Après avoir été, à Montmartre, le curé du Moulin-Rouge, je suis devenu, à Saint-François-de-Sales, le curé de l’Hospitalité de Nuit.
C’est là, dans cette maison, née du cœur des catholiques, que chaque soir, lentement, tristement, pas à pas, arrivent les vaincus de la vie, pour trouver un matelas, du pain, et un peu d’oubli…
C’est pourquoi, après les quatorze retraites paroissiales, j’ai voulu que les « clochards » de chez moi aient, eux aussi, leur retraite à eux, où ils entendraient le langage qu’ils comprennent, et des paroles qui leur feraient du bien.
Ce sera mon dernier coup de canon.
J’ai précisément, dans mon clergé, un brave prêtre savoisien qui a beaucoup voyagé en Terre Sainte, et qui avec son cœur et une barbe magnifique, est tout à fait l’homme de la situation.
Le directeur de l’Hospitalité semble un peu inquiet, car, avec les événements, il y a pas mal de « fortes têtes », ce soir-là, dans la maison.
Mon vicaire le rassure.
— Tout ira bien… Je vais leur prêcher la Passion.
— La Passion… ? Vous n’y pensez pas !…
— Mais oui… la Passion…
Et il pousse la porte.
Vision unique d’humanité.

Je voudrais que tous les provinciaux, qui rêvent des grandes villes, puissent voir ici un des envers du décor.
Grande salle rectangulaire. Relents d’habits miteux, de sueur, de tabac — et quel tabac ! — de vinasse et d’alcool…
Là, sur des bancs très bas, sont assis des centaines d’hommes de tout âge, de toute profession, de toute langue….
Ex omni natione quae sub cælo est…
Tignasses mal peignées… barbes hirsutes, vêtements en lambeaux… Tout cela plus ou moins habité…
Le premier que j’aperçois, c’est mon ancien gardien du chantier de Sainte-Odile… brave homme dont j’ai dû me séparer, parce qu’il ne gardait rien du tout.
L’un montre ses semelles percées et il dit sentencieusement : « Je marche sur mes tiges !… » mais une bouteille de « rouge » sort, à moitié, de sa poche.