Étiquette : <span>Communion spirituelle</span>

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Ce jour-là il n’y avait pas d’é­cole, pour cette bonne rai­son que c’é­tait le jeu­di et, qui plus est, le Jeudi-Saint.

Il fai­sait un joli temps et ne croyez pas que ce soit pour allon­ger mon his­toire que je me mets à vous par­ler de la pluie et du beau temps. Pas du tout. Il y a des cas où l’on peut dire : le temps n’est pour rien dans l’af­faire, mais, ici, le temps y est pour beau­coup. Car, et vous le com­pre­nez, si le temps avait été mau­vais il y a bien des chances que je n’au­rais pas pro­me­né mes rhu­ma­tismes par les che­mins, au risque de ren­trer trem­pé, gue­né, comme on dit chez nous, sans un fil de sec sur le dos. Si le temps n’a­vait pas été joli, René Gaillou non plus ne serait pas sor­ti, ses parents ne l’au­raient pas lais­sé, pour pro­me­ner ses cochons…

Allons bon, voi­là le gros mot lâché ! Il m’en coû­tait de l’é­crire. Il est écrit, tant pis ; le papier sup­porte tout ; oh ! et puis, nous ne sommes plus au temps, com­bien loin­tain, de ma très tendre enfance, où l’on nous ensei­gnait — c’est le Frère, le cher Frère Oné­si­mus qui nous appre­nait ces déli­ca­tesses lit­té­raires — que l’on ne dit pas : un , mais l’a­ni­mal qui se nour­rit de glands, ou encore l’ha­billé de soie. De nos jours, voyez-vous, cette engeance s’est tel­le­ment répan­due par le monde que son nom a fini par s’im­po­ser aux hon­nêtes gens que nous sommes vous et moi, par la grâce de Dieu.

Cochons noir basque Kintoa

Donc, par un temps joli, René Gaillou était allé pro­me­ner ses cochons. Et puis quand vous sau­rez de quelles bêtes mon René Gaillou était, de par ses parents, consti­tué gar­dien et pas­teur, vous n’au­rez plus envie de rire, mais vous vous sen­ti­rez sai­si par les sen­ti­ments de la plus vive admi­ra­tion. Je vous avoue que jamais je n’ai mis les pieds dans un Comice agri­cole — c’est une lacune dans mon édu­ca­tion, — mais en serais-je un habi­tué que jamais je n’au­rais rien vu de plus beau, dans l’es­pèce, que les cinq cochons que menait paître René Gaillou.

L’on m’a tou­jours dit qu’une nar­ra­tion bien conduite devait se pré­sen­ter dans un cadre. Et il est de toute néces­si­té, cela se conçoit aisé­ment, que vous sachiez dans quel pays évo­luent notre pas­teur et son trou­peau. Le plus joli paye du monde ! Tenez, détour­nez-vous. Vous voyez là-haut, mon­tant dans le ciel bleu comme un doigt gan­té de blanc, le Mon­tai­gu ; et à gauche, voyez-vous le dôme majes­tueux de la Dent du Midi ? Voyez-vous ? Et toute cette fée­rie des neiges iri­sées qui se pro­filent à l’ho­ri­zon et se confondent là-bas avec la brume des nuages ! Bais­sez un peu les yeux ; aper­ce­vez-vous les ruines de l’al­tier châ­teau de Mau­vai­sin ? Elles sont bleues ce matin, elles seront grises à midi, ce soir elles se colo­re­ront de rose. Rien de plus coquet que les mon­tagnes, elles changent de parure cent fois le jour. Et Tour­nay, dans ce coin, qui groupe ses mai­sons autour de son clo­cher poin­tu ! Lais­sez vos regards suivre le cours de l’Ar­ros et se repo­ser sur les col­lines dont les chênes gardent les teintes neutres de l’hi­ver, sur ces prai­ries qui rever­dissent et d’où s’é­lèvent les larges écrans des peu­pliers qu’a tou­chés déjà le prin­temps, sur ces labours aux tons de rose fané. Par­mi tout cela, des vil­lages avec une église blanche au clo­cher bleu d’ardoise.

C’est en contem­plant toutes ces mer­veilles, que je m’en allais, flâ­nant, sur la route de Peil­haube. En main j’a­vais un livre qui ne me ser­vait guère et sous le bras le com­pa­gnon des hommes pru­dents, je veux dire le parapluie.

Et c’est alors que je ren­con­trai René Gaillou d’une part, et d’une autre, son trou­peau. Lui, venait par der­rière, une badine à la main. Eux allaient par devant, le groin ten­du vers le ruis­seau, trot­ti­nant de belle allure, pié­ti­nant en gou­jats de véri­tables tapis de vio­lettes pous­sées aux pieds des pru­nel­liers fleu­ris. Ils étaient cinq. Tous de même taille, tous habillés de même, de belles bêtes de vingt mois au moins.