Un vieil ermite priait dans sa cabane, quand entra un petit garçon. Gêné d’avoir dérangé le vieillard dans sa prière, l’enfant lui tendit une corbeille de fruits et partit en courant, non sans lui avoir transmis les salutations de sa mère.
« Hé, petit ! pourquoi pars-tu si vite ? Comment t’appelles-tu ?
— Joao (Jean en français).
— Et comment s’appelle ta maman ?
— Thérésa.
— Où habitez-vous ?
— Dans la rue Verte, vous savez, la boutique de fruits… c’est à nous.
— Ah ! Oui, fit l’ermite, subitement pensif… » Il demeura silencieux quelques instants et reprit : « Tu as huit ans maintenant, n’est-ce pas ?… Quand tu es né, le 8 mars 1495, toutes les cloches de l’église Notre-Dame se sont mises à sonner. Au même moment, une lumière s’est montrée au-dessus de votre maison, à la rue Verte… Oui, petit, fais bien tout ce que le bon Dieu demandera de toi, car Il te réserve de grandes choses.
— Maman le dit aussi, M. l’Ermite ; elle vous demande de prier pour nous. À bientôt, Père ! Je vous apporterai encore des fruits un autre jour !
— À bientôt petit ! Et n’oublie jamais ce que je t’ai dit ! »
Joao descend gaîment de l’ermitage. Un moment il s’arrête sur le pont de bois qui enjambe la rivière Canha et s’intéresse aux navires en papier que quelques gamins lancent sur l’eau : Chanceux petits bateaux qui vont jusqu’au grand Tage et peut-être ensuite jusqu’aux Indes ! « Moi aussi, j’irai aux Indes sur un bateau plus grand et j’en reviendrai avec un grand baril plein d’or comme Manel le rémouleur. »
Joao arrive chez lui juste à temps pour aider son père à décharger son mulet des lourds paniers d’olives qu’il transportait. Ce faisant, il raconte son entrevue avec l’ermite et ses projets d’avenir :
« J’irai loin, loin… L’oncle Alfonso m’a dit un jour que toi aussi, tu voulais partir loin, loin, avec Vasco de Gama.
— Ça se peut, Joao, mais en attendant je suis toujours là à transporter fruits et olives.
— Vamos que a sopa ma mesa ! (la soupe est servie !) cria la mère. Allons, vite ! »
Le repas fut interrompu par l’entrée d’un grand jeune homme vêtu de noir, qui demandait l’hospitalité. Une nouvelle assiette fut mise sur la table et l’étranger s’empressa de faire honneur à la soupe au lard et au bon vin rouge de Montemor-o-Novo.
Ce soir-là, Joao se coucha tard. Longuement l’étranger avait parlé du long voyage qu’il avait fait ; du parcours plus long encore qu’il lui restait à faire pour gagner Salamanque en Espagne. Il avait décrit les belles églises du pays, les hôpitaux. Quel mirage pour le petit rêveur de Portugais. Une cinquantaine d’années plus tard, la petite Thérèse d’Avila partira avec son frère Rodrigue pour le pays des Maures, dans l’espoir d’y subir le martyre ; le petit Jean Ciudad décide de suivre l’étranger pour voir les églises de Madrid. Ensuite, il reviendra à la maison ! Plus tendrement que de coutume, il embrasse sa mère avant de se coucher, et de grand matin il rejoint l’inconnu sur la route.
Rude voyage ! L’homme et l’enfant couchent sur la dure, mangent rarement à leur faim. À chaque étape, ils tâchent de gagner quelques centavos. Ainsi font les routiers, chantant leurs ballades en s’accompagnant sur la guitare.
Ils marchent longtemps, longtemps… Ils passent la frontière espagnole et arrivent à la petite ville d’Oropesa. Joao ne peut aller plus loin. Ses soixante lieues de marche (249 kilomètres) l’ont épuisé. Il est si las, si las, qu’il en a oublié jusqu’au nom de sa petite ville. Un chef de bergers le recueille, tandis que l’étranger poursuit sa route…