Hosannah au Fils de David !
D’ABORD intimidé, Jean n’osant avancer, demeura près du bénitier, son rameau à la main. Mais, à chaque instant, la porte s’ouvrait et, pressé d’entrer, le nouvel arrivant bousculait l’enfant. À la fin, un homme vêtu de rouge, et dont les culottes courtes laissaient voir les bas blancs et les souliers à boucles, prit Jean par le bras et le poussa doucement vers des bancs où de nombreux petits garçons étaient assis côte à côte. Une dame en deuil, au visage doux et triste, fit signe à l’un des enfants de se reculer pour faire place à Jean et ordonna tout bas à un autre garçonnet de donner au nouveau-venu un livre noir à tranches rouges.
Le pauvre petit tendit la main, mais il jeta sur la dame un coup d’œil embarrassé et retourna gauchement le livre dans ses mains, mais sans l’ouvrir.
La dame se pencha vers lui, en disant doucement :
— Ouvre à la page 60 et suis l’office.
— Je ne sais pas lire, bégaya l’enfant.
La dame eut un geste étonné, mais n’insista pas :
— Alors, regarde et dis ta prière, conseilla-t-elle.
On n’avait pas besoin de dire à Jean de regarder : il n’avait pas assez d’yeux pour contempler l’admirable spectacle qui s’offrait à lui.
Dans le fond, près de l’autel doré et fleuri, des prêtres, magnifiquement vêtus de soie et d’or, se tenaient auprès d’un monceau de rameaux, sur lesquels l’un d’eux étendait la main en parlant dans une langue inconnue.
— Levez-vous et tenez, tous, vos rameaux à la main, dit la dame, on va les bénir.
Et Jean, comme les autres, brandit le brin d’olivier, sur lequel tombèrent les paroles saintes :
« Daignez bénir, Seigneur, ces branches de palmier ou d’olivier… Par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Amen. »
C’était, maintenant, devant l’autel illuminé, la lente procession des prêtres en blancs surplis, qui recevaient, inclinés, la palme ou le rameau qu’on venait de bénir. Derrière eux, venaient des enfants dont la seule vue plongea le petit Jean dans un étonnement plein d’admiration. La plupart d’entre eux n’étaient guère plus grands que lui ; mais ce n’étaient pas eux qui portaient des culottes rapiécées et des vestes trop longues. Ils avaient, tous, de belles robes rouges, ornées de tant de petits boutons, qu’il était impossible de les compter. Une autre robe, de dentelle, blanche, celle-là, recouvrait tout le haut du corps et s’attachait, sur les épaules, par des flots de ruban rouge.
Sur les têtes, dont la plupart étaient bouclées, de toutes petites calottes rouges étaient posées, si en arrière, que Jean se demanda comment elles pouvaient tenir. Ce n’était pas tout : des bas et des pantoufles rouges complétaient le costume. Jean soupira : Qu’ils devaient être heureux, ces enfants ! Ils suivaient, maintenant, la procession qui traversait l’église et leurs voix enfantines se mêlaient à celles des chantres.
Cependant, arrivée à la grande porte, la moitié de la procession sortait sur la place de l’église, tandis que l’autre moitié, demeurée à l’intérieur, chantait les louanges de Dieu. À travers la porte, l’on entendait des voix répondant aux voix des chantres.
Puis, un coup fut frappé à la porte : elle s’ouvrit et, le premier, s’avança l’enfant de chœur qui portait une grande croix d’or.
Derrière lui marchaient les prêtres et les autres enfants portant des palmes et des rameaux.
Alors, la messe commença : au son d’une clochette agitée par un enfant de chœur, les fidèles s’agenouillaient et se relevaient, et Jean, comme les autres, baissait la tête devant ce Dieu qu’on ne lui avait pas appris à connaître.
Une émotion très douce l’envahissait : ces chants, ces cérémonies, cette foule en prière, comme c’était paisible et beau ! Jamais, depuis sa toute petite enfance, il ne s’était senti si heureux et si tranquille. Autour de lui, les bambins qui avaient trouvé l’office un peu long, jetaient des regards gourmands sur les friandises de leurs rameaux. Il arrivait, même, qu’une langue timide effleurât un fruit confit, mais un regard de la mère faisait tout rentrer dans l’ordre. Même dans le Midi, où les rameaux des petits enfants se couvrent de bonbons, les joies du dimanche des Rameaux ne doivent pas faire oublier que le Carême est un temps de privations. C’est le jour de Pâques, seulement, quand les cloches reviennent de Rome, que l’on peut goûter aux sucreries.
Prêtres et enfants de chœur avaient quitté l’autel où déjà s’éteignaient les cierges. La dame en deuil distribua aux enfants des billets de présence, puis, faisant signe à Jean de la suivre, elle se dirigea vers la sortie.
Sur le perron de l’église, elle s’arrêta :
— Je ne t’ai jamais vu au patronage, mon petit, comment t’appelles-tu ?
— Jean Varnaud, dit l’enfant ; dans ma maison il y a le petit du charbonnier qui va au patronage, mais moi, je ne peux pas, je travaille.
— Qu’est-ce que tu peux bien faire ?
— Je vends des journaux.
— Quel âge as-tu ?
— Huit ans.
— Eh bien, mon petit, à huit ans, on doit être à l’école et au patronage. Où habites-tu ?
— Dans la rue des Lauriers, au-dessus du charbonnier.
— Bien, et souriant à l’enfant,la dame s’éloigna.
Vers cinq heures, Jean s’apprêtait à aller vendre les journaux du soir quand on frappa à la porte, et, au grand étonnement de la mère Mathieu, Madame Lagarde (ainsi se nommait la dame du patronage) entra dans la cuisine malpropre.