Et maintenant une histoire ! Posts

Auteur : Latzarus, Marie-Thérèse | Ouvrage : Pâques .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Ce dimanche-là, le petit Jean avait fini, plus tôt que de cou­tume, de vendre le paquet de jour­naux, dont il avait la charge. 

Il comp­ta, dans sa poche, les quelques sous qu’il venait de gagner, et se diri­gea, vers la sombre mai­son, où vivait la vieille femme qui le gar­dait. Quand il arri­va, elle était en conver­sa­tion, avec la femme du char­bon­nier, et comme d’ha­bi­tude, fit sem­blant de trou­ver insuf­fi­sant, le gain du petit Jean :

— Si ce n’est pas mal­heu­reux, dit-elle à sa voi­sine, être obli­gée de loger, de nour­rir et d’ha­biller ce grand gar­çon, avec ces quelques sous. 

Elle fit sem­blant de trou­ver insuf­fi­sant le gain du petit Jean.

La mère Mathieu exa­gé­rait : d’a­bord, l’As­sis­tance Publique la payait pour entre­te­nir l’. De plus, elle le logeait dans un gre­nier, où une caisse pleine de paille lui ser­vait de lit, et le nour­ris­sait de pain sec et de châ­taignes bouillies. Quant à ses vête­ments, il valait mieux n’en pas par­ler : le petit avait une culotte rapié­cée que recou­vrait, entiè­re­ment, une veste si longue et si large, qu’on aurait pu y tailler un cos­tume com­plet. Dépour­vu de bas et de chaus­settes, il por­tait, été comme hiver, de lourdes galoches, et ses che­veux ébou­rif­fés s’é­chap­paient d’une cas­quette, que la pluie et le soleil avaient fanée, tour à tour. 

Auteur : Jasinski, Max | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutesLe roi de France, Louis le neu­vième, qui fut plus tard cano­ni­sé, fai­sait un jour une pro­me­nade à che­val avec le sire de Join­ville et quelques sei­gneurs. Il arri­va au vil­lage de Cha­ren­ton par un pont à péage. Il paya scru­pu­leu­se­ment pour lui, pour sa suite et pour les che­vaux, bien qu’on lui eût offert le pas­sage gra­tuit. De l’autre côté du pont, il tom­ba sur des pay­sans réunis en cercle autour d’un jeune homme. Celui-ci, agile comme un singe, les pieds en l’air et la tête en bas,courait sur les mains avec vélo­ci­té. Les spec­ta­teurs qui applau­dis­saient se tinrent cois, par res­pect, à la venue du cor­tège. L’homme se repla­ça sur ses pieds et s’approcha sur un signe de Louis. Il reti­ra son bon­net, râpé et troué, d’où pen­dait, à moi­tié bri­sée, une plume de coq, et, immo­bile, atten­dit qu’on l’interrogeât. Il était de piètre mine, maigre, accou­tré d’habits rapié­cés dont les teintes, jadis vives, étaient déco­lo­rées ; mais son atti­tude était gra­cieuse et ses mou­ve­ments aisés. Ses joues étaient creuses, mais son regard était clair et sa lèvre spirituelle.

— Qui es-tu ? dit le roi.

— Un homme, répon­dit l’autre.

— D’où viens-tu ?

— De là-bas.

Troubadour musicien

— Où vas-tu ?

— À côté de mon ombre.

— De quel pays es-tu ?

— De notre ville.

— Où est ta ville ?

— Sur une rivière.

— Qu’est-ce que cette rivière ?

— De l’eau.

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 13 minutesCe jour-là il n’y avait pas d’é­cole, pour cette bonne rai­son que c’é­tait le jeu­di et, qui plus est, le Jeudi-Saint.

Il fai­sait un joli temps et ne croyez pas que ce soit pour allon­ger mon his­toire que je me mets à vous par­ler de la pluie et du beau temps. Pas du tout. Il y a des cas où l’on peut dire : le temps n’est pour rien dans l’af­faire, mais, ici, le temps y est pour beau­coup. Car, et vous le com­pre­nez, si le temps avait été mau­vais il y a bien des chances que je n’au­rais pas pro­me­né mes rhu­ma­tismes par les che­mins, au risque de ren­trer trem­pé, gue­né, comme on dit chez nous, sans un fil de sec sur le dos. Si le temps n’a­vait pas été joli, René Gaillou non plus ne serait pas sor­ti, ses parents ne l’au­raient pas lais­sé, pour pro­me­ner ses cochons…

Allons bon, voi­là le gros mot lâché ! Il m’en coû­tait de l’é­crire. Il est écrit, tant pis ; le papier sup­porte tout ; oh ! et puis, nous ne sommes plus au temps, com­bien loin­tain, de ma très tendre enfance, où l’on nous ensei­gnait — c’est le Frère, le cher Frère Oné­si­mus qui nous appre­nait ces déli­ca­tesses lit­té­raires — que l’on ne dit pas : un , mais l’a­ni­mal qui se nour­rit de glands, ou encore l’ha­billé de soie. De nos jours, voyez-vous, cette engeance s’est tel­le­ment répan­due par le monde que son nom a fini par s’im­po­ser aux hon­nêtes gens que nous sommes vous et moi, par la grâce de Dieu.

Cochons noir basque Kintoa

Donc, par un temps joli, René Gaillou était allé pro­me­ner ses cochons. Et puis quand vous sau­rez de quelles bêtes mon René Gaillou était, de par ses parents, consti­tué gar­dien et pas­teur, vous n’au­rez plus envie de rire, mais vous vous sen­ti­rez sai­si par les sen­ti­ments de la plus vive admi­ra­tion. Je vous avoue que jamais je n’ai mis les pieds dans un Comice agri­cole — c’est une lacune dans mon édu­ca­tion, — mais en serais-je un habi­tué que jamais je n’au­rais rien vu de plus beau, dans l’es­pèce, que les cinq cochons que menait paître René Gaillou.

L’on m’a tou­jours dit qu’une nar­ra­tion bien conduite devait se pré­sen­ter dans un cadre. Et il est de toute néces­si­té, cela se conçoit aisé­ment, que vous sachiez dans quel pays évo­luent notre pas­teur et son trou­peau. Le plus joli paye du monde ! Tenez, détour­nez-vous. Vous voyez là-haut, mon­tant dans le ciel bleu comme un doigt gan­té de blanc, le Mon­tai­gu ; et à gauche, voyez-vous le dôme majes­tueux de la Dent du Midi ? Voyez-vous ? Et toute cette fée­rie des neiges iri­sées qui se pro­filent à l’ho­ri­zon et se confondent là-bas avec la brume des nuages ! Bais­sez un peu les yeux ; aper­ce­vez-vous les ruines de l’al­tier châ­teau de Mau­vai­sin ? Elles sont bleues ce matin, elles seront grises à midi, ce soir elles se colo­re­ront de rose. Rien de plus coquet que les mon­tagnes, elles changent de parure cent fois le jour. Et Tour­nay, dans ce coin, qui groupe ses mai­sons autour de son clo­cher poin­tu ! Lais­sez vos regards suivre le cours de l’Ar­ros et se repo­ser sur les col­lines dont les chênes gardent les teintes neutres de l’hi­ver, sur ces prai­ries qui rever­dissent et d’où s’é­lèvent les larges écrans des peu­pliers qu’a tou­chés déjà le prin­temps, sur ces labours aux tons de rose fané. Par­mi tout cela, des vil­lages avec une église blanche au clo­cher bleu d’ardoise.

C’est en contem­plant toutes ces mer­veilles, que je m’en allais, flâ­nant, sur la route de Peil­haube. En main j’a­vais un livre qui ne me ser­vait guère et sous le bras le com­pa­gnon des hommes pru­dents, je veux dire le parapluie.

Et c’est alors que je ren­con­trai René Gaillou d’une part, et d’une autre, son trou­peau. Lui, venait par der­rière, une badine à la main. Eux allaient par devant, le groin ten­du vers le ruis­seau, trot­ti­nant de belle allure, pié­ti­nant en gou­jats de véri­tables tapis de vio­lettes pous­sées aux pieds des pru­nel­liers fleu­ris. Ils étaient cinq. Tous de même taille, tous habillés de même, de belles bêtes de vingt mois au moins.

Auteur : Pourrat, Henri .

Temps de lec­ture : 9 minutesIl y avait une fois Marie et saint Joseph qui tous deux empor­tant l’ avaient dû prendre les che­mins. C’é­tait pour fuir la colère d’Hé­rode, — vive le roi ! — fuir ses sou­dards, lan­cés sur leurs che­vaux, la bri­gade, capi­taine en tête, qui à coups d’é­pée et de dague a mas­sa­cré les inno­cents. La lame au poing, écla­bous­sés de sang, ils courent, cherchent, mènent le train par toute la cam­pagne, — vive le roi, alleluia !

La bonne Dame, au soir, n’en pou­vait plus. Mais au trot, au galop, galop d’en­fer, fai­sant feu sur toutes les pierres, de tous ses fers, — vive le roi ! — a repa­ru cette cava­le­rie. Il a fal­lu repar­tir et cou­rir. La bonne Dame, son bel Enfant entre les bras, — vive le roi, alle­luia ! — cou­rait, cou­rait ; mais c’é­tait dans la plaine, et on la voyait de partout.

Elle cou­rait, cou­rait, cou­rait, tant qu’elle pou­vait, ser­rant contre elle son Jésus, qu’­Hé­rode avait ordon­né d’é­gor­ger. Puis tout à coup, le souffle lui a man­qué. Elle est tom­bée sur la terre, comme morte. Seule­ment, par le vou­loir de Dieu, elle est tom­bée sur une petite sauge.

La sauge qui cache la Vierge et l'Enfant Jésus

« Sauge, sauge, a dit Notre-Dame, sauve Jésus ! »

Ah ! la sauge l’a enten­due. Elle s’est dépê­chée de croître : elle est deve­nue gros buis­son. Les sou­dards, arri­vant là-des­sus, — vive le roi ! — du haut de leurs che­vaux pas­saient les yeux par­tout. Ils accou­raient de-çà, de-là ; ils quê­taient, balan­çant leurs trognes.

Et la menthe, cette rap­por­teuse, leur souf­flait tant qu’elle pouvait

« Sous la brous­saille ! Sous la broussaille ! »

Mais dans le tin­ta­marre de leur cava­le­rie, fers tapant, gour­mettes tin­tant, ils n’ont rien enten­du, par chance ! — vive le roi, alleluia !

Ils sont repar­tis tout capots.

« Menthe, menthe, a dit la bonne Dame, tu es menthe et tu men­ti­ras : tu fleu­ri­ras, pas ne graineras. »

À la sauge, elle a dit :

« Sauge, sauge, que Dieu te sauve ! Tu fleu­ri­ras et tu graineras. »

Aus­si, de la sauge il faut s’ai­der quand on se sent en lan­gueur et quand on se sent en san­té, il ne faut pas l’ou­blier, la sauge ! La sauge, c’est la main de Dieu.

Mais les sou­dards du roi Hérode ont conti­nué de battre la plaine. Ils ont revu la Dame au loin : ils ont pous­sé un grande cla­meur. Bride abat­tue, dans des lueurs de fer, des tour­billons de poudre, ont accou­ru à tra­vers champs.

La bonne Dame avec son bel Enfant a cru se cacher sous un tremble.

Le tremble s’est mis à trem­bler, à tour­ner, à écar­ter sa feuille, les décou­vrant à toute vue.

Par chance, le noi­se­tier était là, qui est si brave. Il a élar­gi sont feuillage il a fait touffe de son mieux.

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 5 minutes

II était une fois deux enfants, une sœur et un frère. C’é­tait des enfants très sages et obéis­sants. Ils en étaient presque un peu fiers. Ils aimaient bien jouer avec leurs cama­rades, mais encore plus entre eux deux.

Un jour, – c’é­tait la veille de -, ils déci­dèrent de par­tir tout seuls fêter Noël au ciel, avec les anges et avec Jésus. Ils se mirent en route de bon matin, car ils pen­saient bien que le che­min serait assez long. Ain­si ils mar­chèrent et mar­chèrent à tra­vers les pay­sages, en direc­tion du soleil levant.

Sou­dain ils enten­dirent au loin le gron­de­ment d’un tor­rent et se trou­vèrent bien­tôt au bord d’un pro­fond ravin lon­gé de ver­ti­gi­neuses falaises. Pru­dem­ment ils s’ap­pro­chèrent du bord. Com­ment faire pour tra­ver­ser ? Alors ils aper­çurent un pont, rec­ti­ligne comme une règle et tout aus­si étroit, qui réunis­sait les deux bords. Ose­raient-ils la tra­ver­sée ? Cela parut de la folie.

Mais voi­là : ce pont s’ap­pe­lait « le pont du men­songe ». Celui qui n’a­vait jamais men­ti de sa vie pou­vait l’emprunter sans dan­ger. Les deux enfants se regar­dèrent et dirent d’un com­mun accord : « Nous n’a­vons jamais men­ti de notre vie, allons‑y. » Un peu trem­blants ils s’y enga­gèrent, un pied devant l’autre, et encore un pied devant l’autre, et ain­si de suite, et ils gagnèrent le bord opposé.

Un peu fati­gués, ils conti­nuèrent leur route. Au bout d’un cer­tain temps ils enten­dirent de loin­tains rugis­se­ments. Mal­gré leur frayeur ils avan­cèrent. Les rugis­se­ments enflèrent, cela res­sem­blait bien à des rugis­se­ments de lions, mais ils ne purent rien voir, car le pay­sage était sau­vage : des four­rés et des buis­sons épi­neux s’é­ten­daient à perte de vue.