Et maintenant une histoire ! Posts

Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

Temps de lec­ture : 5 minutes

MÈRE-GRAND. — Mais la plus belle de toutes les fêtes, c’é­tait Calen­do, c’é­tait . J’é­tais la der­nière enfant et j’al­lu­mais la , lou cacho­fio, plus heu­reuse qu’une reine. C’é­tait, cette bûche, quelque vieille souche d’o­li­vier ou de poi­rier. Les gar­çons allaient la cher­cher au ver­ger, mes frères et les gars de labour, car on arrê­tait tôt le tra­vail ce soir-là. On la ren­trait à la mai­son, en silence, la por­tant reli­gieu­se­ment, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, le plus jeune de l’autre. Trois fois on lui fai­sait faire le tour de 1a grande salle, puis on la dépo­sait sur la dalle du foyer. 

Alors, le père s’a­ge­nouillait près du cachò­fiô, il y répan­dait un verre de vin cuit, avec une solen­ni­té reli­gieuse, comme un prêtre à l’au­tel. Comme il me parais­sait grand, mon père, soir-là ! De sa belle voix grave — il me semble l’en­tendre encore — il chantait : 

Allégresse ! Allégresse ! 
Mes beaux enfants, que Dieu vous comble d'allégresse !
Avec Noël tout bien vient.
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine
Et sinon plus nombreux, puissions-nous n'être pas moins.

De quel cœur tous nous reprenions : 

Allégresse ! Allégresse !

Alors, éle­vant son verre, le père invo­quait le feu : 

O feu, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps !
Emplis mes étables et mes bergeries de petits, 
Et ma maison de beaux enfants…

On dres­sait la bûche sur les grands lan­diers relui­sants et avec la flamme d’une chan­delle, moi, la der­nière-née, d’une main mal assu­rée, j’al­lu­mais les brin­dilles. La flamme s’é­lan­çait, joyeuse et claire, timide d’a­bord, léchant à peine la grosse souche obscure. 

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Contes du sonneur de cloches .

Temps de lec­ture : 9 minutesMaman leur avait dit, ce matin-là, avant de sortir :

— Soyez bien sages tous les trois. Mathieu, tu veille­ras sur tes sœurs.

Et Mathieu, tout fier de son impor­tance, avait répondu :

— Oui, maman !

Et il s’a­mu­sait avec les petites filles, Véro­nique qui était sa jumelle (ils avaient dix ans) et Cathe­rine qui n’a­vait pas encore six ans. La maman était allée livrer son tra­vail, une fine bro­de­rie sur laquelle, depuis plu­sieurs semaines, elle usait ses yeux qui avaient tant pleuré.

— Pour­vu que ma cliente me paye, avait sou­pi­ré la pauvre veuve. C’est ce soir et je vou­drais bien faire un gen­til réveillon à mes enfants.

Enfants pauvres regardant les vitrines de Noël

Les enfants aus­si pen­saient à Noël. Mathieu, tout en ali­gnant sur le plan­cher les mor­ceaux de bois qui étaient cen­sé­ment un train, revoyait les beaux éta­lages qu’il avait admi­rés toute cette semaine, dans les rues, en allant à l’é­cole : les dindes mar­brées de truffes, les fruits de toutes les cou­leurs, les col­lines de mar­rons gla­cés, les mon­tagnes de fon­dants et de chocolat.

Véro­nique, elle, s’é­tait plus volon­tiers arrê­tée devant les jou­joux ; les pou­pées, toutes plus jolies les unes que les autres, les ménages, les petites bou­tiques d’é­pi­ce­rie avec leurs tiroirs éti­que­tés et leurs minus­cules balances pour jouer à la mar­chande. La petite fille en rêvait…

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 11 minutes

On sait que Jésus est né dans une étable. Mais dans l’é­table, il n’y avait pas que lui et ses parents, Joseph et Marie. Même le len­de­main matin, après le départ des mages et des ber­gers. Il y avait aus­si des . Le bœuf et l’âne, bien sûr, c’est connu, mais pas ceux-là seule­ment. Si l’on ne parle que d’eux, c’est parce qu’ils se sont bien débrouillés. Où que ce soit, il y a tou­jours des malins qui s’ar­rangent pour être sur la photo.

Le bœuf, par exemple, s’é­tait ins­tal­lé là, il trô­nait. Il avait failli se faire sor­tir, Joseph trou­vait qu’il était de trop. Il esti­mait que ce n’é­tait pas la place d’un balourd comme lui. Il avait com­men­cé à lui don­ner des tapes sur l’ar­rière-train pour le mener dehors. Mais Marie avait dit : « Non, laisse-le ! Au contraire, fais-le appro­cher, il va réchauf­fer le petit, il fait froid. » Et le bœuf se gon­flait d’or­gueil. Presque autant que la gre­nouille de Jean de la Fon­taine. Bon, on dira ce qu’on vou­dra, ce bœuf était utile.

L'âne et le boeuf réchauffent l'Enfant JésusMais Joseph n’a­vait pas remar­qué qu’au fond de l’é­table, il y avait aus­si un âne. Celui-ci, voyant le suc­cès du bœuf, a vou­lu se faire remar­quer. Il s’est mis à chan­ter : « Hi-han, hi-han ! » Marie a dit : « Ah non, fais-le taire, c’est hor­rible ! Mets-le dehors, il va faire peur au petit ! » Mais Joseph a répon­du : « Je pense qu’il vaut mieux le gar­der. On ne sait jamais, on aura peut-être besoin de lui. » C’é­tait bien vu, parce que quelques jours plus tard, ils en ont eu besoin, de cet âne. Ils se sont enfuis avec lui, qui por­tait Marie et le bébé. Les sol­dats du méchant roi Hérode vou­laient le tuer, cet enfant-là ! Joseph a donc fait avan­cer l’âne près du bébé. Une bête en sus, ça fait de la cha­leur en plus. Et du coup, l’âne deve­nait utile, lui aussi.

Donc : le bœuf et l’âne. Mais en réa­li­té il y avait bien d’autres bêtes dans cette étable ! D’a­bord il y avait des chiens. Il y a tou­jours des chiens dans les envi­rons d’une étable. Ils montent la garde. Essayez d’en­trer dans la cour d’une ferme et de vous appro­cher de l’é­table ! Vous ver­rez si les chiens n’ar­rivent pas à toute allure ! Ils aboient, et ils montrent les crocs en gro­gnant ! Mais là, on les avait fait entrer à cause du froid. À condi­tion qu’ils res­tent près de l’en­trée, ils aver­ti­raient en cas de dan­ger. Ils étaient utiles.

Mais il y avait aus­si des ani­maux qui n’é­taient pas utiles, dans cette his­toire. Sim­ple­ment, on n’a­vait pas pen­sé à les chas­ser. Tenez, les chauves-sou­ris, la tête en bas, accro­chées aux poutres tout là-haut. On n’al­lait pas les déran­ger, les réveiller, elles auraient effrayé Marie. Ça aurait réveillé aus­si le bébé. Et il y avait les petites sou­ris, et même quelques gen­tils gros rats. Pas ras­su­rés, ni les unes ni les autres, bien cachés dans leur trou. Mais quand même curieux, le nez fré­mis­sant juste sor­ti, pour savoir : « Qu’est-ce qui se passe ? Pour­quoi tout ce tin­touin, au petit matin, en plein hiver ? » Vous voyez, il y avait beau­coup d’a­ni­maux, dans cette étable. Et même, il y en avait un qui se réveillait juste à l’ins­tant. Il dor­mait tout l’hi­ver, d’ha­bi­tude, bien mus­sé dans la paille. Sous un tas de brin­dilles et de copeaux. Bien au chaud, bien tran­quille. Un petit qui avait drô­le­ment som­meil et qu’on avait réveillé. « On ne peut plus être tran­quille, de nos jours, dans une étable, se disait-il. Serait-ce seule­ment pen­dant trois mal­heu­reux mois ! Je vois bien ce que c’est, ce sont encore ces humains ! Ça fait du bruit, et ça se dis­pute, et ça crie, et ça se bat, et ça pleure, et ça chante ! Pas vrai­ment utile. »

Auteur : la Brière, L. de | Ouvrage : Lectures Catholiques .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Il y a dix-sept ans de cela. 

La neige, à la même date, éten­dait au loin son morne lin­ceul, par­se­mé de taches écar­lates, et le canon ton­nait son glas funèbre ; qui rem­pla­çait dans les cam­pagnes nor­mandes le joyeux carillon de .

Les Prus­siens sont à Rouen, et, sur les pla­teaux qui bordent la val­lée de la Seine, les popu­la­tion anxieuses attendent, la rage au cœur, l’in­va­sion tout prochaine . 

La nuit tombe, elle enve­loppe le bourg de B… , qui confine à la forêt de La Londe, et qu’on ne dis­tingue plus, sous son blanc man­teau de fri­mas. Les lumières brillent bien encore à toutes les fenêtres, mais ce n’est pas pour éclai­rer le réveillon tra­di­tion­nel ; et l’oie grasse ne se dore pas au tour­ne­broche oublié. Dans chaque mai­son, un groupe de jeunes sol­dats, hâves et fati­gués, se chauffe à la flamme hos­pi­ta­lière. On n’ose se repo­ser, par crainte d’une sur­prise. Quel est leur régi­ment ? On le démê­le­rait avec peine, car leurs vête­ments déchi­que­tés ont per­du forme et cou­leur, leurs savates trouées s’at­tachent avec des ficelles, et plu­sieurs se sont fabri­qué des pan­ta­lons dans un mor­ceau de cou­ver­ture. Ces enfants, impro­vi­sés sol­dats, qu’une rude et rapide expé­rience, la misère et la bataille, les nuits gla­cées et les jours sans pain, ont bron­zé pré­ma­tu­ré­ment, ce sont des mobiles, que l’es­poir a aban­don­nés, mais non pas le sen­ti­ment du devoir à rem­plir et de l’hon­neur à sauver. 

Leurs offi­ciers veillent comme eux, avec le pres­sen­ti­ment d’une lutte nou­velle. La cui­sine du pres­by­tère les abrite. Ils s’en­tre­tiennent, des com­bats de la veille, de ceux qui vont suivre. Les sou­ve­nirs de la famille absente se mêlent aux images du pré­sent, s’é­changent fami­liers et sou­riants, devant la mort qu’on sent, planer. 

Sou­dain, on frappe à la porte. 

— Entrez ! crie le capitaine. 

Un mobile se pré­sente. Sur son col­let se dis­tingue encore un galon qua­drillé : c’est le clai­ron, un petit brave, intel­li­gent et délu­ré, qui a trou­vé, dans la bagarre, le moyen de s’as­ti­quer à peu près convenablement. 

— Vous m’a­vez fait deman­der, mon capitaine ? 

— Oui. Tu m’é­tonnes, mon gar­çon. Com­ment, tu désertes, à l’heure où nous sommes visi­ble­ment mena­cés ? Tu as accep­té, ce matin, sans me consul­ter, je ne sais quel emploi de copiste, dans un sem­blant de bureau, à l’é­tat-major ! J’at­ten­dais mieux de toi ! 

— Mon capi­taine, je n’ai fait qu’o­béir. On a su que j’é­tais, avant la ,élève de l’É­cole des Arts et Métiers. Vous avez tou­jours par­lé favo­ra­ble­ment de moi. On a cru que je serais utile… pour les plans. 

Les offi­ciers se déri­dèrent irré­vé­ren­cieu­se­ment, en appre­nant qu’il exis­tait des plans de bataille. Le clai­ron décon­te­nan­cé tour­nait dans ses mains son reste de képi. 

— Vous me connais­sez, mon capi­taine, et vous savez bien que la chose ne me va guère. J’ai­me­rais bien mieux tra­vailler avec les cama­rades de la compagnie !

— C’est vrai, tu es un gar­çon de cœur ! Au fond, je ne peux t’en vou­loir ! Seule­ment, puisque tu quittes la com­pa­gnie, et que nous ne savons pas si nous nous rever­rons, j’ai vou­lu te dire adieu. Bon­soir. Va copier tes plans de vic­toires. Tu auras plus chaud devant ta table que nous dans les bois !

— Oh ! pour cela non, mon capi­taine. Nous n’a­vons pas de feu au bureau, et j’y gèle !

— Achète une cein­ture de fla­nelle et un gilet de tri­cot : il y en a encore chez l’épicier.

— Ache­ter, mon capi­taine, c’est impos­sible. J’a­vais une petite somme, au départ : je n’ai plus un sou. 

— Tiens, voi­là un louis ; cours chez l’é­pi­cier ; on n’y dort pro­ba­ble­ment guère. Adieu, je te regrette ! 

Le clai­ron hési­ta quelques ins­tants, puis empo­cha l’argent. 

— Mer­ci de cette avance, mon capitaine. 

Il ser­ra la main qu’on lui ten­dait, salua, et sortit. 

Aux pre­mières lueurs de Noël, le cré­pi­te­ment de la mitraille réveille sou­dain ceux qui s’é­taient assou­pis sur leur chaise. Les Prus­siens débou­chaient en masse, par toutes les routes de la forêt. Les grand’­gardes se repliaient en fai­sant le coup de feu. 

En un clin d’œil, la com­pa­gnie est grou­pée sur la place du vil­lage, autour du capi­taine. Un cava­lier blanc d’é­cume le rejoint et lui remet un ordre, écrit sur la page déchi­rée d’un carnet : 

Auteur : Pourrat, Henri .

Temps de lec­ture : 13 minutes

LE CONTE DU JEUDI D’HENRI POURRAT

Il y avait une fois un petit qui s’est trou­vé tout seul au monde. Aus­si seul qu’on peut l’être. C’é­tait la qui avait pas­sé ou bien la peste autour de lui, plus per­sonne. Le vil­lage net­toyé. Il est par­ti devant soi à l’a­ven­ture, sur les champs, sur le causse le pays sans che­min, où il n’y a pas un arbre, pas une ombre, pas une âme.

Un vieil homme le ren­con­tra au soir du troi­sième jour, le regar­da, le ques­tion­na, haus­sa l’é­paule, et l’emmena chez lui pour gar­der les moutons.

Chez lui ! Ce n’é­tait pas un châ­teau, ce chez lui : au milieu de la pier­raille une cahute de pierres, voû­tée comme la ber­ge­rie atte­nante, cou­verte aus­si de pierres. Le pain noir qu’en y man­geait, avec de fois à autre quelque écuel­lée de fèves ou de len­tilles, était dur comme le caillou. — Plus il est ras­sis, moins on mange. Et le vieux n’a­vait garde d’ou­blier le proverbe :

Ne ras­sa­sie pas de pain ton valet :
Du beurre il te demanderait.

Le petit était d’une famille rus­tique, mais d’une de ces familles de cam­pagne où l’on sait se faire hon­neur. Sa mère l’a­vait voué à la Sainte-Vierge. — Cela va jus­qu’à la pre­mière com­mu­nion : ce jour-là, ces enfants déposent leur vœu : désor­mais ce n’est plus de bleu qu’on les habille.

Mais les habits bleus du petit sous les pluies, la pous­sière, sont deve­nus cou­leur des choses ; et pas ques­tion de pre­mière com­mu­nion. Il vivait chez ce vieux comme il eût pu faire chez le blai­reau. Jamais un mot pour rire, ou un mot d’a­mi­tié, ou un mot pour se sou­ve­nir de Dieu. En fait de béné­di­ci­té, le vieux n’au­rait réci­té que celui du meu­nier de Pomponne :

Béné­di­ci­té,
La soupe est trempée !
Mon Dieu nous sommes assez.
Lais­sez les autres passer.