Il y avait une fois, dans un pays très lointain, un roi cruel dont les caprices ne connaissaient pas de limites ; il était sans pitié et abusait de sa force quand il était de mauvaise humeur.
Certain jour, parti à la chasse, un de ses passe-temps favoris, le souverain s’égara dans la forêt. Ce fut seulement vers le soir qu’il arriva, fourbu, devant la porte d’un couvent où, sans le reconnaître, on le fit entrer et on lui donna à manger.
Il ne dit même pas merci… Or, il arriva qu’un des frères du couvent reconnut le roi. Il se dépêcha de prévenir les autres, qui se précipitèrent pour saluer Sa Majesté. Mais le roi, au lieu d’accueillir aimablement les religieux, se mit en colère et s’adressant au père prieur lui dit :
« Vous m’avez l’air bien gras, mon Révérend. L’étude ne paraît pas trop vous affaiblir. Je suppose qu’on vous dit plus savant que vous êtes…
— Sire, répondit en tremblant le malheureux prieur, je m’efforce de faire mon devoir. J’étudie et prie Dieu chaque jour pour Votre Majesté… Si j’engraisse un peu, cela doit être dû à la vie calme que je mène. »
Le roi resta un instant en silence puis reprit :
« De toute façon, j’ai entendu dire que vous êtes un grand savant. Je veux en être sûr. Donc, venez au palais, je vous donne dix jours pour réfléchir à ces trois questions :
quelle distance y a‑t-il de la terre au soleil ?
quelle est ma valeur en argent ?
et, enfin, quelle est la pensée que j’ai et qui me trompe ?
Si vous ne répondez pas bien, vous serez pendu, mon Révérend. »
Cela dit, il s’en alla.
Inutile de décrire la frayeur du religieux. Nuit et jour, il cherchait sans les trouver les bonnes réponses… Et il n’y avait pas à attendre la pitié du souverain ! Son ignorance ou son erreur le conduiraient tout droit à la potence. Distance de la terre au soleil ? Aucun livre ne la donnait à l’époque. Quant aux deux autres questions, mieux valait maintenant n’y plus réfléchir.
Enfin, arriva le jour où le prieur devait se rendre au palais. Il ne savait pas ce qu’il allait répondre et il lui semblait déjà sentir des démangeaisons à son cou. Sans courage, les jambes molles, il allait se mettre en route, lorsqu’un des frères, garçon vif et intelligent, lui dit :
« Mon Révérend, nous sommes à peu près de la même taille. Nous nous ressemblons même un peu. Le roi ne doit plus très bien se souvenir de votre figure. Pourquoi ne me laisseriez-vous pas aller à votre place au palais et répondre à ses questions ?
— Quel beau courage, cher frère, dit le prieur, mais que vas-tu répondre à ce sanguinaire ?
— Des choses, des choses, mon Révérend, qu’avec votre permission, je réserve pour l’instant. Soyez sûr pourtant que je dois normalement revenir sain et sauf. Votre bénédiction, mon Révérend. »
Le prieur voulut s’opposer au départ, disant que c’était sur lui que devait tomber la colère du roi, mais le frère était têtu et, sans en entendre davantage, il se mit en route vers le palais.
Le roi le reçut immédiatement et le questionna sans perdre une minute :
« Aurais-tu déjà trouvé les réponses exactes ?
— Oui, Sire.
— Vraiment ? Eh bien, commençons. Quelle distance y a‑t-il entre la terre et le soleil ?
— Huit cent quatre-vingt-dix-sept mille lieues[1], plus trente-cinq toises[2] et demie. Pas un millimètre de plus ou de moins.
— Tu es sûr de ce que tu avances là ?
— Si Votre Majesté en doute, qu’Elle daigne en faire vérifier la mesure. »
Comme cela était impossible, le roi dut s’avouer satisfait.
« Pas mal, fit-il. Maintenant, à la deuxième : Quelle est ma valeur en argent ?
— Vingt-neuf deniers, Sire.
— Pourquoi vingt-neuf deniers ? demanda le roi étonné.
— Parce que Votre Majesté ne peut valoir davantage que Jésus, Notre Seigneur. On le vendit, lui, pour trente.
— Et quelle est la pensée qui me trompe ? » continua le roi, assez ennuyé de ne rien pouvoir dire.
« Celle de croire que je suis le prieur, lorsque je ne le suis pas. »
Cette fois, le souverain. dompté par l’esprit du moine, daigna sourire et promit au moine sa protection.
L’esprit et le courage, fort souvent, ont raison même des hommes les plus cruels.
(D’après José Munoz Escamez.)
Contes espagnols. (Éd. de l’Écureuil.)
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