « Car ceci est le calice de mon Sang… »
Jacques — « qui sera répandu pour vous et pour un grand nombre en vue de la rémission des péchés. »
Le Père — Alors que la consécration du pain semblait affirmer seulement la présence de Jésus sur l’autel, la consécration du calice explique clairement qu’une action s’accomplit : l’action rédemptrice de Jésus-Christ, qui sauve tous les hommes par le sacrifice du Calvaire.
L’offrande du Christ au Père
Le Père — Voilà donc, sur l’autel, le pain et le vin devenus le corps immolé et le sang répandu de Jésus-Christ. Qu’est-ce qu’on va en faire ?
Jacques — On va les donner aux communiants.
Françoise — Oui, mais pas tout de suite. Il y a encore beaucoup de prières.
Le Père — Et ces prières ont toutes pour but d’offrir le sacrifice du Christ à son Père. Aussitôt après la consécration, le prêtre dit : « Nous, vos serviteurs (les prêtres) et tout le peuple saint (des baptisés), nous offrons à votre glorieuse majesté cette hostie toute pure… » Puis il demande à Dieu d’accepter ce sacrifice comme il a accepté jadis ceux d’Abel, d’Abraham et Melchisédech. Enfin, il demande que ce sacrifice soit transporté sur l’autel du ciel, devant la face de Dieu, ce qui est une autre manière de dire qu’il l’offre.
Jacques — Alors, c’est à ce moment-là que se fait la grande offrande…
Le Père — Et c’est pourquoi les fidèles ne doivent pas s’asseoir comme s’ils n’avaient rien à faire qu’à attendre la communion.
Françoise — Mon Père, vous n’avez pas parlé de l’élévation, qui est pourtant quelque chose de très important.
Le Père — Pas autant qu’on le croit. On ne fait l’élévation, après chaque consécration, que pour permettre aux fidèles d’adorer aussitôt, en les regardant, le pain et le calice consacrés. Celle qu’on appelle — malheureusement — la « petite » élévation, est beaucoup plus importante. Elle termine la grande Prière de la messe par une offrande solennelle, que tous les fidèles doivent approuver et ratifier par leur Amen. C’est alors que se fait la grande offrande du pain et du vin, ou plutôt de Jésus-Christ immolé et glorieux. Et en disant Amen, nous disons que cette offrande est bien la nôtre, et que nous nous offrons nous-mêmes avec elle.
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