OH ! Oh ! le ciel s’y prête ! Regardez l’aube merveilleuse qui grandit. Sur l’horizon rose le soleil arrive brusquement, et toute la beauté de la terre à l’automne jaillit partout, des collines lointaines, bleuâtres, des feuillages ardents, splendides.
Les volets de la chambre de Madeleine et Sabine ont très tôt claqué sur le mur, et les deux fillettes ont salué le soleil par des cris de joie, et lui ont envoyé des baisers, comme à un ami.
Dans la chambre d’André l’ordre règne partout. Le lit a reçu une couverture blanche, et un bouquet de chrysanthèmes répand son odeur amère devant un crucifix. L’enfant est assis dans son lit. M. le Curé en surplis, précédé de Marcel, arrive portant l’Hostie sainte. Après les prières liturgiques il parle à l’enfant :
« Voici Celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » De ce royaume d’infinie béatitude Il est seul la Porte, on n’entre que par Lui. Il a seul la clé, Il ouvre à qui Il veut[1]. »
Les yeux d’André expriment une paix au-dessus de son âge. Et M. le Curé repart en hâte, car l’heure de la Messe est là.
À l’église les bancs sont garnis d’enfants. Avant la Communion voici ce que leur a dit M. le Curé.
Celui qui devait être le grand Pape Pie X naquit dans la pauvreté, le 2 juin 1835, au village de Riese, en Italie. Joseph, « Beppi », comme on le nommait familièrement, était l’aîné de neuf enfants.
Son père, Jean-Baptiste Sarto, possédait une humble maison et deux petits champs. Agent communal, il balayait la mairie, faisait les courses, ce pour quoi il recevait chaque jour, 0 fr. 50. Maigre salaire pour nourrir tant de monde ! La mère de famille, Marguerite Sarto, essayait de son côté de gagner quelque chose. Avant son mariage, elle était couturière. Une fois le ménage rangé, les petits habillés, la soupe au feu, elle reprenait son aiguille et cousait pour les voisines.
Tous ceux qui connaissaient Marguerite admiraient ses vertus, son courage, sa foi. C’était un foyer modèle que celui des Sarto. Chaque soir, après la journée de travail, le père expliquait le catéchisme à ses enfants et récitait tout haut la prière.
Élevé par des parents si chrétiens, le petit Joseph ne pouvait manquer d’aimer le bon Dieu, l’église, les offices, Tout petit avec une grande joie, il enfila une soutane d’enfant de chœur et commença de balancer l’encensoir ou de servir la messe. Son recueillement frappait l’assistance. Dès 11 ans, il fut chargé, durant les cérémonies, de guider ses compagnons qui l’admiraient et lui obéissaient comme à un chef. À l’école, Joseph Sarto remportait tous les prix. Pendant les récréations, ses camarades le suivaient volontiers, car gai, décidé, il avait toujours des jeux amusants à proposer.
À quelque distance du village, au milieu des champs de maïs, des vignes et des mûriers, s’élevait une église dédiée à la Vierge de l’Assomption. Bien souvent, au temps où Joseph était enfant de chœur, courant et chantant, il entraînait la troupe des garçons vers ce pèlerinage. Devant le sanctuaire, les enfants récitaient pieusement une prière à Marie, puis rentraient en jouant à travers la campagne.
Joseph Sarto fit à 11 ans, une première Communion très fervente. Ce jour-là au fond de son cœur, il se donna tout entier à Dieu et lui promit de ne vivre que pour le servir. Il ne dit rien à sa mère de cette résolution. Mais elle, qui connaissait l’âme de son enfant, le devina et l’interrogea doucement. Joseph avoua qu’il voulait être prêtre.
Marguerite, fière et heureuse, remercia Dieu de cette grande grâce. Le père, en apprenant la vocation de Joseph, songea tristement que, ses forces diminuant, le travail de son aîné eût été bien nécessaire à la famille… Mais, imitant la foi de sa femme, il donna généreusement son consentement.
Le bon Curé de Riese se réjouit et décida que son petit paroissien irait suivre les cours au collège de Castelfranco. Sept kilomètres séparaient Riese de Castelfranco. Joseph devait franchir chemin à pieds, deux fois par jour. Trajet dur en hiver, et plus encore l’été, sous le soleil qui brûle la campagne.
Il enlevait ses souliers…
De plus, le brave enfant savait ce qu’il en coûtait à ses parents pour le chausser. Afin de leur épargner une dépense, à peine sorti de Riese, il enlevait ses souliers et les portait sur son dos avec le petit sac où la maman plaçait le pain du déjeuner.
Plus tard, son frère Angelo l’accompagnait à Castelfranco. Le père ayant réussi à faire l’achat d’un pauvre petit âne et d’une vieille charrette, les deux enfants roulaient fièrement dans cet équipage.
Joseph travaillait avec une grande ardeur. Vif, prompt à s’emporter, il devait lutter contre sa nature pour acquérir la douceur, par la suite si remarquable en lui.
Ses notes le classaient toujours le premier. Mais ce, n’était là qu’une préparation. Il fallait pouvoir entrer au Séminaire. Grosse difficulté ! La famille Sarto était sans ressources. Le Curé de Riese en manquait également, mais il multipliait les démarches pour obtenir une bourse gratuite à son cher Joseph. Celui-ci attendait, le cœur serré par l’angoisse. Si ardent était son désir d’être prêtre !
Enfin, la réponse vint. « À genoux, Beppi », s’écrie le Curé, « remercie Dieu qui a sûrement quelque dessein sur toi : bientôt, tu entreras au Séminaire, et comme moi, toi aussi tu seras prêtre ! »
Les gens de Riese qui savaient la gêne des Sarto, quêtèrent discrètement entre amis pour acheter les livres et les vêtements nécessaires au futur abbé.
Le séminaire
Au mois de novembre 1850, Joseph Sarto partit donc pour le grand Séminaire de Padoue.
À la fin de l’année, il était à la tête de son cours et ses professeurs plaçaient en lui de grands espoirs.
Peu après son entrée au Séminaire, Joseph eut le grand chagrin de perdre son père.
Marguerite Sarto, restée veuve avec sept enfants encore à sa charge, reprit courageusement son métier de couturière. Aidée de ses filles, elle réussit à gagner le pain de la famille.
Durant les vacances, Joseph revenait à la maison. Depuis qu’il avait revêtu la soutane, sa mère, par respect, défendait à ses autres enfants de tutoyer leur aîné. Le Séminariste édifiait tout le village. Levé à cinq heures, il priait longuement à l’église. Tout le jour il étudiait. Après le repas du soir, on allait en commun dire à l’église le chapelet. Puis, avant le repos de la nuit, la famille s’agenouillait une fois encore devant le crucifix du foyer. Dans cette maison bénie, l’examen de conscience suivait la prière, chacun avouait ses torts et demandait pardon à celui qu’il avait pu offenser.
Aussi, malgré la pauvreté, les privations, la paix régnait-elle dans les cœurs.
Un soir où Marguerite Sarto, épuisée, avouait tout bas à son aîné : « Beppi, que la vie est difficile »
— « Elle est faite pour cela », répondit doucement le jeune abbé », si elle était facile, maman, où serait notre mérite ? »
À mesure que Joseph approchait du sacerdoce, sa mère priait avec une plus ardente ferveur demandant à Dieu que son fils soit un saint prêtre !
Le 18 septembre 1858, Marguerite Sarto, tremblante de bonheur, assistait à l’ordination de son fils, et le lendemain, elle le voyait monter à l’autel, pour la première fois et célébrer la sainte messe.
Des larmes de joie et de reconnaissance coulaient de ses yeux. Son enfant, entouré de tant d’amour, de sacrifices et de prières, enfin, il était prêtre pour toujours !
Au service des âmes
À peine ordonné prêtre, Joseph Sarto fut nommé vicaire au bourg de Tombolo. Il se fit vite aimer des âmes qu’il voulait ramener à Dieu par ses enseignements et son dévouement. Il prêchait avec un zèle infatigable et cherchait sans cesse à placer un conseil, une bonne parole. Pour cela il se mêlait familièrement aux hommes et aux jeunes gens, réussissant à mettre la paix dans leurs querelles et surtout à les corriger de leur vilaine habitude de jurer.
Des coups violents contre la porte. Des hommes armés qui crient d’une voix furieuse : « Ouvrez ! ouvrez tout de suite ! » Est-on revenu au temps des origines du Christianisme, à l’époque des Persécutions, lorsque les gardes des empereurs romains faisaient la chasse aux baptisés ? Non. On est en France, en l’année 1793, c’est-à-dire au plein de la tragique période de la Révolution. Il y a plus de trois ans qu’à Paris le peuple révolté s’est emparé de la Bastille, et certains disent qu’une nouvelle époque de l’histoire a commencé ce jour-là. Il y a quelques mois que, dans la douleur ou la stupeur de la nation, le roi Louis XVI a gravi les marches de la guillotine et que le bourreau a montré à la foule sa tête ruisselante de sang.
Des hommes armés qui crient d’une voix furieuse : « Ouvrez ! ouvrez tout de suite. »
— Ouvrez ! ouvrez donc ou nous enfonçons la porte ! Dans combien de villes de France, jusque dans les plus petits villages, de telles scènes ne se reproduisent-elles pas ? Combien de familles sont ainsi réveillées en sursaut, et combien se retrouveront, une heure plus tard, père, mère, grands-parents, enfants, serviteurs, entassés dans la cellule d’une prison, attendant de comparaître devant le Tribunal révolutionnaire qui les jugera et qui, peut-être,très souvent, trop souvent même, condamnera maints des membres à monter, eux aussi, les degrés de la sinistre machine qu’a inventée le docteur Guillotin ?
Quels crimes ont-ils commis ? Que leur reproche-t-on ? Bien souvent celui-ci : d’avoir caché des prêtres. C’est que, depuis deux ans, la Révolution fait la chasse au clergé. Pourquoi ? Parce que ses chefs ont la haine du Christianisme et veulent l’arracher du sol de la vieille France. Dans maints endroits, des équipes de furieux se sont ruées sur les églises les plus vénérables, les cathédrales les plus magnifiques, ont brisé les têtes des statues, parfois même entrepris de démolir pierre par pierre les nefs. Les prêtres sont traqués, ou plutôt sont traqués tous ceux d’entre eux qui ont refusé de prêter serment au gouvernement sacrilège, ce que le Saint Père le Pape a défendu. Comment vivent-ils donc, ces malheureux que toute la police pourchasse ? En se terrant, en se cachant sans cesse. Le passeport qu’il faut désormais pour voyager en France, ils ne l’ont pas. Aucun moyen pour eux de gagner leur vie. Seule peut les sauver la charité courageuse de quelques familles catholiques acceptant de les abriter en secret, mais, pour ces chrétiens, c’est, s’ils sont pris, la prison, le procès, la mort presque à coup sûr : abriter un prêtre « réfractaire » est un crime aux yeux de la loi.
Tout cela, d’innombrables enfants catholiques de France le savent. Il n’est famille chrétienne où les garçons et les filles n’aient entendu parler de ces événements tragiques, et des dangers qu’eux aussi peuvent courir.
Dans leurs jeunes âmes, l’héroïsme des enfants sublimes des premiers siècles de l’Église est revenu. Innombrables aussi sont, parmi eux, ceux qui sont résolus à tout braver, à exposer leur vie pour demeurer fidèles à la foi de leur baptême. Des enfants, qui n’étaient pas des saints, des enfants comme tous les autres, ont, au cours de cette douloureuse période qu’on appelle la Terreur, été les dignes descendants des Martyrs. Imaginons deux d’entre eux ; regardons les faire : leur exemple ne sera point perdu.
* * *
— Ouvrez, ouvrez tout de suite !…
Les cris et les coups ont réveillé Jacques et Jeanne, dans les deux petites chambres voisines qu’ils occupent, au second étage de la maison paternelle. L’un et l’autre ont couru à la fenêtre, ont jeté un coup d’œil dans la rue et, immédiatement, ils ont compris. Ils ont reconnu les bonnets rouges, les longs pantalons tombant sur les galoches, les piques et les fusils. Et ils savent, sans qu’on ait besoin de le leur expliquer, pourquoi tous ces hommes sont là.
La porte de communication s’ouvre entre les deux chambres, Jeanne surgit, saisit son frère par le bras.
— Tu as entendu ? Tu les as vus ?
— Oui, qu’allons-nous faire ? Si nous montions sur le toit ? Ils ne nous trouveraient pas.
— Jacques ! tu veux te sauver ?… Tu ne penses pas au Père ? Il n’a peut-être pas entendu, lui. Il va être pris. C’est lui certainement qu’on recherche.
— Oui, tu as raison. Il faut le prévenir.
— Et papa, et maman, et grand père ?…
Mais Jacques, maintenant, est décidé :
— Il faut aller prévenir le Père. C’est plus important.
Depuis plus de six mois, il est caché là, dans la petite pièce mansardée que le haut toit dissimule. Jamais il n’est sorti ni dans la rue ni dans le jardin. Personne n’a pu le voir. Qui donc a su sa présence ? Ces gens-là ont vraiment des mouchards partout ! Et, depuis six mois, le Père a célébré, chaque matin, sa messe, tout simplement sur une table, dans une salle écartée. Il a consacré les hosties, comme s’il avait été à l’autel de son église, et toute la famille a, malgré les défenses officielles, continué à recevoir régulièrement la sainte communion.
Temps de lecture : 8minutesOh ! le beau modèle eucharistique ! comme elle a bien su se sanctifier par la Communion, cette enfant bénie ! La COMMUNION était pour cet Ange de pureté un festin de joie. A tous ceux qui la considéraient, elle apparaissait alors transfigurée : « On eût dit, déclare un témoin, un ostensoir vivant qui s’avançait tout rayonnant d’amour. » Ceux qui ont vu cette virginale enfant revenir de la Sainte Table, ne l’oublieront jamais, plusieurs affirment que son visage prenait alors un éclat extraordinaire. Jésus transparaissait en son petit lis éclatant de pureté. Tout cela, c’était la récompense merveilleuse de sa générosité, de sa préparation toujours fervente à la sainte Communion.
Quand le moment en approchait, rien ne pouvait la sortir de son recueillement. Un jour, la matinée était splendide et chaque brin d’herbe comme serti de diamants, la lumière s’accrochant à chaque goutte de rosée, Les hirondelles alignées sur les fils du télégraphe gazouillaient, tout était enchantement, et son frère, émerveillé, traduisait son admiration en cris enthousiastes et en bonds joyeux : « Jojo, fit Anne, en mettant un doigt sur ses lèvres, il faut penser à ta Communion. » Au retour de la Messe, les enfants parlaient des hirondelles et de tout ce qui les avait ravis : « Maman, moi aussi, dit Anne avec candeur, j’avais bien envie de dire mon admiration comme Jojo, mais j’ai fait un sacrifice au petit Jésus pour mieux le recevoir. » Souvent elle redisait : Petit Jésus, mon doux Sauveur, gardez mon cœur toujours à vous ! Ou bien, au milieu de ses jeux les plus entraînants, elle s’arrêtait et avec une gravité douce : « Jojo, disait-elle, si nous allions faire une petite prière pour nous préparer à la Communion de demain ? »
Elle a pratiqué avec une perfection rare la devise du Croisé : Se vaincre pour communier et communier pour se vaincre.
— L’obéissance est la sainteté des enfants, avait dit le Père prédicateur de sa retraite de Première Communion faite à six ans. Aussi avait-elle pris alors la résolution d’être très obéissante. Et elle le devint tellement que son institutrice a pu écrire : « Jamais, quand on lui disait de faire une chose, elle n’en demandait la raison, elle obéissait promptement et toujours joyeusement. » Personne ne se souvient, lit-on dans sa Vie, par le P. Lajeunie, de l’avoir vue une seule fois hésiter quand l’obéissance commandait ; on ne l’entendait jamais ni murmurer, ni raisonner.
Cette grande vertu ne lui était pas naturelle. Les Saints ne naissent pas saints, ils le deviennent parce qu’ils se sont corrigés de leurs défauts. Anne, à deux ou trois ans, était un bébé volontaire et difficile. C’est par amour pour Jésus qu’elle devint si vertueuse. Toute petite, elle aimait à commander, à dominer ; par vertu, ensuite, elle ne cherchait plus qu’à être oubliée. Douce, humble, effacée, elle mettait en pratique la grande leçon de Jésus : Apprenez de moi à être doux et humble de cœur. Au commencement, quand ses frères et sœurs la contrariaient, l’agaçaient, elle se retournait vers son institutrice en s’écriant : « Oh ! que j’ai envie de me fâcher ! » Mais elle se dominait, et quand elle eut bien lutté pour acquérir la douceur, elle n’avait même plus envie de se fâcher. Devenue une vraie petite maman pour ses frères et sœurs, elle les consolait, les faisait travailler, les amusait, leur cédant toujours, passant des heures entières à faire « le cheval » du petit Jacques, ce qui la fatiguait et ce qu’elle détestait. Elle le faisait aimablement, sans se plaindre.
Temps de lecture : 16minutesDing-Dong… Deux petits moines, — des moinillons, — disent leur Angelus, leur bénédicité ; puis, tandis que les Pères prennent leur repas au réfectoire, ils déballent leurs petites provisions au pied d’une belle statue de Notre-Dame. Demi-pensionnaires au Couvent des Frères Prêcheurs (Dominicains), ils arrivent tôt, servent la messe, puis reçoivent les leçons du Père Bernard et l’aident dans son office de sacristain. Le soir seulement ils dévalent la colline pour rentrer chez eux, au village d’Alfange.
Cette histoire se passe au Portugal, au XIIIe siècle. Voilà cent ans, ce pays était encore aux mains des Maures, venus d’Afrique, et qu’ils avaient conquis cinq siècles plus tôt. Vers le XIe siècle, Alphonse VI, roi de Castille, reprit partiellement ce territoire et donna ce qui était compris entre le Minho et le Douro à Henri de Bourgogne, lequel prit le nom de Comte de Porto ou de Portugal. Le fils d’Henri, Alphonse-Henriquez, gagna sur les Maures une victoire décisive. Pour des Français, il est intéressant de savoir que la reprise de Lisbonne, en 1147, a été due en très grande partie à l’aide apportée à Alphonse Henriquez par une flotte de Croisés francs qui s’en allaient en Terre Sainte pour la deuxième croisade. Il y avait parmi eux des Charentais, des Bretons, des Normands, et aussi des Anglais, des Rhénans, des Flamands, tout le littoral Nord-Ouest de la chrétienté. Dans cette victoire contre les Maures, les chrétiens furent aidés très spécialement par saint Michel. On dit qu’il parut dans le ciel une aile et une main indiquant les points où la petite armée devait porter l’effort, à la suite de quoi l’Ordre Militaire de l’aile de Saint Michel fut créé pour les Chevaliers qui s’étaient signalés au combat ; il continua à se recruter parmi les plus valeureux.
Nos moinillons étaient fils d’un de ces chevaliers, lequel, très fervent, avait résolu de les donner à Dieu dès l’enfance. Bien sûr, ils ne s’engageront par vœux que plus tard, si telle était leur vocation, mais déjà ils portent le costume dominicain : robe blanche et manteau noir ; leurs cheveux sont taillés en couronne autour d’une tête rasée. Cela ne les empêche pas d’être de braves enfants joyeux. Ils aiment cette vie monastique et sans doute, seraient-ils toujours restés au couvent, s’il ne leur était arrivé une étrange et belle aventure.
Quant à leur maître, le Père Bernard, il est originaire de Morlaàs, à 12 kilomètres de Pau, donc, Béarnais. Ses parents, qui, contrairement au Chevalier d’Alfange, n’avaient nul envie d’en faire un moine, l’avait fiancé très jeune, alors que lui voulait être Dominicain. Un beau jour, il s’enfuit, non dans quelque couvent de France ; ses parents l’y retrouveraient ; non au nord de l’Espagne ; la barrière des Pyrénées n’est pas infranchissable ; mais au lointain Portugal, dans le couvent de Santarem, fondé par un des premiers compagnons de saint Dominique, Suero Gomez.
« Ils reviennent d’eux-même dire ensemble des dizaines »
Santarem… Reconnaissez-vous ce nom ? vous qui avez lu l’histoire des trois bergers de Fatima… Santarem, ville principale du district ou département du même nom, dont Fatima dépend. Notre-Dame du Rosaire n’est pas encore venue à la Cova, mais elle est déjà aimée, et combien ! particulièrement chez les Pères de Santarem. En vrai Dominicain, Père Bernard conduit souvent ses élèves à la chapelle de Notre-Dame du Rosaire. Les Ave montent en guirlandes, en bouquets… Les petits y prennent tellement goût que, souvent, ils reviennent d’eux-mêmes dire ensemble « des dizaines ». L’Espagne, le Portugal, ont une dévotion immense à la Sainte Vierge depuis que saint Jacques a évangélisé cette terre. Marie, (Notre-Dame del Pilar — du pilier), est vraiment le pilier de la foi catholique. Au Portugal, cette dévotion s’est encore fortifiée par le fait que les rois du Portugal, depuis le tout premier, ont choisi la mère de Dieu pour mère de la dynastie et de la nation. Le peuple portugais n’a pas oublié ce contrat, malgré tant de révolutions, et la Sainte Vierge pas davantage ; elle l’a prouvé !
Bref, nos moinillons, imprégnés d’esprit chrétien, catholique et dominicain, nos moinillons, vrais Portugais, vont à Marie de toute leur âme. Trop loin d’Alfange pour y courir déjeuner près de leur mère, avec leurs petits frères et sœurs, ils vont quand même déjeuner en famille, avec leur mère du ciel et leur frère Jésus. A nous, l’idée ne viendrait pas de déjeuner dans une chapelle ; ceci encore est espagnol et portugais.