Étiquette : <span>Patriotisme</span>

Auteur : Vachon | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 9 minutes

VOILÀ près de deux mois que, four­bu de fatigue, les yeux encore pleins de visions de guerre, de spec­tacles affreux, il a débar­qué dans la grande ville de Lyon. 

Ce départ dans la nuit, ce wagon à bes­tiaux, où les Boches les avaient par­qués, lui et tant d’autres de Grand­pré, les coups de crosse, les injures en alle­mand, et cette angoisse : « Par­ti­ra-t-on ? Ne par­ti­ra-t-on pas ? » Quel cauchemar !

De la grande famille dont il fai­sait par­tie : le père, la , les six enfants, ils ne res­taient que deux, lui, le petit, et la . Ah ! les ban­dits, tous les autres, ils les avaient tués !… 

Tué le père, Louis Aubray, pris comme otage et qui, Fran­çais avant tout, avait refu­sé de décla­rer la cachette où se trou­vait l’or du vil­lage ; tués les deux aînés là-bas sur le front, petits fan­tas­sins ano­nymes tom­bés on ne sait où ; tuées ses deux sœurs, égor­gées par les rustres parce qu’elles ne vou­laient pas tra­vailler pour eux ; tuée la ben­ja­mine, sa jumelle, pauvre petite déjà bien frêle qui n’a­vait pu résis­ter au régime de ter­reur et de res­tric­tion ; tuée enfin la grande vieille mai­son, sa mai­son. Glo­rieu­se­ment bles­sée de tous côtés, elle résis­tait encore, mais, un jour, un obus assas­sin était venu l’at­teindre en plein cœur, et tout avait croulé.

Maison détruite par la guerre

Et puis, un soir d’au­tomne, la seule qui lui res­tait de toute la famille, celle qui disait avec une pro­fonde aver­sion en par­lant des Alle­mands, en voyant pas­ser des prisonniers :

— Jean, sou­viens-toi. Ce sont ceux-là qui ont égor­gé ceux de chez nous ; ce sont ceux-là qui ont brû­lé nos récoltes, abat­tu nos grands arbres… Ah ! plus tard, quand tu seras grand, sou­viens-toi !… Sou­viens-toi !… Tu dois être le ven­geur de notre mai­son assas­si­née ; cette mère que la dou­leur avait ren­due avide de ven­geance, celle-là aus­si était morte. La lame avait usé le four­reau ; les cha­grins, loin de l’a­battre, avaient exas­pé­ré sa flamme patrio­tique, elle était cer­taine de la défaite des Boches, et ardem­ment elle sou­hai­tait voir le jour de la victoire. 

Hélas ! les pri­va­tions endu­rées avaient ache­vé cette consti­tu­tion déli­cate, et, un beau jour, elle était allée rejoindre les autres là-haut, le lais­sant seul sur­vi­vant des Aubray. 

Seul, il était donc seul, à qua­torze ans, sans sou­tien, sans amis, dans un pays qui n’é­tait pas le sien, per­du dans la grande cité. Il n’a­vait donc per­sonne à qui confier sa peine… Mais si, il a encore quel­qu’un, quel­qu’un de chez lui, quel­qu’un qui per­son­ni­fie la vieille mai­son écrou­lée, et de sa poche, avec véné­ra­tion, il sort une sta­tuette de la Vierge. 

Il revoit l’emplacement de cette sta­tue. Pla­cée dans une niche au-des­sus de la porte d’en­trée, elle sem­blait dire au passant :

| Ouvrage : Le deuxième livre d'André .

Temps de lec­ture : 10 minutes

I. Le fait sui­vant s’est pas­sé non loin d’Or­léans, pen­dant la guerre fran­co-alle­mande. Le pays aux envi­rons d’Or­léans, était cou­vert de hordes prus­siennes, et le 24 novembre 1870, un régi­ment de hulans[1] , avant-garde de l’ar­mée du prince Fré­dé­ric-Charles, arri­vait à B***. Le maire du bourg deman­da un homme de bonne volon­té : il dési­rait lui confier la mis­sion de pré­ve­nir sans retard l’ar­mée fran­çaise can­ton­née à Bel­le­garde, sur la lisière de la forêt d’Or­léans. Mais les Alle­mands étaient aux aguets, ils avaient cer­né le vil­lage et ne lais­saient sor­tir personne. 

C’est alors qu’un brave et gen­til gar­çon de douze ans, à l’œil vif, au pied alerte, vint trou­ver le maire et s’offrit. 

« — C’est toi, Alexandre, qui veux te char­ger de pré­ve­nir l’ar­mée française ? 

— Oui, Mon­sieur le Maire. 

— Te sens-tu le cœur solide ? 

— Comme un roc. 

— Tu es audacieux ? 

— Comme un Parisien. 

— Eh bien ! dit le maire en l’embrassant, va à Bel­le­garde, tu deman­de­ras le géné­ral Billot et tu lui don­ne­ras ce petit cahier de papier à ciga­rettes. Il contient tons les ren­sei­gne­ments qui peuvent per­mettre à l’ar­mée fran­çaise de sur­prendre l’en­ne­mi. Lis-le au préa­lable, et retiens dans ta mémoire ce qu’il contient, afin de pou­voir le redire si tu étais obli­gé de le faire disparaître. 

— Ce sera fait, Mon­sieur le Maire. 

— Ne te laisse pas prendre par les Prus­siens, au moins, ils te tueraient. 

— Je le sais, mais ne crai­gnez rien, je man­ge­rais ma langue plu­tôt que de dire, quoi que ce soit. »

Alexandre s’é­loi­gna et gagna les der­nières mai­sons du vil­lage. Les sen­ti­nelles ne firent pas atten­tion à cet éco­lier qui s’en allait jouant. Dès qu’il se trou­va un peu l’é­cart, l’en­fant prit la fuite. 

Les sen­ti­nelles l’a­per­çurent alors et firent feu sur le gamin qui déva­lait dans la plaine. On lan­ça contre lui une dizaine de cava­liers, mais le petit cou­rait tou­jours ; il choi­sis­sait les bou­quets de bois, les taillis, les terres labou­rées, sachant bien que les che­vaux ne pou­vaient l’y suivre.

  1. [1] Hulans : ou uhlans : espèce de lan­ciers.