La belle histoire du bienheureux Monseigneur de Mazenod

Auteur : Douglas Viscomte, Patricia | Ouvrage : Les amis des Saints .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Le bien­heu­reux Mon­sei­gneur de Maze­nod, fon­da­teur de la Congré­ga­tion des Oblats de Marie Imma­cu­lée et Évêque de Mar­seille, né le 1″ août 1782, à Aix-en-Pro­vence, mort à Mar­seille le 21 mai 1851.

En entre­pre­nant le récit de la vie du Bien­heu­reux Mgr de Maze­nod, nous décri­rons sur­tout quelques traits de son enfance et de sa jeu­nesse, afin d’y décou­vrir l’é­veil de sa voca­tion et les luttes qu’il dut sou­te­nir pour y être fidèle. On pour­rait illus­trer son com­bat par ces quelques vers de Racine :

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L’un veut que plein d’a­mour pour toi
Mon cœur te soit tou­jours fidèle,
L’autre, à ta volon­té rebelle,
Me révolte contre ta loi.

Chez lui, la sain­te­té n’est pas natu­relle, mais elle a été conquise de haute lutte par un effort inces­sant : « Le Royaume de Dieu appar­tient à ceux qui se font violence ». 

En effet, Eugène de Maze­nod était d’un tem­pé­ra­ment violent. Il avait tout du grand sei­gneur de l’An­cien Régime ; au phy­sique, belle pres­tance, port majes­tueux ; au moral, noblesse des sen­ti­ments, géné­ro­si­té, gran­deur d’âme, nul­le­ment por­té sur les pas­sions des sens, mais auto­ri­taire et impé­tueux. Dès sa pre­mière com­mu­nion, Dieu lui avait deman­dé l’ab­so­lu de son amour.

Eugène de Maze­nod naquit d’une famille de magis­trats. Son père était pré­sident de la Cour des Comptes à Aix-en- Pro­vence ; sa mère, Eugé­nie Joan­nis, était d’un autre rang social, fille d’un pro­fes­seur de Méde­cine à la facul­té d’Aix, elle appor­tait à son mari une très grosse for­tune et une grande beau­té. Eugène avait la beau­té phy­sique de sa mère.

Notre Bien­heu­reux fut le pre­mier enfant du jeune foyer. Tout petit, on remar­que­ra de rares qua­li­tés d’in­tel­li­gence et de cœur, mais il n’a­vait pas que des qua­li­tés ! Sa volon­té se révé­lait vite comme impé­rieuse. Quand il dési­rait qu’on lui rende un ser­vice, au lieu de le deman­der, il l’exi­geait : Je le veux. Si on lui résis­tait, sa colère se déchaî­nait. Aucune puni­tion n’a­vait de prise sur lui. Pour l’a­me­ner à recon­naître ses torts, il fal­lait expli­quer le motif du reproche.

Le petit Mazenod au théâtre tance le public

À ce pro­pos, il fit rire long­temps les habi­tués du spec­tacle à Aix : son oncle le condui­sit un soir au théâtre voir jouer une comé­die bour­geoise, très médio­cre­ment inter­pré­tée. Le public pro­ven­çal, expan­sif, se mit à sif­fler à toutes les scènes. Le petit Maze­nod (il n’a­vait que quatre ans) trouve le pro­cé­dé peu conve­nable. Il se hisse au bord de la loge, et, mon­trant le poing aux sif­fleurs, crie de toutes ses forces, en pro­ven­çal (langue par­lée à cette époque par la meilleure socié­té) : Tou­to aro se des­cen­di ! (expres­sion fami­lière de menace : Tout à l’heure, si je des­cends, vous aurez affaire à moi !). Mais, à côté de cette ardeur com­ba­tive, l’en­fant mon­trait une très grande bon­té. Son grand-père se plai­sait à lui rem­plir les poches de frian­dises et de menue mon­naie. Mais Eugène ne gar­dait pas pour lui ces gâte­ries, et très vite une bande de petits mal­heu­reux le sui­vait, dès qu’il apparaissait… 

Un autre jour, il tro­qua ses vête­ments contre ceux d’un petit char­bon­nier. Sa mère l’en reprit : « N’es-tu donc pas fils de Pré­sident ? Un fils de Pré­sident ne doit-il pas être vêtu autre­ment qu’un fils de char­bon­nier ? Eh bien ! rétor­qua l’en­fant, je serai un Pré­sident charbonnier ». 

Une famille amie des Maze­nod, la famille Revest, accueillait sou­vent le petit Eugène. Il avait tel­le­ment ses entrées dans cette famille que le Pro­cu­reur Revest pre­nait l’en­fant entre ses bras tout en conti­nuant à tra­vailler. Or, un jour du rigou­reux hiver de 1788, l’en­fant entrant dans le salon, n’y trou­va pas de feu. Com­ment ! s’é­cria-t-il, vous ne vous chauf­fez pas aujourd’­hui par le froid qu’il fait ? C’est vrai, répon­dirent les dames Revest, qui vou­laient l’é­prou­ver, mais que veux-tu, mon petit ami, nous sommes pauvres et le bois est si cher ! Les larmes se mirent à cou­ler des yeux de l’en­fant, et le voi­ci qui part d’un trait. Peu de temps après, il revient, pous­sant devant lui, avec peine, une lourde brouette emplie de bûches : Tenez, voi­là du bois, chauf­fez-vous maintenant !

Le jeune Eugène de Mazenod échange ses vêtements avec un enfant charbonnier

Mais les douces années de l’en­fance vont être bru­ta­le­ment inter­rom­pues par la vio­lence révo­lu­tion­naire. Le Pré­sident de Maze­nod, mena­cé de mort, dut fuir avec son frère et, à tra­vers mille dan­gers, attei­gnit Nice. Là, il apprit les menaces de mort pesant sur les enfants de la noblesse. Il fit venir Eugène de Maze­nod auprès de lui en 1791. Sa femme, avec leur petite fille, res­ta cachée à Aix, afin de sau­ver, autant que pos­sible, les biens de la famille.

À Nice, Eugène fré­quen­ta le col­lège des Pères de la Doc­trine Chré­tienne, il y ren­con­tra un obs­tacle sérieux dans ses études : les cours, en effet, étaient don­nés en langue ita­lienne qu’il igno­rait (à cette époque, Nice appar­te­nait au Royaume de Sar­daigne). Mais sa téna­ci­té était grande : chaque soir, on pou­vait voir l’en­fant assis sur les marches de l’es­ca­lier de la mai­son, tra­vaillant sur une gram­maire ita­lienne et des textes à tra­duire. Sans fausse honte, il inter­pel­lait les pas­sants pour savoir la signi­fi­ca­tion d’un mot. Cinq mois après, quand il quit­ta Nice, son assi­dui­té l’a­vait ren­du maître de la langue. 

Sa mère et sa grand-mère avaient rejoint le Pré­sident de Maze­nod à Nice. L’en­fant était heu­reux de retrou­ver sa petite sœur Ninette et de voir recons­ti­tué le cercle fami­lial. Mais il ne joui­ra pas long­temps de son bon­heur car ses parents, vou­lant assu­rer à leur fils une ins­truc­tion solide, l’en­voyèrent à Turin, au Col­lège des Nobles. C’est l’exil dou­lou­reux pour Eugène, si atta­ché à sa famille et à son pays et cet exil va durer jus­qu’en 1802.

Le col­lège où Eugène fit ses études à Turin était diri­gé par les Pères Bar­na­bites. Il s’a­dap­ta très vite à la vie d’in­ter­nat et c’est alors que se pré­ci­sa sa voca­tion. Il aimait se lever très tôt, afin de pou­voir s’ap­pli­quer à la prière, néces­si­té de son âme. Il fit sa pre­mière com­mu­nion le 8 avril 1792. Il n’é­vo­que­ra jamais cette date sans que le sou­ve­nir de cette pre­mière ren­contre avec son Dieu ne le fasse fondre en larmes. Mais voi­ci que Turin est mena­cée par les sol­dats de la Révo­lu­tion. La famille de Maze­nod avait rejoint Eugène et ils doivent de nou­veau s’ex­pa­trier. C’est à Venise qu’ils vont tous s’é­ta­blir. Plus tard, Eugène écri­ra que le choix de la demeure où sa famille va s’ins­tal­ler lui parut comme vou­lu par la Pro­vi­dence. Livré à lui-même dans un foyer où, hélas, la dis­corde com­men­çait à s’in­tro­duire, il en souffre. Et puis l’at­mo­sphère de Venise, où régnait l’im­mo­ra­li­té, ne lui était guère favo­rable. En face de leur logis, vivait une famille de riches mar­chands, les Zinel­li ; à tra­vers leur conduite, Eugène va décou­vrir une autre Venise, peu connue, Venise la belle. Et sur­tout, il va décou­vrir l’in­com­pa­rable grâce d’une ami­tié sacer­do­tale qui l’ac­com­pa­gne­ra pen­dant les années cru­ciales de sa for­ma­tion. Don Bar­to­lo Zinel­li avait remar­qué le jeune enfant et il avait su que chaque matin, il ser­vait la messe du curé de la paroisse Saint-Syl­vestre. Ce der­nier avait pris le petit émi­gré en affec­tion, il le recom­man­da à son ami, Don Bar­to­lo. Celui-ci adres­sa un jour la parole à son jeune voi­sin qu’il voyait jouant der­rière la fenêtre de sa chambre. Mon­sieur Eugène, ne crai­gnez-vous pas de perdre votre temps en vous amu­sant ain­si de la sorte ?

— Hélas, Mon­sieur, répon­dit l’en­fant, c’est bien à regret, mais que puis-je faire ? Je suis étran­ger, et je n’ai pas de livres à ma disposition. 

— Qu’à cela ne tienne, cher enfant, venez chez moi, dans ma biblio­thèque, vous trou­ve­rez de nom­breux livres. 

Le jeune Eugène de Mazenod étudie

Je ne demande pas mieux, répon­dit Eugène. Et voi­là Don Bar­to­lo qui lui fait pas­ser un livre de fenêtre à fenêtre par-des­sus l’é­troite ruelle sépa­rant les mai­sons. Le len­de­main, Eugène avait déjà dévo­ré le livre et le rap­por­ta à Don Bar­to­lo ; il le trou­va avec son frère, diacre, ins­tal­lé à une grande table. C’est ici que nous étu­dions, mon enfant, dit Don Bar­to­lo. Tiens, cette place vide était celle de notre frère, rap­pe­lé à Dieu. Vous serait-il agréable de le rem­pla­cer ? Nous vous conti­nue­rons vos classes que vous n’a­vez pu ache­ver, je pense.

Ravi, et fort de l’as­sen­ti­ment de son père, Eugène accep­ta. Des jour­nées stu­dieuses et bien rem­plies s’ou­vrirent alors pour lui : étude le matin, puis, après le déjeu­ner (chez lui), pro­me­nade et retour chez les Zinel­li et tra­vail jus­qu’au soir. Des prêtres amis venaient alors se joindre à eux pour réci­ter les Com­plies ; puis on des­cen­dait au salon, retrou­ver le reste de la famille. On pre­nait le café, on s’en­tre­te­nait avec les amis venus par­ta­ger la récréa­tion fami­liale ; après leur départ, Eugène res­tait au dîner. Puis, quand la prière du soir était dite en famille, on accom­pa­gnait l’en­fant chez lui. Pen­dant quatre ans, cette vie pai­sible se conti­nua et Eugène, sous l’in­fluence du maître véné­ré, put se livrer à son attrait pour l’o­rai­son et la mor­ti­fi­ca­tion afin de domp­ter son tem­pé­ra­ment de feu…

Mais voi­ci que les armées fran­çaises pour­sui­vant leur ful­gu­rante per­cée, sous le com­man­de­ment d’un jeune géné­ral corse, Bona­parte, vont de nou­veau chas­ser la famille de Maze­nod. Ses membres se réfu­gient dans le Royaume de Naples (nous sommes en 1798). Le cœur d’Eu­gène fut déchi­ré en quit­tant son maître, et toute la famille Zinel­li où il avait trou­vé la paix d’un vrai foyer. Les années à Naples furent très pénibles pour le jeune homme. Sa mère était repar­tie avec Ninette à Aix, et il se trou­vait seul avec son père et ses oncles. Puis, Naples à son tour, fut prise par les armées fran­çaises et la famille se réfu­gie à Palerme. Là, c’é­tait la vie molle et oisive d’une petite cour. Eugène dut sou­te­nir bien des luttes pour conser­ver intacte sa voca­tion. Don Bar­to­lo l’en­cou­ra­geait par ses lettres : dans l’une d’elles, il lui écri­vait : …Voi­ci, mon cher Eugène, ce que je pense de vous : votre carac­tère ne vous lais­se­ra rien faire à demi ; vous ferez beau­coup de bien ou beau­coup de mal…

Enfin, en 1802, Eugène retrouve le sol de la France et réin­tègre Mar­seille, puis Aix. Indé­cis sur la voie à suivre, peu sou­te­nu par les siens qui voyaient avec déses­poir le seul repré­sen­tant de leur race vou­loir renon­cer à tout jamais au monde, Eugène dut pas­ser de durs com­bats avant de se livrer com­plè­te­ment à Dieu. Enfin, sa déci­sion, après mûres déli­bé­ra­tions, fut prise et c’est au sémi­naire de Saint-Sul­pice qu’il se pré­pa­ra à la prêtrise. 

Au soir de son ordi­na­tion, le 21 décembre 1811, il explose de joie : Je suis prêtre, il faut l’être pour savoir ce que c’est ! On lui offrit des situa­tions brillantes, mais le jeune homme avait pris une réso­lu­tion héroïques : il sera l’a­pôtre des petits et des pauvres. Il rentre en Pro­vence, et, avec quelques autres prêtres, il se consacre au ser­vice des déshé­ri­tés. Après de mul­tiples déboires, la Congré­ga­tion des Oblats de Marie Imma­cu­lée est fon­dée. L’Ab­bé de Maze­nod va à Rome ; le Pape approu­ve­ra la Fon­da­tion et l’en­cou­ra­ge­ra même vivement.

Son oncle, Mgr For­tune de Maze­nod, avait été nom­mé Évêque de Mar­seille, et en l’an­née 1837, c’est son neveu Eugène qui lui suc­cé­de­ra. Mgr For­tune, se sen­tant trop âgé, don­na sa démis­sion. Lourde croix pour Eugène de Maze­nod ! Il ne chan­ge­ra rien dans sa manière de vivre et conti­nue­ra de pra­ti­quer la plus exacte pau­vre­té. Table fru­gale, aucune recherche de luxe, ni même de confort dans ses appar­te­ments. Il n’ai­mait la pompe et la magni­fi­cence que dans le ser­vice divin. Pen­dant les vingt-quatre ans qu’il diri­gea le dio­cèse, il encou­ra­gea et implan­ta de nom­breux cou­vents et mai­sons reli­gieuses. Il orga­ni­sa les œuvres de cha­ri­té, le soin des malades, les patro­nages de jeu­nesse. Le bon peuple de Mar­seille « ado­rait » son évêque et, quand il ren­dit son âme à Dieu, il fut pleu­ré comme un père.

Monseigneur Eugène de Mazenod évêque de Marseille

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