Non, il ne voulait pas quitter la maison pour aller là-bas, dans cette ferme comme petit berger. Depuis huit jours on ne parlait que de cela.
Georges n’avait plus que sa maman et sa grande sœur qui était repasseuse.
Cette année, la vie devenant plus difficile, la maman de Georges s’inquiétait pour son fils, assez délicat de santé ; le docteur du dispensaire et les infirmières consultés avaient répondu :

« Il faut envoyer cet enfant à la campagne. Mettez-le petit berger dans une bonne famille de cultivateurs, vous verrez comme cela lui fera du bien ; l’âme et le corps y gagneront.
Quand sa maman lui avait rapporté ces paroles, en venant l’attendre avec sa sœur à la sortie du patro (on était un jeudi), Georges s’était mis à pleurer :
« Non, je ne veux pas partir ! Tant pis si je suis malade, je ne veux pas être berger !
— Tu n’es pas raisonnable, mon petit Georges, avait dit sa sœur Marcelle ; pense au soulagement que nous aurons, maman et moi, de te savoir bien nourri et au bon air ; tu devrais être fier de penser que tu vas pouvoir nous décharger et gagner ta nourriture. Tiens, voilà justement Monsieur l’Abbé qui passe, nous allons lui demander son avis.
— Comment ! Georges, tu ne veux pas être berger, tu ne veux pas quitter ta maman ? Mais un grand garçon de dix ans doit savoir faire un sacrifice. Les soldats ont bien laissé leur maman quand ils sont partis à la guerre. Toi aussi tu laisseras ta maman pour partir berger, parce que c’est ton devoir. Puis — et l’abbé se mit à rire — tu penseras que je te tiens compagnie car, moi aussi, je suis berger (Georges ouvrit de grands yeux). Eh ! oui, je suis berger, regarde mon troupeau (Monsieur l’Abbé étendit le bras vers le flot d’enfants sortis du patro et qui se dispersaient dans la rue) ; tu es aussi l’un de mes agneaux, Georges, et je ne veux pas que tu t’égares dans le bois épineux de ton égoïsme et de ton mauvais caractère… Allons, allons, tu partiras de bon cœur, mon enfant. »
Mais Georges avait baissé la tête, et son air buté ne laissait présager rien de bon.