XVIII
Colette ! Colette ! si tu savais ! Papa m’emmène, je pars en avion pour Jérusalem.
Et tu ne devinerais jamais qui vient encore ?
— Pas les petits ?
— Non, maman ! Tu entends bien, maman ! C’est à n’y pas croire. Pour une fois, elle ne restera pas à garder la maison, tout en guettant les nuages, l’orage, la pluie et tout ce qu’elle peut bien inventer pour se tourmenter. Papa l’emmène, l’Oiseau est en plein rendement. Nous partons tous les trois. Dis un peu si c’est chic !
Pierre, dans son enthousiasme, oublie que d’ici des semaines encore, Colette sera privée de mouvement et ne remarque pas une lueur de tristesse dans, les jolis yeux de sa sœur.
Mais Colette est vaillante. Elle dit gaiement :
— Oh ! que je suis contente ! Vous nous rapporterez des cartes postales pour les petits.
— Au moins cent ! Et Pierre s’enfuit à toutes jambes vers le hangar.
Ce brusque départ, motivé par une affaire urgente du père de famille, fut pendant deux jours l’objet de toutes les conversations.
Nicole et Bruno n’ont pas cessé de se disputer. L’un veut que Jérusalem soit au nord, l’autre au sud. Les explications de Geneviève et de Colette n’arrivent pas à mettre le calme, et quand petit Pierre, triomphant, atterrit au retour, il est assailli d’une telle quantité de questions, qu’il déclare :
— Taisez-vous mais taisez-vous donc ! Vous serez cause que je vais faire un méli-mélo formidable, et je ne vous raconterai rien du tout.
— Dis au moins si tu as rapporté des cartes postales.
— Vous les verrez après dîner. Nous sommes morts de faim.
Après dîner ! C’est bien long d’attendre jusque-là. Enfin, voici la petite table installée près du divan de Colette, et puis la carte ouverte, et puis le gros paquet de cartes postales. Ce qu’on va s’amuser ! Nicole en trépigne.
— Voyons, presse-toi un peu, Pierre. Alors vous êtes partis d’ici, pour aller où ?
— Vers le sud. L’une des premières villes survolées, c’est Tyr.
— C’est moi qu’ai gagné, hurle Nicole. C’est au sud !
Pierre ne comprend rien à cette explosion.
— Mais bien sûr, la ville de Tyr est au sud, où voudrais-tu qu’elle soit ? C’est joli, si tu savais, voilà la photo : une ville qui s’étage sur les contreforts du Liban et se baigne dans la mer. Et puis là, au beau milieu des flots, sur un rocher tout seul, ce vieux château en ruines avec sa fière allure.
Maman précise :
— C’est un ancien château bâti par les Croisés, et vous n’imaginez pas le pittoresque de ce site.
— De Tyr, nous avons encore un peu longé la mer et puis, survolant le Liban, ton père, Colette, a piqué vers la vallée du Jourdain. À ce moment, voilà Pierre qui m’exhibe une carte et qui me confie :
— À nous deux, maman. Où sommes-nous par rapport à l’Histoire Sainte ?
Nous consultons la carte, et je constate que nous atteignons les limites du royaume d’Israël. Mais je veux que Pierre lui-même vous raconte la suite.
— Maman venait donc de nommer le royaume d’Israël. Autant me parler de l’empire de Chine ! Je n’avais plus la moindre idée de ce dont il s’agissait.
Maman essayait de réveiller mes souvenirs :
— Voyons, tu sais pourtant qu’à la mort de Salomon, le Peuple de Dieu se divisa.
— Peut-être ! En tous cas, était-ce la joie de « rouler dans l’air », impossible de rien me rappeler.
Alors la pauvre maman m’a tout redit, comme quand j’étais petit. Elle m’a expliqué qu’à la mort de Salomon, en punition de ses fautes, dix tribus d’Israël se révoltèrent contre son fils Roboam, et prirent pour roi l’intendant de Salomon, Jéroboam, tandis que deux tribus seulement demeuraient au royaume de Juda, avec Jérusalem et son Temple. Et ce qui devenait passionnant, c’est que nous commencions à survoler tout le pays où s’établit en grande partie ce royaume d’Israël. Nous allions le traverser dans toute sa longueur jusqu’à Béthel, que nous survolerions juste avant d’arriver à Jéricho.