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Ouvrage : L'Étoile noëliste

(Conte pour le temps de Noël)

☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Dans une des plus anciennes rues de Bruges-la-Morte, vivait depuis plus d’un demi-siècle Mar­tha la Modeleuse. 

On eût dit qu’elle avait l’âge de son logis, tant elle avait l’air vieille. On ne l’entendait jamais rire ni même se par­ler à elle-même tout haut, comme les gens qui vivent seuls en ont l’ha­bi­tude. Mais on la voyait tou­jours pen­chée sur son modeste éta­bli, façon­nant de ses mains res­tées souples de char­mants bibe­lots de cire.

La chambre où l’ouvrière tra­vaillait était bien humble, bien étroite, presque pauvre. Cepen­dant, toute la lumière du jour sem­blait s’y répandre. Dès qu’il fai­sait beau, des clar­tés mul­ti­co­lores ruis­se­laient dans la pièce, grâce à la vaste ogive, fer­mée seule­ment les jours de mau­vais temps par un très curieux vitrail.

Sur une petite éta­gère accro­chée au mur, étaient ran­gés tous les bibe­lots au fur et à mesure qu’ils étaient achevés.

Auprès des saints Michel domp­tant de for­mi­dables dra­gons, se dres­saient de minces figu­rines dra­pées de mous­se­line et de tulle.

Elles ser­vaient à déco­rer les gâteaux et les pièces mon­tées ser­vis aux repas de pre­mière Com­mu­nion, ain­si qu’aux dîners de noces du pays, et repré­sen­taient, tan­tôt des com­mu­niantes, tan­tôt de frêles petites mariées.

Il y avait aus­si sur l’étagère des che­mins de croix minus­cules et naïfs, qui ser­vaient à gar­nir les repo­soirs des jours de Fête-Dieu.

Enfin, quelques pou­pées de cire sou­te­nues par un pied de bois se tenaient sou­riantes et droites en atten­dant les acheteurs.

Mar­tha la Mode­leuse n’était sans doute qu’une simple ouvrière, sans pré­ten­tion et sans culture. Mais ses bibe­lots avaient un cachet pri­mi­tif et sin­cère qui révé­lait vrai­ment un sen­ti­ment natu­rel, inné, d’artiste.

On sen­tait que cette femme avait beau­coup souf­fert, car elle réus­sis­sait davan­tage les figures tou­chantes des saintes dou­lou­reuses, et don­nait au visage de ses Vierges tou­jours le même air éplo­ré. Un pré­lat qui était venu pour admi­rer son tra­vail et lui faire une com­mande pour une nou­velle cha­pelle qu’il venait d’inaugurer, lui en avait fait dou­ce­ment l’observation :

— Même au point de vue de la réa­li­té, votre petite sta­tue de Marie tenant Jésus n’est pas tout à fait réelle. Vous ne l’avez pas fait sou­rire à son Fils.

Marthe avait répon­du ces mots :

— Mon­sei­gneur, toutes les mères ont dans le cœur une angoisse pro­fonde en tenant leur enfant. Elles ne peuvent pas faire autre chose que de pleurer.……

Ouvrage : L'Étoile noëliste | Auteur : Vachon

VOILÀ près de deux mois que, four­bu de fatigue, les yeux encore pleins de visions de guerre, de spec­tacles affreux, il a débar­qué dans la grande ville de Lyon. 

Ce départ dans la nuit, ce wagon à bes­tiaux, où les Boches les avaient par­qués, lui et tant d’autres de Grand­pré, les coups de crosse, les injures en alle­mand, et cette angoisse : « Par­ti­ra-t-on ? Ne par­ti­ra-t-on pas ? » Quel cauchemar !

De la grande famille dont il fai­sait par­tie : le père, la mère, les six enfants, ils ne res­taient que deux, lui, le petit, et la maman. Ah ! les ban­dits, tous les autres, ils les avaient tués !… 

Tué le père, Louis Aubray, pris comme otage et qui, Fran­çais avant tout, avait refu­sé de décla­rer la cachette où se trou­vait l’or du vil­lage ; tués les deux aînés là-bas sur le front, petits fan­tas­sins ano­nymes tom­bés on ne sait où ; tuées ses deux sœurs, égor­gées par les rustres parce qu’elles ne vou­laient pas tra­vailler pour eux ; tuée la ben­ja­mine, sa jumelle, pauvre petite déjà bien frêle qui n’a­vait pu résis­ter au régime de ter­reur et de res­tric­tion ; tuée enfin la grande vieille mai­son, sa mai­son. Glo­rieu­se­ment bles­sée de tous côtés, elle résis­tait encore, mais, un jour, un obus assas­sin était venu l’at­teindre en plein cœur, et tout avait croulé.

Maison détruite par la guerre

Et puis, un soir d’au­tomne, la seule qui lui res­tait de toute la famille, celle qui disait avec une pro­fonde aver­sion en par­lant des Alle­mands, en voyant pas­ser des prisonniers :

— Jean, sou­viens-toi. Ce sont ceux-là qui ont égor­gé ceux de chez nous ; ce sont ceux-là qui ont brû­lé nos récoltes, abat­tu nos grands arbres… Ah ! plus tard, quand tu seras grand, sou­viens-toi !… Sou­viens-toi !… Tu dois être le ven­geur de notre mai­son assas­si­née ; cette mère que la dou­leur avait ren­due avide de ven­geance, celle-là aus­si était morte. La lame avait usé le four­reau ; les cha­grins, loin de l’a­battre, avaient exas­pé­ré sa flamme patrio­tique, elle était cer­taine de la défaite des Boches, et ardem­ment elle sou­hai­tait voir le jour de la victoire. 

Hélas ! les pri­va­tions endu­rées avaient ache­vé cette consti­tu­tion déli­cate, et, un beau jour, elle était allée rejoindre les autres là-haut, le lais­sant seul sur­vi­vant des Aubray. 

Seul, il était donc seul, à qua­torze ans, sans sou­tien, sans amis, dans un pays qui n’é­tait pas le sien, per­du dans la grande cité. Il n’a­vait donc per­sonne à qui confier sa peine… Mais si, il a encore quel­qu’un, quel­qu’un de chez lui, quel­qu’un qui per­son­ni­fie la vieille mai­son écrou­lée, et de sa poche, avec véné­ra­tion, il sort une sta­tuette de la Vierge. 

Il revoit l’emplacement de cette sta­tue. Pla­cée dans une niche au-des­sus de la porte d’en­trée, elle sem­blait dire au passant :

Ouvrage : L'Étoile noëliste | Auteur : Dourliac, Arthur

JE pris le livre et l’exa­mi­nai curieu­se­ment. C’é­tait un Télé­maque un peu fati­gué, mais en bon état cepen­dant ; il était orné de nom­breuses gra­vures et por­tait les armes royales.

Com­ment ce volume rare et curieux entre tous, qui eût fait la joie d’un biblio­phile, se trou­vait-il entre les mains d’un obs­cur pay­san, cer­tai­ne­ment inca­pable d’en appré­cier la valeur ? 

Sur le pre­mier feuillet, je lus, non sans émo­tion, cette réponse à ma question : 

« À Louis Simon, en remer­cie­ment de son œuf de Pâques. Louis DAUPHIN. »
Mai 1789.

Et au-des­sus, tra­cée au crayon, d’une écri­ture à peine lisible, la même phrase : 

« À Louis Simon, en remer­cie­ment de son œuf de Pâques. Louis DAUPHIN. »
Mai 1794.

Les noms des deux fils de Louis XVI, acco­lés ain­si à ce nom de Simon, l’é­clai­raient d’un éclat sinistre. Le vieux fer­mier était-il donc parent du bour­reau de l’in­for­tu­né Louis XVI ? 

— C’est une his­toire du temps où j’é­tais petit gar­çon, Mon­sieur, me dit sim­ple­ment le brave homme. Tel que vous me voyez, j’ai, bien cer­tai­ne­ment, eu les der­niers sou­rires des deux dauphins. 

Voi­ci comment :

I

Pour lors, c’é­tait un peu avant l’ou­ver­ture des États géné­raux, un dimanche de Pâques. Je jouais devant la porte de la ferme, où ma bonne mère venait d’ap­por­ter une cor­beille de beaux œufs rouges, jaunes et bleus, qui fai­saient l’ad­mi­ra­tion des gamins, lors­qu’en levant la tête, je vis devant moi une belle dame, à l’air impo­sant, accom­pa­gnant une petite voi­ture pous­sée par un grand laquais galon­né, dans laquelle repo­sait un enfant de mon âge, mais si faible, si ché­tif, avec son visage pâle et son dos voû­té, que des larmes en venaient aux yeux. 

— Pour­riez-vous me don­ner une tasse de lait ? deman­da la belle dame à ma mère qui se confon­dait en révérences. 

— Sans doute, Madame la reine. Vite, Loui­sot, des chaises, des bols. 

Et maman cou­rait tout affairée. 

Moi, je res­tai là, bouche bée, regar­dant, sai­si, la reine de France et de Navarre en simple robe de linon et en fichu croi­sé, appuyant son beau regard triste sur ce pauvre enfant royal condam­né, hélas ! comme la monarchie.

Elle était venue sans suite, sans escorte, s’é­chap­pant de ce grand Ver­sailles, dont l’é­ti­quette lui pesait si lour­de­ment, pour embras­ser libre­ment son fils ins­tal­lé à Meu­don, dans l’es­poir que l’air salubre réta­bli­rait sa san­té débile.

Et lui, rani­mé par cette chère pré­sence et aus­si par le soleil prin­ta­nier, qui met­tait une poudre d’or aux beaux che­veux de Marie-Antoi­nette, il sou­riait à sa mère qu’il allait quit­ter, au ciel bleu qu’il allait bien­tôt habi­ter, et même à moi, gamin insou­ciant, dont il enviait peut-être tout bas les joues roses et les membres robustes. 

— Com­ment t’ap­pelles-tu ? me demanda-t-il. 

— Louis.

— Comme moi et mon petit frère le dau­phin… non, le duc de Nor­man­die, reprit-il vive­ment en voyant la reine por­ter son mou­choir à ses yeux. 

Il feuille­tait machi­na­le­ment un volume. 

— Sais-tu lire ? 

Ouvrage : L'Étoile noëliste | Auteur : Belcayre, Jean de

Conte pour l’Épiphanie

DE son palais aux mul­tiples colonnes de por­phyre, aux vastes toits plats qui for­maient des ter­rasses, aux salles à fresques ornées de per­son­nages, Gas­pard, le Roi Mage, venait de partir. 

Mon­té sur un cha­meau riche­ment capa­ra­çon­né, escor­té des esclaves aux torses de bronze, Gas­pard s’en allait, de com­pa­gnie avec Mel­chior et Bal­tha­sar [1], offrir ses hom­mages au nou­veau Roi dont une mer­veilleuse étoile leur avait révé­lé la venue… 

Mais voi­ci que, à quelque dis­tance de l’im­po­sant cor­tège, une forme gra­cile se glisse… C’est Ninus, le fils de Gas­pard ; il vient d’é­chap­per à la sur­veillance de la reine Maké­ri, sa mère, toute trou­blée par les récents adieux de son époux. 

Il marche, l’en­fant royal, bien déci­dé à suivre son père, car il a sur­pris le motif du voyage des trois Mages et il a fer­me­ment réso­lu d’al­ler ado­rer, lui aus­si, ce nou­veau prince… ce prince pour lequel une étoile vient de s’al­lu­mer au ciel !… 

Mais, avant de se mettre en route, Ninus s’é­tait deman­dé quel pré­sent il pour­rait appor­ter au futur Maître du monde… Ses jouets de terre cuite ou d’i­voire eussent été trop lourds… son arc et ses flèches trop encom­brants… puis, de tout ceci, il pos­sé­dait une abon­dance et, par suite, n’y tenait guère… Par contre, il aimait tant la mignonne hiron­delle qu’il avait éle­vée : or, à se pri­ver de ce que l’on aime, le mérite est grand ; Ninus le com­pre­nait déjà, aus­si empor­tait-il son hiron­delle pour l’of­frir au Roi Jésus. Une hiron­delle, quel léger far­deau ! Son petit maître ne sen­tait pas même son poids lors­qu’elle se posait sur son épaule. 

Il mar­chait tou­jours, le roi­te­let ; le soir était venu ; il mar­chait main­te­nant à tra­vers la nuit lim­pide, accro­chant par­fois sa longue tunique aux buis­sons de nopals et de juju­biers, frô­lant au pas­sage les tiges des­sé­chées des aspho­dèles ; il mar­chait, ses yeux fixés vers le sable pour y cher­cher là trace des pas de la cara­vane, et ses petits pieds, déjà bien las, s’en­fon­çaient dans ce sable que les rayons de la lune ren­daient rose. 

Au jour, la cara­vane fit halte, et lorsque l’en­fant la rejoi­gnit, il se ter­ra, se dis­si­mu­la afin de pas­ser inaperçu. 

— Encore, pen­sait-il, je ne puis me mon­trer. Nous ne sommes pas assez éloi­gnés du palais : mon père m’y ferait reconduire. 

Et Ninus, après avoir offert à son hiron­delle des grains de séne­vé dont il avait eu le soin d’emporter une petite pro­vi­sion, se conten­ta pour lui de quelques figues sèches. 

L'enfant se met à la suite des rois mages avec son cadeau pour Jésus.
Le roi­te­let s’a­van­çait der­rière la caravane.

Cepen­dant, après plu­sieurs heures de repos, les cha­meaux se remirent en marche ; l’en­fant dut repar­tir aus­si, mais, exté­nué, il lais­sait gran­dir la dis­tance entre lui et la cara­vane ; il se traî­nait, le roi­te­let, entre les troncs rugueux des pal­miers dont les feuilles, secouées par un simoun aigre, s’a­gi­taient, tels de gigan­tesques éven­tails. Mal­gré cela, un brillant soleil jetait des flèches d’or sur l’herbe rase de l’oa­sis que les rois et leur suite venaient de quitter… 

Puis, plus loin encore, les jambes rom­pues, le gosier des­sé­ché, l’en­fant pleu­ra en pen­sant que ses forces ne lui per­met­traient pas d’at­teindre le lieu de la deuxième étape. 

Cette étape, Ninus l’at­tei­gnit cepen­dant, mais bien des heures après la cara­vane, et il était si épui­sé qu’il n’eut pas la force de faire les cinq cents pas qui le sépa­raient de son père ; il avi­sa près de lui une source, il s’y désal­té­ra avec son hiron­delle et man­gea quelques fruits. 

— Je vais dor­mir une heure, pen­sa-t-il, en s’é­ten­dant avec délices sur l’herbe fraiche qui entou­rait la source et lorsque je serai repo­sé, j’o­se­rai me pré­sen­ter devant mon père. 

  1. [1] Noms des deux autres Rois Mages.
Ouvrage : L'Étoile noëliste | Auteur : Valdor

DANS un vil­lage d’O­rient où ils étaient nés et où ils avaient tou­jours vécu, per­sonne cer­tai­ne­ment ne connais­sait, mieux les étoiles que le petit ber­ger Rhaël et sa sœur Noé­mie. Ils les avaient si sou­vent contem­plées pen­dant les belles nuits chaudes, alors qu’ils cou­chaient en plein air, à côté de leurs troupeaux.

Rhaël et Noé­mie étaient pauvres et orphe­lins, mais ils n’é­taient pas mal­heu­reux, car ils s’ai­maient ten­dre­ment, et savaient se conten­ter de leur très humble position. 

Ils avaient de petites âmes très poé­tiques et un vif sen­ti­ment du beau et de l’i­déal ; c’est pour­quoi les étoiles du ciel les atti­raient par leur clar­té et leur mystère.

Ils les appe­laient par leurs noms, savaient l’heure d’a­près leur posi­tion sur l’ho­ri­zon, et s’en ser­vaient très bien pour se guider. 

Aus­si, quel ne fut, pas leur éton­ne­ment, une nuit, d’en aper­ce­voir une nou­velle qu’ils n’a­vaient encore jamais vue !

Elle était petite, mais très brillante et parais­sait lointaine.

Le len­de­main, l’é­toile était un peu plus grosse et parais­sait plus près, et il en fut de même les nuits sui­vantes : l’astre gran­dis­sait, et se rap­pro­chait visiblement. 

Nuit étoilé - Noël, l'étoile des mages

Les petits ber­gers étaient ravis d’é­ton­ne­ment et d’ad­mi­ra­tion et for­maient mille conjec­tures concer­nant ce phé­no­mène ; mais ils n’en par­laient à per­sonne ; d’a­bord, ils vivaient presque tou­jours dans la soli­tude, éloi­gnés de toute habi­ta­tion, et puis ils étaient peu com­mu­ni­ca­tifs, se suf­fi­sant par­fai­te­ment l’un à l’autre.

Main­te­nant, l’é­toile occu­pait toutes leurs pen­sées ; ils, atten­daient la nuit avec impa­tience pour voir. Elle brillait d’un éclat, incom­pa­rable, jetant mille feux comme une escar­boucle et mon­tant chaque soir un peu plus haut dans le ciel.