Beaux traits de Patriotisme

| Ouvrage : Le deuxième livre d'André .

Temps de lec­ture : 10 minutes

I. Le fait sui­vant s’est pas­sé non loin d’Or­léans, pen­dant la guerre fran­co-alle­mande. Le pays aux envi­rons d’Or­léans, était cou­vert de hordes prus­siennes, et le 24 novembre 1870, un régi­ment de hulans[1] , avant-garde de l’ar­mée du prince Fré­dé­ric-Charles, arri­vait à B***. Le maire du bourg deman­da un homme de bonne volon­té : il dési­rait lui confier la mis­sion de pré­ve­nir sans retard l’ar­mée fran­çaise can­ton­née à Bel­le­garde, sur la lisière de la forêt d’Or­léans. Mais les Alle­mands étaient aux aguets, ils avaient cer­né le vil­lage et ne lais­saient sor­tir personne. 

C’est alors qu’un brave et gen­til gar­çon de douze ans, à l’œil vif, au pied alerte, vint trou­ver le maire et s’offrit. 

« — C’est toi, Alexandre, qui veux te char­ger de pré­ve­nir l’ar­mée française ? 

— Oui, Mon­sieur le Maire. 

— Te sens-tu le cœur solide ? 

— Comme un roc. 

— Tu es audacieux ? 

— Comme un Parisien. 

— Eh bien ! dit le maire en l’embrassant, va à Bel­le­garde, tu deman­de­ras le géné­ral Billot et tu lui don­ne­ras ce petit cahier de papier à ciga­rettes. Il contient tons les ren­sei­gne­ments qui peuvent per­mettre à l’ar­mée fran­çaise de sur­prendre l’en­ne­mi. Lis-le au préa­lable, et retiens dans ta mémoire ce qu’il contient, afin de pou­voir le redire si tu étais obli­gé de le faire disparaître. 

— Ce sera fait, Mon­sieur le Maire. 

— Ne te laisse pas prendre par les Prus­siens, au moins, ils te tueraient. 

— Je le sais, mais ne crai­gnez rien, je man­ge­rais ma langue plu­tôt que de dire, quoi que ce soit. »

Alexandre s’é­loi­gna et gagna les der­nières mai­sons du vil­lage. Les sen­ti­nelles ne firent pas atten­tion à cet éco­lier qui s’en allait jouant. Dès qu’il se trou­va un peu l’é­cart, l’en­fant prit la fuite. 

Les sen­ti­nelles l’a­per­çurent alors et firent feu sur le gamin qui déva­lait dans la plaine. On lan­ça contre lui une dizaine de cava­liers, mais le petit cou­rait tou­jours ; il choi­sis­sait les bou­quets de bois, les taillis, les terres labou­rées, sachant bien que les che­vaux ne pou­vaient l’y suivre.

Mal­heu­reu­se­ment, l’en­fant après une course folle, était épui­sé ; il hale­tait et le souffle vint à lui man­quer ; il vit qu’il allait être atteint. Déjà il por­tait à sa bouche pour l’a­va­ler, le cahier de papier à ciga­rettes, lorsque son œil per­çant sai­sit un mou­ve­ment sur la lisière-de la forêt, à deux cents mètres de là. C’é­taient les sen­ti­nelles des postes avan­cés de l’ar­mée fran­çaise du 18e corps en formation. 

Ain­si les Alle­mands se trou­vaient à cin­quante mètres der­rière notre petit mes­sa­ger ; les Fran­çais à deux cents devant lui, et il était à bout de forces. 

Pre­nant alors un gros caillou, l’en­fant y atta­cha rapi­de­ment son cahier de papier à ciga­rettes à l’aide d’un fil. Tirant ensuite une ficelle de sa poche, et s’en ser­vant comme d’une fronde, il lan­ça d’une main sûre le caillou dans la direc­tion de la sen­ti­nelle fran­çaise, dont la sil­houette se des­si­nait sur la lisière du bois.

Le jeune garçon lance le message aux troupes françaises
La pierre décri­vit une immense trajectoire

La pierre décri­vit une immense tra­jec­toire et, au moment où les hulans arri­vaient sur lui, l’en­tou­raient en le mena­çant de leurs sabres, Alexandre put voir avec bon­heur le sol­dat fran­çais se bais­ser et ramas­ser la pierre. 

II. Cepen­dant ce mou­ve­ment d’une dizaine de cava­liers dans la plaine n’a­vait pas été sans atti­rer l’at­ten­tion des postes fran­çais, qui com­men­cèrent à tirer sur l’en­ne­mi. Deux cava­liers prus­siens rou­lèrent sur le sol, la tête fra­cas­sée. Le sous-offi­cier, chef du pelo­ton alle­mand, ordon­na aus­si­tôt la retraite, et sai­sis­sant le cou­ra­geux enfant par sa blouse, il l’en­le­va et le mit en tra­vers sur la selle de son cheval.

Conduit aus­si­tôt au major alle­mand, le petit pri­son­nier fut sou­mis à un interrogatoire. 

« — Qui t’en­voie pré­ve­nir l’ar­mée française ? » 

Alexandre ne répon­dit pas. — Le com­man­dant, soup­çon­nant qu’il devait en savoir long, conti­nua à le ques­tion­ner sur sa mis­sion. Mais à toutes ses ques­tions, pas de réponse. Irri­té, le major vou­lut voir le père de l’enfant.

Mais Alexandre n’a­vait pas de parents ; il était depuis le com­men­ce­ment de la guerre chez le maître d’é­cole du vil­lage, qui l’a­vait recueilli dans les cir­cons­tances que voici : 

C’é­tait au moment du siège de Paris. Une femme, fuyant l’in­ves­tis­se­ment, était arri­vée mou­rante à B***. Là, elle racon­ta que les Alle­mands, après l’a­voir dépouillée, avaient mis le feu à une mai­son qu’elle pos­sé­dait dans les envi­rons de Paris ; sans res­sources, elle avait dû s’en­fuir à pied avec son enfant. 

Le len­de­main, la mère épui­sée s’a­li­tait, et quelques jours après mou­rait, lais­sant son fils chez le maître d’é­cole, qui l’a­vait recueilli et le trai­tait comme son enfant. 

L’of­fi­cier prus­sien fit donc venir l’ins­ti­tu­teur et, lui mon­trant Alexandre : 

« — Vous connais­sez cet enfant ? Eh bien ! il nous a espion­nés, je lui par­don­ne­rai néan­moins s’il veut me dire ce qu’il por­tait aux avant-postes fran­çais. Mais s’il ne parle pas, je le ferai fusiller. » 

Alexandre regar­da fixe­ment l’ins­ti­tu­teur et son œil parut dire : « — Je ne par­le­rai pas. » 

Le Maître d’é­cole comprit. 

« — Eh bien ? deman­da l’of­fi­cier impatienté. 

— L’en­fant ne par­le­ra pas, répon­dit le maître. 

— Ah ! rica­na l’of­fi­cier, mais je compte sur vous pour qu’il parle. Et se tour­nant alors vers Alexandre, il ajouta : 

— Si tu ne parles pas, ton « père » sera fusillé. » 

À ces mots l’ins­ti­tu­teur eut un éclair dans les yeux, pen­dant qu’A­lexandre se jetait dans ses bras. Après un ins­tant de silence poignant : 

« — Vous êtes la force et la vio­lence, dit le maître avec calme, faites-moi fusiller, puisque la vie d’un homme est si peu de chose pour vous. Mais la vie d’un enfant est chose sacrée ; y atten­ter serait un sacrilège. 

« — Silence ! hur­la l’of­fi­cier en s’a­van­çant, le poing levé. Si vous ne par­lez pas, vous paie­rez pour mes deux hulans tués ! 

« — Fusillez-moi, si bon vous semble, répli­qua l’ins­ti­tu­teur avec digni­té ; mais si vous assas­si­nez l’en­fant, j’en appelle au juge­ment de Dieu. Il sau­ra bien vous punir, Lui. » 

Et, en disant ces mots, le visage du maître s’é­tait trans­fi­gu­ré. L’of­fi­cier prus­sien grin­çait des dents. Il fait un signe. Les sol­dats alle­mands se jettent sur les deux vic­times et les conduisent au mur qui longe le cimetière. 

« — Par­le­ras-tu ? demande encore une fois l’of­fi­cier à l’enfant

— « Non ! » répon­dit l’hé­roïque orphe­lin, et, se pla­çant à côté de celui qu’il appe­lait « père », il croise les bras.

Exécution de l'enfant et de son "père" par les Prussiens
« Par­le­ras-tu ? — Non, répon­dit l’hé­roïque orphelin…

Alors le pelo­ton d’exé­cu­tion charge les armes. L’homme et l’en­fant étaient là, debout, immo­biles, atten­dant la mort, priant une der­nière fois Jésus et Marie pour le salut de leur âme et celui de leur patrie aimée.

Les sol­dats, sur un signe, mettent en joue. Une der­nière fois, le major alle­mand s’écrie : 

« — Parlerez-vous ? » 

« — Vive la  ! »

Ce fut le signal. Une déto­na­tion ter­rible déchi­ra l’air, et les deux nobles vic­times tom­bèrent frap­pées de douze halles. 

Dans la nuit qui sui­vit cette hor­rible exé­cu­tion, le major prus­sien qui l’a­vait ordon­née s’é­tait arrê­té dans une ferme qu’il fai­sait piller. Assis dans un large fau­teuil, devant un bon feu, il buvait force rasades, lorsque sou­dain un coup de sif­flet reten­tit et la fusillade pétilla bien­tôt dans la nuit. La ferme, cer­née par une com­pa­gnie fran­çaise, était atta­quée. Aucun Alle­mand n’é­chap­pa ; sur cin­quante, quinze furent faits pri­son­niers, et, le len­de­main matin, au jour, on recon­nut le major prus­sien par­mi les morts. Or, chose digne de remarque, son corps muti­lé por­tait les traces de douze balles.

Jus­tice était faite. Dieu avait ven­gé l’in­tré­pide orphe­lin et son magna­nime instituteur. 

III. L’hé­roïsme de cet enfant et de son maître, si dignes l’un de l’autre, rap­pelle celui d’un autre enfant non moins admi­rable dans son .

On raconte que M. de Bis­marck avait empor­té de nos désastres un double regret : celui de n’a­voir pas abu­sé davan­tage de la vic­toire en deman­dant à la France une indem­ni­té de quinze, vingt ou trente mil­liards, et celui de n’a­voir arra­ché que deux pro­vinces à notre patrie sans sol­dats et sans alliés en ce temps-là. Il mar­qua à la fois son dépit et son espé­rance d’ob­te­nir plus un jour, en dis­tri­buant aux écoles des cartes géo­gra­phiques où les Flandres, Bel­fort, la Franche-Com­té, la Cham­pagne, etc…, étaient déjà mar­qués comme pays alle­mands.

Or, un jour, un ins­pec­teur prus­sien fai­sait la visite d’une école d’Al­sace-Lor­raine et, s’a­dres­sant à un élève en deuil dont il pou­vait remar­quer sans peine le regard antipathique : 

— « Com­ment t’appelles-tu ? 

— Jean Schwab. 

— Ton âge ? 

— Treize ans. 

— Ton père, que fait-il ? 

— Mort pour la patrie ! 

— Pour la patrie alle­mande, je suppose ? 

— Non pas, nous ne sommes pas Allemands. 

— Soit, dit l’ins­pec­teur avec dépit. Voyons ce que tu sais en géo­gra­phie. Peux-tu me dire quelles sont les prin­ci­pales nations d’Europe ? 

— Oui, la France…

La France est au cœur de tous les Français
La France, Mon­sieur, elle est là !…

— Pour­quoi com­mences-tu par celle-là ? L’Al­le­magne est bien plus forte et plus grande.

— C’est la France, répète l’en­fant, qui est la pre­mière des nations.

— C’est faux ! cria l’ins­pec­teur. D’ailleurs, gageons que tu pour­ras à peine la trou­ver et me la mon­trer sur la carte. » 

En effet, la carte qu’il mon­trait à l’en­fant était une de celles que, par ordre de Bis­marck, on avait si outra­geu­se­ment faussées. 

« Allons ! montre où est la France », répé­ta l’inspecteur. 

L’en­fant pâlit sou­dain, puis un éclair illu­mi­na ses yeux rapi­de­ment diri­gés vers ses cama­rades. Se détour­nant de la carte erro­née, il fixa son clair regard dans les yeux de l’Al­le­mand et, fiè­re­ment cam­pé, il s’écria : 

— « Votre carte est men­teuse, et je n’y cher­che­rai pas la France. La France, Mon­sieur, elle est là ! » 

Et il posa vigou­reu­se­ment la main sur son cœur. Réponse sublime, Chaque petit Fran­çais doit être prêt à l’ad­mi­rer et à répé­ter à son tour, en mon­trant son cœur patriote : 

Oui, la France, elle est là, pour toujours !

  1. [1] Hulans : ou uhlans : espèce de lan­ciers.

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