Non, il ne voulait pas quitter la maison pour aller là-bas, dans cette ferme comme petit berger. Depuis huit jours on ne parlait que de cela.
Georges n’avait plus que sa maman et sa grande sœur qui était repasseuse.
Cette année, la vie devenant plus difficile, la maman de Georges s’inquiétait pour son fils, assez délicat de santé ; le docteur du dispensaire et les infirmières consultés avaient répondu :
« Il faut envoyer cet enfant à la campagne. Mettez-le petit berger dans une bonne famille de cultivateurs, vous verrez comme cela lui fera du bien ; l’âme et le corps y gagneront.
Quand sa maman lui avait rapporté ces paroles, en venant l’attendre avec sa sœur à la sortie du patro (on était un jeudi), Georges s’était mis à pleurer :
« Non, je ne veux pas partir ! Tant pis si je suis malade, je ne veux pas être berger !
— Tu n’es pas raisonnable, mon petit Georges, avait dit sa sœur Marcelle ; pense au soulagement que nous aurons, maman et moi, de te savoir bien nourri et au bon air ; tu devrais être fier de penser que tu vas pouvoir nous décharger et gagner ta nourriture. Tiens, voilà justement Monsieur l’Abbé qui passe, nous allons lui demander son avis.
— Comment ! Georges, tu ne veux pas être berger, tu ne veux pas quitter ta maman ? Mais un grand garçon de dix ans doit savoir faire un sacrifice. Les soldats ont bien laissé leur maman quand ils sont partis à la guerre. Toi aussi tu laisseras ta maman pour partir berger, parce que c’est ton devoir. Puis — et l’abbé se mit à rire — tu penseras que je te tiens compagnie car, moi aussi, je suis berger (Georges ouvrit de grands yeux). Eh ! oui, je suis berger, regarde mon troupeau (Monsieur l’Abbé étendit le bras vers le flot d’enfants sortis du patro et qui se dispersaient dans la rue) ; tu es aussi l’un de mes agneaux, Georges, et je ne veux pas que tu t’égares dans le bois épineux de ton égoïsme et de ton mauvais caractère… Allons, allons, tu partiras de bon cœur, mon enfant. »
Mais Georges avait baissé la tête, et son air buté ne laissait présager rien de bon.
* * *
Et voilà que quelques jours plus tard Georges, revenant de faire les emplettes de sa maman à l’épicerie, avait aperçu un pauvre petit mouton. Que faisait-il dans cette rue presque déserte ? Soudain Georges pensa qu’aujourd’hui se tenait à l’autre bout de la ville la foire aux bestiaux ; l’animal venait sûrement de là-bas, il s’était égaré, il fallait le reconduire du côté du champ de foire : là, son maître le retrouverait.
Georges courut déposer son panier de provisions dans un coin de l’allée de la maison qu’il habitait, et eut ainsi les mains libres. Le mouton était toujours là, au milieu de la rue, bêlant tristement. Le jeune garçon s’avança doucement pour saisir l’animal, mais ce dernier bondit de côté et prit sa course vers la campagne qui commençait non loin de là. Georges partit à sa poursuite :
« Je t’aurai. Crois-tu que je veuille te laisser dévorer par un chien ? Tu sais, il y en a de très méchants dans le quartier. »
Le mouton, haletant, continuait sa course ; devant une maison, un garçon de l’âge de Georges prenait le frais ; il cria : « Lance-lui un caillou, il s’arrêtera ; allez, vas‑y !
— Méchant. », répondit Georges, sans s’arrêter de courir.
À ce moment, le mouton, je ne sais pourquoi, trébucha et alla s’abattre dans le petit ruisseau boueux qui longeait la route. Georges s’élança et put jeter sa ceinture de cuir autour du cou de l’animal.
« Pauvre mouton, c’est moi qui ai gagné ! Mais n’aie pas peur, nous allons jouer au Bon Pasteur et à la brebis perdue : je ne te ferai pas de mal, je suis ton berger. Je vais te reconduire au bercail. »
Georges s’arrêta, interdit par les paroles qu’il venait de prononcer : « Je suis ton berger. »
Après tout, pourquoi pas ? Il avait bien réfléchi depuis qu’il avait rencontré Monsieur l’Abbé l’autre jour. C’est une belle chose que d’être berger, de conduire un troupeau, toujours là où il ne peut lui arriver que du bien ; si par hasard une brebis tombe, comme la sienne tout à l’heure, on la relève.
Georges se serre tendrement contre la brebis perdue et murmure, comme pour la prendre à témoin :
« Je serai berger… d’abord de brebis, et je partirai de bon cœur, comme me l’a demandé Monsieur l’Abbé. Et après… après… »
* * *
Ayant remis la brebis entre les mains de son propriétaire plein de reconnaissance, Georges rentrait chez lui, une heure plus tard. Comme chaque jour, il trouva sa mère assise devant la fenêtre, travaillant avec acharnement pour le magasin qui voulait bien lui confier du travail (pour combien de temps encore ?). Il courut à elle et l’embrassa :
« Maman, il faut me préparer mes affaires. Si vous le voulez, je pars demain à la campagne pour garder les moutons. »
Devant l’air étonné de sa mère, il continua :
« Oui, maman, je veux être berger, de moutons d’abord ; je partirai joyeusement, comme Monsieur l’Abbé me l’a recommandé ; et après… après… quand” je serai grand, je voudrais encore être berger… Oui, maman, berger comme Monsieur l’Abbé… Dites, maman, vous voulez bien ? »
M. Bourron.
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