Les boucles d’oreilles de Louise

| Ouvrage : 90 Histoires pour les catéchistes I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Charité

Je me suis enga­gé à ne faire connaître ni le nom ni le pays de la petite héroïne de ce récit. Je puis tou­te­fois cer­ti­fier qu’il est abso­lu­ment vrai. C’é­tait en sep­tembre 1899. Étant bran­car­dier à l’hô­pi­tal des Sept-Dou­leurs, à , je venais de lever de sa voi­tu­rette une pauvre enfant de 14 ans para­ly­sée des deux jambes et du bras droit. Elle avait assis­té à la pro­ces­sion du Saint-Sacre­ment et, avec toutes les pré­cau­tions pos­sibles, je l’a­vais trans­por­tée à nou­veau sur son lit. J’al­lais m’é­loi­gner pour m’oc­cu­per d’autres malades lorsque, de sa main encore valide, Louise, c’é­tait le nom de la jeune infirme, me fit signe de m’as­seoir près d’elle.

— « Pas main­te­nant, répon­dis-je ; je n’ai pas le temps ! »

L’en­fant renou­ve­la son geste :

— « Si, asseyez-vous là, je veux ! »

La pauvre petite m’a­vait dit cela d’un ton à la fois si éner­gique et si sup­pliant qu’il ne me res­tait plus qu’à obéir ! C’est ce que je fis…

« Voyons, lui dis-je, par­lez vite. Je suis très pressé !

— Oui, mais tout bas. Je ne vou­drais pas que les autres m’entendent ! »

Je m’ap­pro­chai plus près du lit et Louise me mur­mu­ra à l’oreille :

— « J’ai fait une pro­messe à la Sainte Vierge si elle m’ac­cor­dait une grande faveur.

— Ah ! Et alors ?

— Eh ! bien, elle m’a exaucée !

— Vous vous sen­tez mieux ? repris-je étonné.

Histoire d'une petite fille malade - Lourdes - brancardiers et malades

— Oh ! non… Je n’ai rien deman­dé pour moi, répon­dit l’infirme.

— Alors, quelle grâce avez-vous obtenue ?

— Ça ne se dit pas, répli­qua Louise d’un petit air mutin !

— Bon, lui dis-je. C’est bien. Mais que vou­lez-vous de moi ?

— J’ai pro­mis à Notre-Dame de faire brû­ler un beau à la Grotte.

— Et vous vou­lez que j’aille vous l’acheter ?

— Oui. Seule­ment voi­là ! Je n’ai pas d’argent ! Dans notre val­lée des Alpes mes parents sont pauvres et ils n’ont rien pu me don­ner pour le voyage. C’est un comi­té qui a payé pour moi.

— Vous vou­driez alors que je vous fasse cadeau d’un cierge ?

— Oh ! non. Ce serait trop facile !

— Enfin, que faut-il que je fasse ? »

Louise hési­ta, puis me pre­nant par la main, me dit tout bas :

— « Allez vendre mes boucles d’oreilles ! »

Je res­tai stu­pé­fait devant une pareille pro­po­si­tion… Len­te­ment mes yeux se por­tèrent vers les oreilles de la géné­reuse enfant. Deux mignonnes pâque­rettes, toutes simples, ayant pour cœur une pauvre petite perle de verre, y étaient sus­pen­dues. Valaient-elles un franc cin­quante ? Cer­tai­ne­ment non ! Mais pour la Sainte Vierge qui voyait le que fai­sait la petite malade, ces deux boucles valaient cer­tai­ne­ment les plus beaux dia­mants du inonde.

— « Dites, Mon­sieur, reprit Louise, vous ne me refu­se­rez pas ce service ? »

Boucles d'oreilles de la petite malade, à Lourdes

Que répondre ? Pou­vais-je ne pas accep­ter ? Dire à cette enfant que son tré­sor ne valait pas la peine d’être ven­du ? Rien que mon silence attris­tait déjà son cœur et je voyais poindre des larmes sous ses pau­pières. J’es­sayai de me tirer d’af­faire par une nou­velle question.

— « Si je vends vos boucles, Louise, que dira votre maman ? Elle vous gron­de­ra et moi aussi ?

— …Ne crai­gnez rien, Mon­sieur, répli­qua-t-elle aus­si­tôt. Maman veut tout ce que je veux, pour­vu que ça me fasse plaisir. »

Je n’a­vais plus rien à dire… et je cédai. La petite fille enle­vant alors le petit bijou de son oreille gauche me le mit dans la main. Ensuite, me pré­sen­tant l’o­reille droite elle me dit :

— « De ce côté, c’est plus dif­fi­cile ! Il fau­dra que vous m’ai­diez ! Mon pauvre bras para­ly­sé ne veut plus m’obéir. »

Je déta­chai alors avec pré­cau­tion la seconde boucle tan­dis que la malade me disait, toute joyeuse :

— « Vous les ven­drez bien cher, n’est-ce pas ! Et demain, nous achè­te­rons un gros cierge ! »

Après avoir tout pro­mis je m’é­loi­gnai, des larmes plein les yeux… En tra­ver­sant la salle et les longs cor­ri­dors de l’hô­pi­tal, je me deman­dais tou­te­fois ce que j’al­lais bien pou­voir faire de ces deux pauvres boucles. Je son­geais à les gar­der pour moi et à aller ache­ter un beau cierge pour Louise lorsque, en tra­ver­sant la cour, je me trou­vai en pré­sence de Mme de M., une des grandes amies et bien­fai­trices de l’hôpital.

— « Eh ! bien, M. le bran­car­dier, me dit-elle, com­ment vont nos chers malades ? Et votre petite Louise ? Made­moi­selle « Je veux » comme vous l’ap­pe­lez ? N’a-t-elle pas été trop exi­geante aujourd’hui ?

— Pas trop, Madame, répon­dis-je un peu gêné. La pauvre enfant souffre tel­le­ment qu’il faut être indul­gent envers elle ! D’ailleurs elle vient de me don­ner une drôle de mis­sion à remplir !

— Laquelle, si ce n’est pas indiscret ? »

En deux mots je racon­tai à la cha­ri­table dame la tou­chante his­toire des boucles d’oreilles.

— « Mais c’est magni­fique cela, me dit-elle. Et que comp­tez-vous faire de ce pré­cieux dépôt ?

— Je pense le gar­der, Madame et ache­ter un joli cierge pour ma petite infirme.

— Je vous en prie ; cédez-moi ces boucles ! J’ai une fille malade, je suis sûre qu’elles lui por­te­ront bonheur. »

Madame de M. ouvrit alors son sac à main et, devant la belle offrande qu’elle me ten­dit, je lui aban­don­nais les humbles bijoux.

Le len­de­main, aus­si­tôt arri­vé à l’hô­pi­tal, j’al­lai trou­ver Louise.

— « Alors vous les avez ven­dues ? » me dit-elle dès qu’elle m’aperçut.

— « Oui… Et un bon prix ! Tenez, voi­ci l’argent.

— Oh ! Quel bon­heur s’é­cria-t-elle en voyant la belle pièce d’or que je lui ten­dais… Vite, met­tez-moi dans ma voi­ture et par­tons pour la Grotte ! »

Apparition de la Sainte Vierge à Sainte Bernadette dans la grotte de Lourdes

Presque tous les malades étaient déjà ran­gés dans la cour de l’hô­pi­tal. On don­na le signal du départ et je pris la tête du convoi, traî­nant ma chère infirme qui, radieuse, tenait sa pièce dans la main. En route elle ache­ta le cierge tant dési­ré, un des plus grands et des plus beaux du maga­sin puis, conti­nuant d’é­gre­ner notre cha­pe­let, nous arri­vâmes à la Grotte. Tan­dis qu’il fai­sait ran­ger les voi­tures à la place qui leur était réser­vée, le chef de ser­vice, aper­ce­vant le cierge de Louise dit à celle-ci :

— « C’est pour la Grotte ?

— Oui, Mon­sieur, répon­dit la fillette.

— Don­nez-le moi, je vais vous le porter.

— Ah ! non, pro­tes­ta-t-elle. C’est moi qui veux l’of­frir à la Sainte Vierge ! »

Le chef sou­rit et se tour­nant vers moi me dit :

— « Faites-lui ce plai­sir si elle y tient tant ! »

Je pris alors Louise dans mes bras et la por­tai tout près de la Grotte. Elle eut ain­si la joie d’al­lu­mer elle-même son cierge et de le pla­cer devant l’au­tel. Comme elle n’a­vait pas dépen­sé toute la somme obte­nue par la vente de ses boucles, elle vou­lut que je l’ap­proche du tronc des offrandes, là elle ver­sa géné­reu­se­ment tout ce qui lui restait !

Levant ensuite son regard vers la blanche Vierge du Rocher, je l’en­ten­dis mur­mu­rer cette phrase qui m’ex­pli­qua tout et me bou­le­ver­sa « Mer­ci, Bonne Mère, d’a­voir exau­cé ma prière et gué­ri ma com­pagne ! Main­te­nant faites de moi ce qui vous plaira ! »

J’é­tais, sans le vou­loir, en pos­ses­sion du grand secret de Louise. Oubliant ses propres souf­frances elle n’a­vait son­gé qu’à celles de sa voi­sine d’hô­pi­tal ! Et la Sainte Vierge avait exau­cé son héroïque prière… La veille, en effet, au cours de la pro­ces­sion du Saint Sacre­ment, la jeune fille qui occu­pait le bran­card pla­cé tout près du sien s’é­tait levée guérie !

Et aujourd’­hui, Louise en remer­ciait la Madone, ne deman­dait rien pour elle !

« Annales du Très Saint Rosaire »

3 Commentaires

  1. EVELYNE COLAS a dit :

    Superbe site – très instructif

    6 septembre 2019
    Répondre
    • Le Raconteur a dit :

      Mer­ci madame,
      C’est une joie de partager.

      20 septembre 2019
      Répondre
  2. Petit-Halbaut Anne-Marie a dit :

    Les étoiles brillent infi­ni­ment plus que l’or ou le dia­mant et nous élèvent vers la lumière de la vie réelle en se reflé­tant sur les gouttes de pluies qui tombent sur la terre pour sou­le­ver le voile de l’in­fi­ni mystère.

    19 février 2021
    Répondre

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