I. LA PISTE DU DÉSERT.
C’était un jour d’été, aux abords de midi. Sur la piste sablonneuse qui menait à Damas, une petite caravane se hâtait : quelques gardes, deux ou trois secrétaires, accompagnant un jeune homme de peu de mine, à qui, cependant, tous marquaient beaucoup de respect. A leur costume, à leur langage, on reconnaissait des Israélites, et le petit homme roux appartenait à la classe des « Docteurs de la Loi », qui enseignaient la religion. Tous semblaient pressés d’arriver à la capitale syrienne. De temps en temps, le petit homme parlait à ses compagnons de voyage, et l’on sentait, à l’entendre, qu’il était possédé d’une étrange fureur.
Cette scène se passait en l’année 36 de notre ère. Trois ans plus tôt, à Jérusalem, sur le Golgotha, un homme était mort, crucifié entre deux bandits. On l’appelait Jésus de Nazareth. Pendant plus de trente mois, il avait parlé à des foules, enseignant une doctrine d’amour, de miséricorde, guérissant les malades, faisant de grands miracles, et parmi ceux qui l’avaient accompagné, beaucoup avaient proclamé qu’il était le Messie, le Dieu fait homme, et que ce serait lui le Sauveur d’Israël. Or, c’était cela que ne voulaient pas admettre les Princes du Peuple Juif et les prêtres : qu’un homme sorti de rien, fils d’un charpentier de Nazareth, fût vraiment le Porte-Parole du salut, non, non, cela ne leur paraissait pas possible. Et puis, que deviendraient-ils, eux, si ce Jésus et sa bande triomphaient ? Et c’était pourquoi un complot avait été monté ; des pièges avaient été tendus au soi-disant Messie ; un traître même avait été payé pour qu’il le fît arrêter. Condamné par les prêtres, on avait bien vu que ce Jésus n’était pas le Messie ! Il était mort sur la croix comme un malfaiteur, et les siens n’avaient même pas levé un doigt pour le sauver.
Et, cependant, un bruit étrange s’était répandu dans tout Jérusalem. Les disciples de Jésus avaient proclamé que, trois jours après sa mort, il était ressuscité ! Le tombeau où l’on avait placé son corps avait été trouvé vide. Quarante jours de suite, certains l’avaient vu paraître, et non pas un seul, mais des dizaines, des centaines peut-être ; l’un de ses anciens disciples l’avait même touché ! Du coup, relevant la tête, ses partisans se répandaient sur les places, triomphants. Si Jésus était ressuscité, alors tout ce qu’il avait dit était vrai ; il était réellement le Christ, le Dieu fait homme. Les Princes du Peuple et les prêtres avaient commis un crime abominable, en le condamnant à mort. Il fallait répéter son message au monde. Et, ainsi, des noyaux de fidèles de Jésus se constituaient dans la Palestine et même au dehors.



Accroché au rebord des Vosges, dominant de très haut la riche plaine où coule le Rhin, quel est ce couvent dont tous les Alsaciens parlent avec émotion ? Qu’il fasse grand soleil ou qu’il pleuve, que les forêts de sapins soient enveloppées de brume ou qu’une lumière bleutée s’étende aux flancs des monts, le paysage est toujours admirable. Vingt villes, trois cents villages, voilà ce qu’on aperçoit de la merveilleuse terrasse ; au loin, une flèche rose se dresse comme un cierge : celle de la cathédrale de Strasbourg, chef‑d’œuvre de l’art gothique. Ce lieu béni, d’où monte vers Dieu, depuis douze cents ans, une prière continuelle, c’est Sainte-Odile, le monastère de la patronne de l’Alsace, illustré par elle et où survit son souvenir.



Les jeunes enfants sont noirs, absolument noirs, oui de jeunes nègres de quatorze ou quinze ans. Alignés les uns à côté des autres, une quarantaine, ils sont enfermés dans des cages en bambous ; leur cou est pris dans une fourche et de lourdes pièces de bois leur emprisonnent un pied et un poignet. Devant eux s’agitent des sortes de monstres grotesques et horribles en grand nombre ; le visage enduit d’argile rouge, zébré de traînées de suie, la tête hérissée de plumes, des peaux de bêtes attachées autour des reins, un collier d’ossements battant sur la poitrine et des grelots tintant à leurs chevilles, ce sont des sorciers. Mais leurs gesticulations menaçantes,leurs cris, leurs chants sauvages, pas plus que les préparatifs du grand bûcher qu’on élève non loin de là, rien ne peut faire fléchir le courage de ces jeunes héros du Christ.
Parmi ceux qui ont participé le mieux à cette grande tâche se trouvent au premier rang les Pères Blancs. Ils ont été fondés par un homme de génie, le Cardinal Lavigerie, tout exprès pour vivre la même vie que les indigènes, s’habillant comme eux, parlant leur langue, aidés aussi par les Sœurs Blanches qui, vivant de la même façon, s’occupent spécialement des femmes et des enfants. « II y a là-bas cent millions d’êtres humains qui attendent le Christ ; je veux les donner à Lui ! » s’était écrié un jour Lavigerie devant le Pape Pie IX. Et, fidèles à cette promesse, Pères blancs et Sœurs blanches n’ont pas cessé, depuis lors, de travailler à sa réalisation.
