Les trois questions.

| Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Il y avait une fois, dans un pays très loin­tain, un roi cruel dont les caprices ne connais­saient pas de limites ; il était sans pitié et abu­sait de sa force quand il était de mau­vaise humeur.

Cer­tain jour, par­ti à la chasse, un de ses passe-temps favo­ris, le sou­ve­rain s’é­ga­ra dans la forêt. Ce fut seule­ment vers le soir qu’il arri­va, four­bu, devant la porte d’un couvent où, sans le recon­naître, on le fit entrer et on lui don­na à manger.

Il ne dit même pas mer­ci… Or, il arri­va qu’un des frères du couvent recon­nut le roi. Il se dépê­cha de pré­ve­nir les autres, qui se pré­ci­pi­tèrent pour saluer Sa Majes­té. Mais le roi, au lieu d’ac­cueillir aima­ble­ment les reli­gieux, se mit en colère et s’a­dres­sant au père prieur lui dit :

« Vous m’a­vez l’air bien gras, mon Révé­rend. L’é­tude ne paraît pas trop vous affai­blir. Je sup­pose qu’on vous dit plus savant que vous êtes…

— Sire, répon­dit en trem­blant le mal­heu­reux prieur, je m’ef­force de faire mon devoir. J’é­tu­die et prie Dieu chaque jour pour Votre Majes­té… Si j’en­graisse un peu, cela doit être dû à la vie calme que je mène. »

Le roi res­ta un ins­tant en silence puis reprit :

« De toute façon, j’ai enten­du dire que vous êtes un grand savant. Je veux en être sûr. Donc, venez au palais, je vous donne dix jours pour réflé­chir à ces trois questions :

quelle dis­tance y a‑t-il de la terre au soleil ?
quelle est ma valeur en argent ?
et, enfin, quelle est la pen­sée que j’ai et qui me trompe ?

Si vous ne répon­dez pas bien, vous serez pen­du, mon Révérend. »

Cela dit, il s’en alla.

Inutile de décrire la frayeur du reli­gieux. Nuit et jour, il cher­chait sans les trou­ver les bonnes réponses… Et il n’y avait pas à attendre la pitié du sou­ve­rain ! Son igno­rance ou son erreur le condui­raient tout droit à la potence. Dis­tance de la terre au soleil ? Aucun livre ne la don­nait à l’é­poque. Quant aux deux autres ques­tions, mieux valait main­te­nant n’y plus réfléchir.

L'heure du conte pour les enfants : Moines et les trois questions

Enfin, arri­va le jour où le prieur devait se rendre au palais. Il ne savait pas ce qu’il allait répondre et il lui sem­blait déjà sen­tir des déman­geai­sons à son cou. Sans cou­rage, les jambes molles, il allait se mettre en route, lors­qu’un des frères, gar­çon vif et intel­li­gent, lui dit :

soir du Conte : moine se rendant auprès du roi« Mon Révé­rend, nous sommes à peu près de la même taille. Nous nous res­sem­blons même un peu. Le roi ne doit plus très bien se sou­ve­nir de votre figure. Pour­quoi ne me lais­se­riez-vous pas aller à votre place au palais et répondre à ses questions ?

— Quel beau cou­rage, cher frère, dit le prieur, mais que vas-tu répondre à ce sanguinaire ?

— Des choses, des choses, mon Révé­rend, qu’a­vec votre per­mis­sion, je réserve pour l’ins­tant. Soyez sûr pour­tant que je dois nor­ma­le­ment reve­nir sain et sauf. Votre béné­dic­tion, mon Révérend. »

Le prieur vou­lut s’op­po­ser au départ, disant que c’é­tait sur lui que devait tom­ber la colère du roi, mais le frère était têtu et, sans en entendre davan­tage, il se mit en route vers le palais.

Le roi le reçut immé­dia­te­ment et le ques­tion­na sans perdre une minute :

« Aurais-tu déjà trou­vé les réponses exactes ?

— Oui, Sire.

Conte pour petits et grands : Moines inquiets

— Vrai­ment ? Eh bien, com­men­çons. Quelle dis­tance y a‑t-il entre la terre et le soleil ?

— Huit cent quatre-vingt-dix-sept mille lieues[1], plus trente-cinq toises[2] et demie. Pas un mil­li­mètre de plus ou de moins.

— Tu es sûr de ce que tu avances là ?

— Si Votre Majes­té en doute, qu’Elle daigne en faire véri­fier la mesure. »

Comme cela était impos­sible, le roi dut s’a­vouer satisfait.

« Pas mal, fit-il. Main­te­nant, à la deuxième : Quelle est ma valeur en argent ?

— Vingt-neuf deniers, Sire.

— Pour­quoi vingt-neuf deniers ? deman­da le roi étonné.

— Parce que Votre Majes­té ne peut valoir davan­tage que Jésus, Notre Sei­gneur. On le ven­dit, lui, pour trente.

— Et quelle est la pen­sée qui me trompe ? » conti­nua le roi, assez ennuyé de ne rien pou­voir dire.

« Celle de croire que je suis le prieur, lorsque je ne le suis pas. »

Cette fois, le sou­ve­rain. domp­té par l’es­prit du , dai­gna sou­rire et pro­mit au moine sa protection.

L’es­prit et le cou­rage, fort sou­vent, ont rai­son même des hommes les plus cruels.

(D’a­près José Munoz Escamez.)
Contes espa­gnols. (Éd. de l’Écureuil.)

Sourire du roi cruel

Extrait de De Bon Matin par Bérier-Gil­bert, Éd. de l’École
  1. [1] Une lieue : une dis­tance de 4 kilo­mètres.
  2. [2] Une toise : une ancienne mesure de lon­gueur, avant l’u­ti­li­sa­tion du sys­tème métrique

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