Il était un beau chevalier qui ne rêvait que tournois et fêtes. Une dame occupait sa pensée, ses soins, qui ne le payait pas de retour et se montrait d’autant plus rebelle qu’il la suppliait davantage et la souhaitait plus ardemment. C’est pourquoi, las et perdant courage, il porta sa peine devant un saint homme d’abbé.
« Sire, lui confia-t-il, d’aucunes ont un cœur de plomb, mais celle que j’aime en a un de fer. Depuis que je la connais, je ne mange ni ne bois ou ne repose. Et je vais, j’en suis sûr, mourir de male mort, si vous ne me sauvez. »
L’homme de Dieu connut la gravité du cas. Il sut que, pour de tels maux, il n’est point de médication temporelle. Aussi jugea-t-il bon de ne pas combattre de front l’adversaire et de faire appel à la grâce et à la miséricorde infinie du Christ et de la mère du Christ. Il ordonna au pénitent de dire cent cinquante fois par jour, durant une année « le doux salut de Notre-Dame ». Mais il douta que le jeune homme eût la force d’observer un tel commandement, il craignit la séduction du monde pour un cœur généreux et vif. Et une ardente volonté déjoua sa vieille prudence.
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Conte chrétien
Ce soir-là, lorsque Jésus passa parmi les élus, tout heureux de saluer leur Sauveur, il semblait quelque peu préoccupé ; il répondait aux saluts avec son sourire radieux, mais demeurait pensif, car il avait aperçu, au milieu des bienheureux, quelques personnes — et même un bon nombre — qui le frappaient par leur comportement. Ils paraissaient complexés, on aurait dit qu’ils désiraient passer inaperçus, et leur regard était inquiet, presque fuyant, ce qui est contraire à l’ambiance de confiance qui règne au Paradis.
De toute manière, après deux ou trois jours, grâce à la grande fraternité qui existe dans la Maison du Père, ils changeaient complètement, se sentaient à leur aise, à l’unisson avec les autres, avec la même joie et la grande paix qui se reflétaient sur leur visage. Comment expliquer ce phénomène ? Y aurait-il une négligence de Saint Pierre ? Son âge avancé, la routine, et en particulier sa grande confiance a peut-être permis que son contrôle se relâche. Il était donc nécessaire d’exiger du Portier du Ciel une meilleure vigilance.
Avec la rapidité de l’éclair, le Seigneur alla voir saint Pierre, qui était tranquillement assis dans son fauteuil, à côté de la porte. Jésus, lui adressa ces paroles, presque de reproche :
« Mon bon Saint Pierre, je ne mets pas en doute ta bonne volonté et ta conscience professionnelle, mais il me semble qu’avec le temps, bien qu’au Paradis mille ans sont comme un jour, ta vigilance a pu s’affaiblir ; et que, profitant d’un instant d’inattention lorsque tu révises le Livre de Vie, « on te fait passer du lard pour du cochon », comme on dit à Marseille »
Réagissant avec sa spontanéité habituelle, et cependant avec un très grand respect, Pierre répondit :
« Pardon Seigneur, mais je ne comprends pas ; cela est impossible, car je passe ma vie à la porte du Ciel, comme une sentinelle, toujours en éveil, et malgré mon âge avancé, rien n’échappe à mon regard de pêcheur. Croyez-moi, mon bon Seigneur, je ne suis pas coupable, car je suis, à mon poste, inexorable, et personne n’arrive à Bon Port, sans son requis passeport. Mais, oh ! Divin Seigneur, si vous pensez que je ne suis pas apte à ce poste de haute confiance, je remets entre vos mains ma démission ».
Il est vrai qu’à une certaine occasion, il ne s’était pas montré très courageux, mais pourquoi le rappeler ?… C’est bien connu, cependant, à la fin de sa vie, il a voulu être crucifié la tête en bas, montrant un héroïsme qui compensa mille fois sa lâcheté.
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1570… Une situation de crise
Les pays d’Europe, principalement à cause des suites de la révolte de Luther et des débuts du protestantisme, se disputent et se jalousent. Les « Ottomans », c’est à dire les Turcs (musulmans), en profitent pour devenir de plus en plus agressifs. Ils prennent ville après ville et port après port. Cela devient très inquiétant.
Seul le pape de ce temps-là, le pape saint Pie V, voit vraiment le danger. Il sonne l’alarme : tout l’Occident risque d’être envahi par l’Islam, ennemi de la Croix et des chrétiens.
Septembre 1570… L’île de Chypre presque conquise
Le sultan Sélim écrase la ville de Nicosie, capitale de Chypre et assiège Famagouste, l’autre grande ville de l’île.
Pendant ce temps là, les amiraux de la flotte chrétienne se disputent… et certains font marche arrière. Ils n’ont pas du tout le moral… et ont peur de la puissance meurtrière des Ottomans…
S’unir et s’organiser
Le pape réagit. Avec beaucoup de courage et d’énergie, il multiplie les démarches auprès des gouvernants. D’abord pour que, en tant que princes chrétiens, ils se décident à faire face.
Seules l’Espagne et la République de Venise répondront à l’appel du pape.
Ensuite, il faut que ces deux pays acceptent de se ranger sous une autorité unique, sinon ce serait la pagaille dans les combats : finalement, avec l’accord de tous, le pape nomme le fils de Charles-Quint, Don Juan, seul et unique général des armées de terre et de mer.
Décembre 1570… « Au nom du Christ, vous vaincrez »
La guerre est déclarée aux Turcs pour leur reprendre « toutes les places qu’ils ont usurpées aux chrétiens ». Don Juan se voit remettre un magnifique étendard pour l’armée confédérée :
d’un côté, Notre-Seigneur en croix ;
de l’autre, les armes de l’Église entre les armes du roi d’Espagne et celles de Venise.
« Allez, lui dit le pape, allez, au nom du Christ, combattre son ennemi, vous vaincrez ».
Saint Dominique, fondateur de l’Ordre des Dominicains. Né vers 1173 à Caleruega, diocèse d’Osna (Espagne). Mort à Bologne, Italie, le 6 août 1221.
Saint Dominique nous apparaît avant tout comme une âme de lumière, bien symbolisée par l’étoile que beaucoup de ses contemporains virent briller sur son front. Apôtre plein de zèle, il voulait apporter aux hommes une connaissance toujours plus parfaite de la Vérité, qui seule, rend l’homme vraiment libre. Mais si Dieu ne l’avait choisi pour être prêtre et fondateur d’un des ordres les plus répandus de la Chrétienté, sa nature ardente l’aurait porté à être un chevalier, un autre Cid Campeador…
Son père descendait d’une famille illustre, les Guzman, mais il n’était qu’un cadet sans fortune. Il décida ainsi de se tailler un petit domaine (c’était au plus fort de la « reconquista ») et éleva un petit « castillo », groupant autour de lui des serfs, des colons, qui trouvaient une protection contre les incursions de l’ennemi. Les Maures n’étaient pas encore chassés hors de l’Espagne et faisaient de nombreuses « razzias » dans les terres reconquises, semant la terreur et emmenant les malheureux chrétiens, femmes, enfants, dont ils faisaient leurs esclaves en les soumettant aux plus durs traitements. C’est l’époque où nous avons vu saint Jean de Matha se dévouer à l’œuvre du rachat des captifs. Toute la jeunesse de Dominique sera marquée par l’impérieuse nécessité de défendre et sa vie et sa foi contre l’invasion sarrasine.
De son père, de pure race visigothe, il tiendra sa nature chevaleresque, et physiquement, sa chevelure blond-roux et les yeux bleus. Sa mère, par contre, la Bienheureuse Jeanne d’Aza, qui descendait de la vieille race espagnole des Ibères, lui donnera sa petite taille, avec une extrême robustesse de tempérament. C’est d’elle aussi qu’il tiendra sa ferveur religieuse.
Quand elle attendait son troisième enfant, qui sera saint Dominique, elle eut une vision demeurée célèbre : elle vit un petit chien noir et blanc tenant en sa gueule une torche enflammée, avec laquelle, s’étant élancé hors du sein maternel, il semblait incendier l’univers entier. Frappée par cette vision, Jeanne d’Aza vint en pèlerinage à Silos, sur la tombe d’un des plus célèbres thaumaturges de Castille : saint Dominique de Silos, bénédictin, invoqué pour obtenir la délivrance des captifs mais aussi par les mères qui attendaient un enfant. Jeanne d’Aza resta plusieurs jours à l’Hôtellerie du Monastère. Elle passait ses journées à l’église, assistant aux offices et s’abîmant dans une contemplation silencieuse. La légende nous dit qu’un soir où elle avait prolongé plus que de coutume son oraison, elle vit venir à elle le thaumaturge, revêtu de ses insignes d’Abbé. Il lui prédit qu’elle mettrait au monde un fils qui deviendrait un illustre prédicateur et serait appelé « le réparateur de l’Église ».
Quelques mois plus tard, rentrée chez elle, Jeanne d’Aza mit au monde un fils auquel elle fit donner le nom de Dominique, ainsi qu’elle l’avait promis au thaumaturge de Silos.
À cinq ans, le petit Dominique exprimait déjà une vie toute donnée à Dieu ; il écoutait avec enthousiasme les récits que ses frères lui faisaient de la vie des Anachorètes (encore nombreux au XIIe siècle) qui vivaient retirés dans des grottes, cultivant leur jardinet, et conseillant ceux qui venaient les trouver. L’enfant concevait alors le désir d’imiter autant que possible ces pratiques d’austérité. Aussi, quand le sommeil ne le prenait pas tout de suite, dès que tout était silencieux, il quittait sa couchette, et s’étendait sur le sol. Mais sa mère qui veillait sur ses enfants eut vite fait de le voir, et elle lui enjoignit de prendre le repos nécessaire, lui faisant comprendre que souvent l’obéissance était préférable au sacrifice.
Ding-Dong… Deux petits moines, — des moinillons, — disent leur Angelus, leur bénédicité ; puis, tandis que les Pères prennent leur repas au réfectoire, ils déballent leurs petites provisions au pied d’une belle statue de Notre-Dame. Demi-pensionnaires au Couvent des Frères Prêcheurs (Dominicains), ils arrivent tôt, servent la messe, puis reçoivent les leçons du Père Bernard et l’aident dans son office de sacristain. Le soir seulement ils dévalent la colline pour rentrer chez eux, au village d’Alfange.
Cette histoire se passe au Portugal, au XIIIe siècle. Voilà cent ans, ce pays était encore aux mains des Maures, venus d’Afrique, et qu’ils avaient conquis cinq siècles plus tôt. Vers le XIe siècle, Alphonse VI, roi de Castille, reprit partiellement ce territoire et donna ce qui était compris entre le Minho et le Douro à Henri de Bourgogne, lequel prit le nom de Comte de Porto ou de Portugal. Le fils d’Henri, Alphonse-Henriquez, gagna sur les Maures une victoire décisive. Pour des Français, il est intéressant de savoir que la reprise de Lisbonne, en 1147, a été due en très grande partie à l’aide apportée à Alphonse Henriquez par une flotte de Croisés francs qui s’en allaient en Terre Sainte pour la deuxième croisade. Il y avait parmi eux des Charentais, des Bretons, des Normands, et aussi des Anglais, des Rhénans, des Flamands, tout le littoral Nord-Ouest de la chrétienté. Dans cette victoire contre les Maures, les chrétiens furent aidés très spécialement par saint Michel. On dit qu’il parut dans le ciel une aile et une main indiquant les points où la petite armée devait porter l’effort, à la suite de quoi l’Ordre Militaire de l’aile de Saint Michel fut créé pour les Chevaliers qui s’étaient signalés au combat ; il continua à se recruter parmi les plus valeureux.
Nos moinillons étaient fils d’un de ces chevaliers, lequel, très fervent, avait résolu de les donner à Dieu dès l’enfance. Bien sûr, ils ne s’engageront par vœux que plus tard, si telle était leur vocation, mais déjà ils portent le costume dominicain : robe blanche et manteau noir ; leurs cheveux sont taillés en couronne autour d’une tête rasée. Cela ne les empêche pas d’être de braves enfants joyeux. Ils aiment cette vie monastique et sans doute, seraient-ils toujours restés au couvent, s’il ne leur était arrivé une étrange et belle aventure.
Quant à leur maître, le Père Bernard, il est originaire de Morlaàs, à 12 kilomètres de Pau, donc, Béarnais. Ses parents, qui, contrairement au Chevalier d’Alfange, n’avaient nul envie d’en faire un moine, l’avait fiancé très jeune, alors que lui voulait être Dominicain. Un beau jour, il s’enfuit, non dans quelque couvent de France ; ses parents l’y retrouveraient ; non au nord de l’Espagne ; la barrière des Pyrénées n’est pas infranchissable ; mais au lointain Portugal, dans le couvent de Santarem, fondé par un des premiers compagnons de saint Dominique, Suero Gomez.
Santarem… Reconnaissez-vous ce nom ? vous qui avez lu l’histoire des trois bergers de Fatima… Santarem, ville principale du district ou département du même nom, dont Fatima dépend. Notre-Dame du Rosaire n’est pas encore venue à la Cova, mais elle est déjà aimée, et combien ! particulièrement chez les Pères de Santarem. En vrai Dominicain, Père Bernard conduit souvent ses élèves à la chapelle de Notre-Dame du Rosaire. Les Ave montent en guirlandes, en bouquets… Les petits y prennent tellement goût que, souvent, ils reviennent d’eux-mêmes dire ensemble « des dizaines ». L’Espagne, le Portugal, ont une dévotion immense à la Sainte Vierge depuis que saint Jacques a évangélisé cette terre. Marie, (Notre-Dame del Pilar — du pilier), est vraiment le pilier de la foi catholique. Au Portugal, cette dévotion s’est encore fortifiée par le fait que les rois du Portugal, depuis le tout premier, ont choisi la mère de Dieu pour mère de la dynastie et de la nation. Le peuple portugais n’a pas oublié ce contrat, malgré tant de révolutions, et la Sainte Vierge pas davantage ; elle l’a prouvé !
Bref, nos moinillons, imprégnés d’esprit chrétien, catholique et dominicain, nos moinillons, vrais Portugais, vont à Marie de toute leur âme. Trop loin d’Alfange pour y courir déjeuner près de leur mère, avec leurs petits frères et sœurs, ils vont quand même déjeuner en famille, avec leur mère du ciel et leur frère Jésus. A nous, l’idée ne viendrait pas de déjeuner dans une chapelle ; ceci encore est espagnol et portugais.